Urteilskopf
104 Ia 473
70. Extrait de l'arrêt du 26 avril 1978 dans la cause Guyot contre Conseil d'Etat du canton de Vaud
Regeste
Handels- und Gewerbefreiheit, Recht auf Reklame; freie Berufe, Architekten,
Art. 31 BV
.
1. Das Recht Reklame zu machen ist durch
Art. 31 BV
gewährleistet; die Kantone können es im öffentlichen Interesse beschränken; diese Beschränkungen können bei freien Berufen noch verschärft werden (E. 2).
2. Werbung durch einen Architekten, die im Verhältnis zu sonst berufsüblichen Massstäben als unzulässig erscheint. Die SIA-Norm 154 über die Reklame kann als Ausdruck der geltenden Gepflogenheiten im Architektenstand betrachtet werden (E. 3).
Architecte inscrit sur la liste des architectes reconnus par l'Etat de Vaud (art. 3 de la loi cantonale sur la profession d'architecte; en abrégé: LPA) Guyot a fait imprimer un
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dépliant qui a été inséré dans le "Bulletin immobilier", organe de la Fédération romande immobilière. Ce dépliant comprend la reproduction de plusieurs photographies de constructions ("quelques exemples de nos nombreuses réalisations") ainsi que le signe distinctif de Guyot, et ses nom et prénom suivis des indications suivantes: urbanisme, architecture, génie civil, entreprise générale, société de promotion et recherche de financement, régie immobilière.
Sous la rubrique "Libérez-vous de vos soucis immobiliers", le dépliant contient notamment les textes suivants:
"Notre entreprise est la seule à regrouper sous le même toit une agence d'urbanisme, un atelier d'architecture, un bureau d'études en génie civil, une société d'entreprise générale, une société de promotion et de recherche de financement et une société de régie immobilière...
La diversité de nos services, notre expérience dans tous les domaines touchant à l'immobilier, nous permettent d'intervenir pour vous efficacement à l'échelon de l'étude de projets, de la réalisation de tout ou partie de leur exécution puis de la saine gestion de l'ouvrage achevé."
"Consultez-nous sans engagement. Retournez simplement la carte ci-dessous. Quel que soit votre problème, nous pouvons vous aider à le résoudre à des conditions plus avantageuses et plus rapides que si vous deviez recourir séparément à plusieurs services spécialisés."
Plus loin figure, en lettres grasses, la mention: "consultez-nous!" suivie d'un coupon-réponse à l'adresse de Guyot, invitant à prendre contact avec lui.
Considérant que le dépliant inséré dans le "Bulletin immobilier" constituait "une publicité prohibée au sens des
art. 10 et 11 LPA
", la Chambre des architectes du canton de Vaud a condamné Guyot à une amende de 1000 fr. Saisi d'un recours de l'intéressé, le Conseil d'Etat du canton de Vaud l'a rejeté, à la suite de quoi Guyot a formé un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral, soutenant notamment que l'
art. 10 LPA
viole l'
art. 31 Cst.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des motifs:
1.
L'art. 10 de la loi vaudoise du 13 décembre 1966 sur la profession d'architecte dispose que "l'architecte s'interdit toute publicité".
Le recourant prétend que cette disposition est incompatible avec l'
art. 31 Cst.
, mais il ne l'a pas attaquée, en tant que telle,
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dans le délai de trente jours dès sa promulgation, de sorte qu'il ne peut plus en demander l'annulation par le Tribunal fédéral. Il peut en revanche soulever encore le grief d'inconstitutionnalité contre une décision qui applique cette disposition à un cas d'espèce; mais alors le Tribunal fédéral n'a pas à rechercher si, examinée pour elle-même, ladite disposition est inconstitutionnelle, mais uniquement si, telle qu'elle a été interprétée en l'espèce et appliquée au cas du recourant, elle implique une violation de la Constitution; et s'il répond affirmativement à cette question, il ne peut annuler que la décision d'espèce.
Le Tribunal fédéral ne revoit l'interprétation de la législation cantonale que sous l'angle restreint de l'arbitraire (
ATF 95 I 426
consid. 4 et les arrêts cités), sauf s'il s'agit d'une atteinte particulièrement grave, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce; il examine en revanche librement si le droit cantonal, interprété de manière non arbitraire, est compatible avec l'
art. 31 Cst.
(
ATF 101 Ia 256
,
ATF 98 Ia 59
et les arrêts cités); tout au plus s'impose-t-il une certaine réserve, étant donné qu'il n'a pas à substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité cantonale.
2.
L'architecte exerce une profession libérale et peut se prévaloir de la liberté du commerce et de l'industrie garantie par l'
art. 31 Cst.
(
ATF 93 I 519
consid. 4a,
ATF 86 I 326
consid. 2). De cette liberté constitutionnelle découle notamment le droit de faire de la réclame (
ATF 96 I 701
consid. 2,
ATF 87 I 264
et 453 et les arrêts cités). Ce droit est cependant limité par les prescriptions de police du commerce que les cantons peuvent édicter en vertu de l'
art. 31 al. 2 Cst.
Pour être conformes à la Constitution, ces prescriptions doivent reposer sur une base légale, se justifier par un intérêt public et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but d'intérêt public visé par le législateur. Se justifient notamment par un intérêt public les mesures qui tendent à sauvegarder la tranquillité, la sécurité, la santé et la moralité publiques, de même que celles qui visent à prévenir les atteintes à la bonne foi en affaires par des procédés déloyaux et propres à tromper le public (
ATF 103 Ia 262
ATF 96 I 701
consid. 2 et les arrêts cités).
S'agissant de personnes qui exercent une profession libérale, les cantons peuvent, selon la jurisprudence, être plus restrictifs envers elles qu'à l'égard des commerçants et des industriels. Ces personnes sont tenues d'avoir une attitude digne et correcte
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dans leurs rapports avec leurs clients et le public en général. Elles ne doivent en particulier pas user de moyen de publicité de nature à jeter le discrédit sur leur profession. Il est dès lors loisible aux cantons de leur interdire une publicité qui mettrait l'accent sur le côté pécuniaire de leur activité, qui serait tapageuse, mercantile ou trompeuse (cf. AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, vol. II, p. 677 no 1898; MARTI, Die Wirtschaftsfreiheit der schweizerischen Bundesverfassung, p. 114 no 200 et p. 123 no 218). Pour délimiter ce qui est licite à cet égard de ce qui ne l'est pas, il faut se fonder sur les habitudes et les opinions généralement admises dans la profession et dans le canton. Une réclame dépassant ce qui est usuel n'est pas admissible (
ATF 87 I 265
consid. 2 et les arrêts cités). De telles restrictions sont destinées à protéger non seulement la dignité des professions libérales pour elle-même, mais encore les intérêts du public en général.
C'est spécialement à propos des avocats et des médecins que le Tribunal fédéral a développé les principes rappelés ci-dessus (
ATF 87 I 265
consid. 2 et les arrêts cités, pour les avocats; ZBl 1951, p. 73, et
ATF 54 I 96
s., pour les médecins; AUBERT, loc.cit.). On peut se demander si ces principes s'appliquent avec la même rigueur au cas des architectes, dont la profession, tout en étant considérée comme libérale, est étroitement liée à d'autres professions de caractère artisanal (voire industriel) et commercial, avec lesquelles les architectes sont parfois en concurrence. La question peut cependant rester ouverte, car, comme on l'a vu ci-dessus, la Cour de céans doit examiner non pas la constitutionnalité de l'
art. 10 LPA
en tant que tel, mais la façon dont les autorités vaudoises ont interprété et appliqué cette disposition au cas du recourant. Or ce dernier n'a pas été puni pour avoir simplement fait de la publicité, mais parce que la publicité qu'il a faite a été jugée excessive par rapport aux usages de la profession.
3.
La LPA ne définit pas quels sont les usages auxquels les architectes vaudois sont tenus en matière de réclame. Dans son Exposé des motifs accompagnant le projet de loi sur la profession d'architecte, du 24 septembre 1965 (projet dont l'art. 8 prévoyait déjà que "l'architecte s'interdit toute publicité"), le Conseil d'Etat du canton de Vaud déclarait à propos des art. 5 à 13 dudit projet:
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"Sans négliger le point de vue selon lequel les règles de l'éthique professionnelle sont délicates a définir et qu'il appartiendra à la Chambre des architectes de les préciser par sa jurisprudence, le Conseil d'Etat a cependant jugé nécessaire de fixer dans un chapitre intitulé "Droits et devoirs de l'architecte" les principes fondamentaux de l'exercice de la profession d'architecte. Il l'a fait en s'inspirant largement du "Code des droits et devoirs de l'architecte" promulgué en 1955 à La Haye par l'Union internationale des architectes." (Bulletin des séances du Grand Conseil du canton de Vaud, automne 1976, p. 553.)
Lors de la discussion du projet de loi au Grand Conseil, le rapporteur de la commission parlementaire exposa, à la séance du 6 décembre 1966 à propos de l'art. 8, devenu l'art. 10: "La commission n'a pas apporté de modifications à cet article. La question de la publicité est réglée par le code de l'UIA et les dispositions de la SIA", sur quoi cette disposition fut acceptée (cf. Bulletin des séances, automne 1976, p. 600).
Le règlement sur la publicité de la SIA (Société suisse des ingénieurs et des architectes; Norme 154, édition 1973) - qui remplace les "Directives concernant la publicité", du 20 août 1954, et a été établi en collaboration avec les délégués de l'Association suisse des ingénieurs-conseils, de l'Union de sociétés suisses d'ingénieurs-conseils et de l'intergroupe des associations d'architectes du canton de Genève - restreint les membres de la SIA dans leur liberté en matière de publicité. Il dispose à son art. 1.2 que la publicité "admissible" ne doit pas porter atteinte à la dignité professionnelle et au principe de la collégialité; elle ne doit pas être excessive ou faite en relation avec des produits de tiers. Aux termes de l'art. 2.1, "porte atteinte à la dignité professionnelle toute publicité qui peut causer un préjudice quelconque aux professions d'ingénieur et d'architecte ou contient des indications fallacieuses. La promesse d'avantages ou la garantie de rabais, de faveurs et autres doit être considérée comme une atteinte particulièrement grave à la dignité professionnelle." L'art. 2.3 précise: "Est excessive toute publicité tapageuse qui se manifeste par des superlatifs ou prend des formes exagérées..." Ces règles sont applicables également à "toutes les personnes physiques et morales inscrites à la liste SIA des bureaux d'études" (art. 1.3). Elles ont été approuvées notamment par la Fédération des architectes suisses, par la Fédération suisse des architectes indépendants, et par l'Association suisse des ingénieurs-conseils.
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Il est vrai que, s'il n'est pas membre de la SIA, un architecte n'est pas directement lié par la réglementation interne que s'est donnée cette organisation professionnelle de droit privé. Toutefois, le recourant a tort lorsqu'il allègue qu'"il est vain à cet égard de faire référence aux règles SIA qui constituent des éléments de déontologie non requis dans la législation vaudoise". En effet, les règles fixées dans le règlement sur la publicité de la SIA, approuvées par plusieurs associations professionnelles, peuvent être considérées comme l'expression des principes déontologiques que tout architecte ou ingénieur doit respecter en Suisse et singulièrement dans le canton de Vaud. La référence du Conseil d'Etat aux "Branchenbedingungen" traitées par SCHÖNENBERGER/JÄGGI (no 437 ad
art. 1er CO
, cf. p. 6 de l'arrêt attaqué) n'est sans doute pas pertinente, en ce sens qu'il ne s'agit pas ici de déterminer le contenu d'un contrat conclu par un architecte avec un tiers. Il n'en reste pas moins que la norme 154 de la SIA peut être tenue pour l'expression des usages de la profession, dont les autorités vaudoises peuvent s'inspirer pour délimiter ce qui est licite en matière de publicité de ce qui ne l'est pas. On peut rapprocher ces règles de celles que contiennent les Us et Coutumes des associations (privées) d'avocats, à propos desquelles le Tribunal fédéral a déclaré qu'elles explicitent dans le détail ce que la loi détermine de façon générale et qu'elles ont, en ce sens, une portée qui dépasse le cercle privé des membres de l'association et valent de façon générale pour l'activité des avocats dans le canton (
ATF 98 Ia 360
consid. 3a; cf. aussi
ATF 87 I 266
et RJB 1952 p. 447 s. et 1957 p. 488 s.).
4.
C'est ainsi avec raison que le Conseil d'Etat, à la suite de la Chambre des architectes, a interprété l'
art. 10 LPA
en s'inspirant des principes formulés dans le règlement sur la publicité de la SIA. Cette interprétation n'est à tout le moins pas arbitraire, en particulier dans la mesure où elle signifie que tout architecte autorisé à exercer sa profession dans le canton de Vaud est tenu de s'abstenir, dans sa publicité, de tout excès, et de tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de la profession, notamment par la promesse d'avantages ou la garantie de rabais et autres faveurs.
Cette délimitation non arbitraire de la publicité admissible et de celle qui ne l'est pas est compatible avec la liberté du commerce et de l'industrie telle qu'elle découle de l'
art. 31 Cst.
pour
BGE 104 Ia 473 S. 479
l'architecte. La question de savoir si la restriction de la liberté de publicité fondée sur le principe de la collégialité (Norme SIA 154 art. 1.2 en relation avec l'art. 2.2) constitue un but de police couvert par l'intérêt public peut rester ouverte en l'espèce. En effet, dans la mesure où l'
art. 10 LPA
vise l'interdiction d'une publicité tapageuse et excessive, ou qui porte atteinte d'une autre manière à la dignité professionnelle, il tend à réaliser un but de police compatible avec l'
art. 31 Cst.
et le fait en respectant le principe de la proportionnalité. Si les architectes avaient toute liberté de faire une publicité qui ne respecte pas ces principes, il pourrait s'ensuivre une surenchère et des abus qui seraient préjudiciables non seulement à la dignité de la profession, mais surtout aux intérêts du public en général. Le législateur cantonal n'est donc pas sorti de son rôle en édictant des règles qui empêchent de tels abus, inadmissibles spécialement de la part de ceux qui entendent exercer une profession libérale à laquelle sont attachés des avantages non négligeables.
Le grief de violation de la liberté du commerce et de l'industrie doit ainsi être rejeté.