Urteilskopf
103 Ib 11
3. Arrêt de la Ire Cour civile du 15 février 1977 dans la cause Barthalos contre Barthalos
Regeste
Art. 937 und
Art. 944 OR
,
Art. 59 Abs. 1 HRegV
; Eintragung ins Handelsregister, Grundsatz der Firmenwahrheit.
Ist eine bestehende Geschäftsfirma im Handelsregister ganz oder teilweise auf einen anderen Namen zu übertragen, so bedarf es eines Rechtsgrundes, der sich aus einer Parteivereinbarung oder aus einem vollstreckbaren Urteil ergibt (E. 2 und 3). Der Registerführer darf die Übertragung nicht schon gestützt auf eine geänderte Sachlage vornehmen (E. 4).
Danielle Barthalos-Basmedjian, recourante, a été inscrite le 30 mars 1966 au registre du commerce de Genève en qualité de titulaire de l'entreprise individuelle "Maïdick, Mme D. Barthalos", qui a pour objet la fabrication, la représentation et le commerce de vêtements de prêt à porter pour femmes, à
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l'enseigne de ses trois magasins "La Folichonnerie" (15-17, place du Bourg-de-Four), "Peppermint" (6, rue de la Boulangerie) et "Primerose" (82, rue du Rhône).
L'intimé son mari, Denis Barthalos, la secondait dans son exploitation moyennant salaire. Il a introduit le 3 novembre 1975 une demande en séparation de corps, convertie ensuite en demande en divorce. Dans une requête en mesures provisionnelles du 17 février 1976, il s'est prétendu "propriétaire avec son épouse" des trois boutiques précitées, cela a été contesté, bien que le bail de "La Folichonnerie" soit établi au nom des deux époux. Le juge a provisoirement prononcé une défense d'aliéner et il a bloqué les comptes bancaires du commerce.
En marge du procès en divorce et sur l'invitation du préposé, Denis Barthalos a entrepris dès le 30 juin 1976 des démarches auprès du registre du commerce pour obtenir son inscription comme chef de la raison "Maïdick", celle de son épouse étant radiée. Il se prétend "seul exploitant de fait" des boutiques "La Folichonnerie" et "Peppermint", alors que son épouse s'occuperait du magasin "Primerose".
Les 7 et 8 octobre 1976, le préposé a écarté l'opposition de dame Barthalos et ordonné l'inscription du mari comme titulaire de la raison individuelle "Denis Barthalos" 15-17, place du Bourg-de-Four, fabrication, représentation et commerce de vêtements de prêt à porter à l'enseigne de la Folichonnerie avec un magasin de vente à l'enseigne "Peppermint" (6, rue de la Boulangerie)". Peu importerait selon lui de savoir qui est juridiquement titulaire de la raison de commerce; seule la qualité d'exploitant de fait justifierait l'inscription.
Reprenant cette argumentation, le Département cantonal genevois de l'économie publique a confirmé la décision du préposé, le 28 octobre 1976.
Dame Barthalos forme un recours de droit administratif au Tribunal fédéral. Elle demande l'annulation du prononcé cantonal et le rejet de la requête de son mari. Elle a sollicité simultanément l'effet suspensif.
Le Président de la Ire Cour civile a accordé l'effet suspensif au recours par ordonnance du 19 novembre 1976. Le préposé ayant fait savoir que l'inscription litigieuse avait déjà été opérée, le 3 novembre précédent, le Président de la Ire Cour civile, à la requête de la recourante, en a ordonné la radiation par voie de mesures provisionnelles.
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Considérant en droit:
1.
Quiconque exploite un commerce est tenu de s'inscrire au registre du commerce du lieu de son établissement principal dès son ouverture (
art. 934 al. 1 CO
et 52 ORC). De même, toute modification d'éléments figurant au registre du commerce doit faire l'objet de l'inscription correspondante (
art. 937 CO
et 59 al. 1 ORC).
En l'occurrence, la recourante est inscrite depuis plus de dix ans au registre du commerce de Genève sous la raison individuelle "Maïdick, Mme D. Barthalos". Cette maison de commerce a son siège 15-17, place du Bourg-de-Four, et constitue avec ses trois magasins une seule entreprise au regard du registre du commerce. Il n'est pas allégué qu'il existerait plusieurs entreprises distinctes sous les enseignes de "La Folichonnerie", "Peppermint" et "Primerose"; il eût d'ailleurs fallu à cet effet trois inscriptions séparées. Rien n'établit que la recourante ait cessé son activité commerciale. Non seulement elle affirme le contraire, mais encore l'autorité cantonale elle-même reconnaît expressément et l'existence de sa boutique "Primerose" et le maintien de sa raison "Maïdick".
2.
Avant le 3 novembre 1976, Denis Barthalos n'était pas inscrit au registre du commerce. Il n'était même pas fondé de pouvoir de l'entreprise de sa femme. Il lui était certes loisible d'ouvrir son propre commerce, mais indépendamment de celui de son épouse, et de se faire inscrire au registre du commerce sous son propre nom pour un nouveau commerce. Une telle inscription ne prêterait pas en principe le flanc à la critique, pour autant qu'elle ne puisse faire naître aucune confusion entre la nouvelle raison de commerce et celle de la recourante.
Mais on ne se trouve nullement dans cette hypothèse. L'intimé ne soutient pas avoir ouvert sous son nom un nouveau commerce, diffèrent de celui de sa femme. il se prévaut au contraire de "l'exploitation de fait" de deux des magasins du commerce de sa femme sur lequel il prétend avoir des droits patrimoniaux, qui sont contestés. Son épouse se plaint de ce qu'il en occupe abusivement les locaux, lui en interdisant l'accès par la force, après en avoir changé les clés et les serrures. C'est pourquoi le juge du divorce a pris des mesures provisoires assurant à l'épouse le libre accès et le libre usage des lieux.
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L'inscription sollicitée par le mari se rapporte ainsi à une partie existante de l'entreprise de l'épouse, dont celle-ci est seule titulaire au regard du registre du commerce et des tiers. Elle présuppose la radiation - au moins partielle - de l'entreprise de l'épouse et sa reprise par le mari. En réalité, la requête de celui-ci n'est donc pas une demande d'inscription de son entreprise indépendante, mais la requête d'un tiers tendant au transfert partiel à son nom d'une raison de commerce existante. Une telle opération implique un titre juridique. Il ne peut être exécuté qu'avec l'accord de la personne inscrite ou en vertu d'une décision judiciaire exécutoire. Dans le cadre du différend opposant des époux en instance de divorce, le préposé au registre du commerce n'était pas autorisé à préjuger du sort de l'entreprise en faisant droit à une telle requête. Dès lors que le mari prétendait à des droits patrimoniaux sur le commerce inscrit au nom de son épouse, le préposé avait l'obligation de renvoyer le requérant à saisir la juridiction civile compétente (cf. HIS, Comm., n. 64 ad
art. 940 CO
). Inscrite en effet au registre du commerce pour l'exercice d'une entreprise indépendante, avec l'autorisation de son mari, la recourante est présumée être valablement titulaire de cette raison individuelle. Quel que soit le régime matrimonial des époux - et en particulier sous le régime de l'union des biens, qui est apparemment celui des parties -, l'
art. 191 ch. 2 CC
constitue en biens réservés de l'épouse les biens de la femme qui servent à l'exercice de sa profession et de son industrie, et cela même si le mari collabore activement à l'entreprise (
ATF 66 II 227
). Seule la juridiction civile peut le cas échéant décider qu'il en va autrement. En se prononçant sur ce point, les autorités administratives genevoises ont préjugé de l'affaire de manière illégale au détriment des intérêts légitimes de la titulaire inscrite de l'entreprise. Elles ont exposé la recourante à des difficultés et à des dommages dont la correspondance déjà produite démontre la nature et la gravité.
3.
La décision attaquée n'est pas seulement manifestement contraire au droit fédéral et au système du registre du commerce, elle est insoutenable. En procédant à la vérification de la requête du mari, à laquelle il était tenu en vertu de l'
art. 21 ORC
, le préposé devait constater dès l'abord que le litige échappait à sa compétence. Ou bien le requérant prétendait
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ouvrir à son nom un nouveau commerce, et il sautait aux yeux non seulement que ce commerce n'existait pas mais que son existence n'était même pas alléguée; il fallait alors rejeter la requête. Ou bien - et c'est ce qui était expressément demandé - le requérant visait à se substituer partiellement à son épouse comme titulaire du commerce existant; or une telle modification étant impossible sans l'accord de la titulaire, ou la présentation d'un titre juridique clair (contrat ou jugement exécutoire). Le préposé et l'autorité administrative en général étaient dans ce cas incompétents, ce qui ressort déjà de la réglementation de l'
art. 67 ORC
. Les conditions d'une radiation d'office d'une raison individuelle au sens de l'
art. 68 ORC
faisaient de toute manière manifestement défaut.
C'est en vain que le préposé arguë de l'
art. 60 ORC
. Il ne pouvait admettre, une fois renseigné sur les difficultés matrimoniales des époux, c'est-à-dire à partir du 2 août 1976, que les conditions d'une radiation et d'une sommation d'office étaient réunies. On ne se trouve pas non plus en présence d'une inexactitude à rectifier d'office selon l'
art. 8 ORC
, ni d'un changement d'adresse selon l'
art. 25 ORC
.
Tout au plus, la requête du mari pouvait-elle être traitée comme l'opposition à une inscription déjà opérée, émanant d'un tiers dont les droits seraient violés, mais alors, de toute manière, l'
art. 32 al. 1 ORC
imposait à l'administration le renvoi du différend devant le juge compétent.
4.
L'argumentation des autorités genevoises selon lesquelles seule la situation de fait serait déterminante au regard du registre du commerce, indépendamment de la position juridique des parties, est insoutenable. Il revient à faire primer la force sur le droit, en méconnaissant la position juridique acquise par l'effet même du registre du commerce. Certes, l'
art. 944 al. 1 CO
prescrit-il que la raison de commerce doit être conforme à la vérité, qu'elle ne puisse induire en erreur et qu'elle ne lèse aucun intérêt public. Ce même principe de la véracité impose également que toute modification de faits devant figurer sur le registre du commerce y soit inscrite (
art. 937 CO
).
L'autorité cantonale prétend à tort toutefois qu'une telle modification soit intervenue. L'occupation de force par un tiers, fût-il le mari, de deux des trois boutiques de l'entreprise exploitée par l'épouse ne confère à ce tiers aucun droit. Elle ne
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détruit nullement la présomption légale dont bénéficie la titulaire de la raison déjà inscrite. Dès lors que celle-ci se prévaut de l'exploitation continue de son commerce (qui est attestée), les actes unilatéraux du mari relatifs à cette entreprise sont inopérants et ne sauraient déployer d'effets que ce soit à l'égard des tiers ou à celui du registre du commerce. On ne saurait juger différemment, aussi le Tribunal fédéral ne l'a-t-il pas fait: l'arrêt cité
ATF 100 Ib 458
consid. 4 vise une tout autre espèce relative à la radiation d'une adresse "qui n'existait plus". Le différend relatif à la liquidation du régime matrimonial était et reste du ressort exclusif du juge du divorce, qui seul pourra ordonner les mesures conservatoires indispensables.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et annule la décision du Département de l'économie publique du canton de Genève.