Urteilskopf
110 II 156
32. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 15 mai 1984 dans la cause dame L. contre dame D. et consorts (recours en réforme)
Regeste
Schweizerisches internationales Privatrecht. Versprechen, eine bewegliche Sache zu schenken. Anknüpfungsregeln.
1. Der Inhalt eines Vertrages, der eine Zuwendung zum Gegenstand hat, beurteilt sich nach dem Recht des Staates, in dem der Zuwendende wohnt (E. 2b).
2. Hinsichtlich der Form genügt es, wenn das Geschäft entweder die Anforderungen des Rechts erfüllt, dem sein Inhalt unterworfen ist (lex causae), oder dem Recht jenes Staates entspricht, auf dessen Gebiet es vorgenommen worden ist (lex loci actus) (E. 2c).
A.-
Le 20 septembre 1973, Paul D., citoyen suisse, né le 28 mai 1889, qui se trouvait alors à Genève, y a signé l'écrit ci-après:
"A Monsieur ...
Pour exécution.
Dès à présent, je vous prie de verser sa vie durant, mensuellement, la somme de Francs suisses 5'000.- (cinq mille F. suisses) à Mme Simone L., à Paris.
En reconnaissance de son total dévouement.
Mes héritiers devront se soumettre à la présente volonté.
Paul D.
Ordre valable post-mortem."
D. est décédé le 14 août 1974 à Lausanne.
La rente mensuelle de 5'000.- francs a été payée à dame L. avec effet rétroactif au 21 septembre 1973 et jusqu'à la mensualité du 20 janvier 1975.
Les héritiers de D., soit sa veuve dame Marie-Jane D., sa petite-fille et son petit-fils ont refusé de continuer à payer la rente.
B.-
Dame L. a assigné ces derniers en paiement solidaire d'une rente de 5'000.- francs par mois, le 21 de chaque mois, dès le 1er février 1975.
Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande et, reconventionnellement, au paiement de 85'000.- francs plus intérêt à 5% l'an dès le 24 février 1974, à titre de remboursement des rentes déjà versées.
Par jugement du 19 novembre 1981, le Tribunal de première instance du canton de Genève a rejeté la demande et alloué aux défendeurs leurs conclusions reconventionnelles.
Par arrêt du 14 octobre 1983, la Cour de justice a, sur appel de la demanderesse, confirmé le jugement attaqué.
C.-
Contre cet arrêt, la demanderesse interjette un recours en réforme dans lequel, en bref, elle reprend les conclusions de sa demande et conclut implicitement au rejet des conclusions reconventionnelles des défendeurs. A titre subsidiaire, elle demande que celles-ci ne soient admises que jusqu'à concurrence de 25'000.- francs.
Les intimés concluent au rejet du recours.
Considérant en droit:
2.
a) La cour cantonale admet à bon droit que l'acte litigieux doit être qualifié selon la loi du juge saisi (lex fori), soit en l'occurrence selon le droit suisse (
ATF 108 II 444
;
ATF 100 II 206
et les arrêts cités).
Les faits qu'elle retient et qui lient le Tribunal fédéral ont également conduit à juste titre la juridiction cantonale à considérer que, selon le droit suisse, l'acte litigieux était un acte entre vifs. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la distinction entre les actes entre vifs et à cause de mort ne doit pas se faire de
BGE 110 II 156 S. 158
manière schématique sur la base d'un critère abstrait mais en appréciant toutes les circonstances du cas particulier; c'est ainsi qu'il faut examiner spécialement au regard de ce que voulaient les contractants si l'acte était destiné à grever le patrimoine de l'obligé ou sa succession, soit à quel moment il devait sortir ses effets selon la volonté des contractants (
ATF 99 II 268
et les arrêts cités; cf. également ROTHENFLUH, Zur Abgrenzung der Verfügungen von Todes wegen von den Rechtsgeschäften unter Lebenden, thèse Berne 1983, spécialement p. 49/50). Or, la cour cantonale constate que la libéralité de D. a été acceptée par la bénéficiaire; un tel accord de volontés réciproques permet de conclure à l'existence d'un contrat. En outre, l'intention des parties était de faire bénéficier immédiatement dame L. de la rente promise, ainsi qu'il résulte notamment des versements faits à cette dernière du vivant de D. Il ne s'agissait donc point d'une promesse de donner à exécution différée jusqu'au jour de la mort du donateur (
art. 245 al. 2 CO
). Dès lors que la promesse de rente devait sortir ses effets immédiatement, quoique valable également après le décès, elle doit être globalement tenue pour un acte entre vifs. Par ailleurs, l'arrêt cantonal ne renferme point de faits permettant de penser que les parties auraient tenu ladite promesse pour un acte à cause de mort déguisé. En particulier, il n'y est point relaté que lorsque le contrat est venu à chef, D. était mourant; en fait, ce dernier n'est décédé que près d'une année plus tard.
Le contrat dont il s'agit ici peut être qualifié, selon le droit suisse, soit de contrat de rente viagère (
art. 516 ss CO
), en raison de la nature de la prestation promise, soit de promesse de donner (
art. 243 CO
), en raison du caractère gratuit de la promesse. Quelle que soit sa qualification, les règles de rattachement applicables sont en l'occurrence les mêmes.
b) Selon les règles de rattachement du droit international privé suisse, en l'absence d'élection de droit, les contrats sont soumis en général au droit de l'Etat avec lequel ils ont les rapports les plus étroits. D'ordinaire, pour les contrats bilatéraux, c'est le droit du domicile du débiteur de la prestation caractéristique qui s'applique; ainsi, les contrats ayant pour objet une libéralité sont soumis au droit de l'Etat dans lequel est domicilié l'auteur de la libéralité (
ATF 107 II 488
avec réf.). Il est sans intérêt pour la solution de la cause de savoir si en la matière il faudrait préférer à la notion de domicile celle de résidence habituelle (
ATF 89 I 314
,
ATF 94 I 243
,
ATF 94 II 230
, 99 II 245; cf. VISCHER, Droit international privé, p. 172/173).
Ressortissant au droit des conflits de loi, le domicile ou la résidence habituelle se détermine selon le droit suisse (
ATF 65 II 97
,
ATF 61 II 16
, 56 II 335; cf. par ex. NIEDERER, Einführung in die allgemeinen Lehren des internationalen Privatrechts, 3e éd., p. 167/168). Or les faits retenus par la cour cantonale dans son arrêt et qui lient le Tribunal fédéral démontrent que, le 20 septembre 1973, D. avait à Paris tant sa résidence habituelle que son domicile, quelle qu'en soit la définition exacte (
art. 23 ss CC
; cf. aussi art. 19 du projet de loi de droit international privé, FF 1983 I 457ss).
Les griefs formulés à ce sujet par la recourante à l'encontre de l'arrêt cantonal ne sont point fondés. Elle invoque une violation de l'
art. 8 CC
, au motif que la partie "droit" de l'arrêt contiendrait des faits non retenus dans la partie "faits". On ne voit pas en quoi cette disposition, qui régit la répartition du fardeau de la preuve et dont la jurisprudence a déduit aussi un droit à prouver les faits pertinents valablement allégués, serait ici violée. La recourante prétend encore que D. n'aurait pu être domicilié en France, du fait qu'il y jouissait du statut de conseiller d'ambassade du Nicaragua, ce qui lui aurait conféré le statut d'agent diplomatique au sens de l'art. 1er lettre e de la Convention de Vienne du 18 avril 1968 sur les relations diplomatiques. Les intimés font remarquer qu'en 1973 le Nicaragua n'était pas partie à cette convention internationale; de toute manière, aucune des dispositions citées par la recourante (art. 8, 20 et 30) n'empêche que, pour la détermination de rapports de droit privé entre personnes privées, le juge puisse utiliser le critère de rattachement du domicile ou de la résidence habituelle selon les normes du droit privé. Pour le surplus, la recourante se livre à une critique purement appellatoire des faits retenus dans l'arrêt attaqué, ce qui est inadmissible dans le cadre d'un recours en réforme (
art. 63 OJ
).
La cour cantonale a dès lors considéré à bon droit que, quant au fond, l'acte litigieux était soumis à la loi française.
c) En ce qui concerne la forme de l'acte, il suffit que celui-ci réponde aux exigences soit du droit auquel il est soumis au fond (lex causae), soit du droit de l'Etat sur le territoire duquel il a été passé (lex loci actus). L'alternative n'est exclue que si des motifs impératifs commandent un rattachement exclusif au droit applicable au fond (
ATF 106 II 39
/40, 102 II 148,
ATF 93 II 383
,
ATF 78 II 86
).
La cour cantonale cite à juste titre ces principes. Toutefois, sans
BGE 110 II 156 S. 160
autre explication, c'est selon le droit étranger applicable au fond (en l'occurrence le droit français) qu'elle juge du caractère impératif des exigences relatives à la forme pour en conclure qu'en l'espèce, le rattachement doit s'opérer exclusivement en faveur du droit applicable à l'acte au fond. Cette méthode ne saurait être approuvée. Relative au choix de la circonstance de rattachement, la question ressortit au droit international privé suisse; aussi est-ce à la lumière de ce dernier droit qu'il sied de décider si, vu la nature de l'acte, un rattachement exclusif plutôt qu'alternatif s'impose. C'est ainsi selon les conceptions du droit suisse que la jurisprudence du Tribunal fédéral a décidé que la vente immobilière devait être soumise à titre exclusif à la loi du lieu de situation de l'immeuble (
ATF 106 II 39
,
ATF 82 II 553
). Le Tribunal fédéral a par ailleurs rappelé qu'en règle générale, en matière mobilière, le respect des exigences de forme selon le principe locus regit actum suffisait (
ATF 102 II 148
). La règle est destinée à favoriser les transactions (favor negotii) (cf. SCHÖNENBERGER/JÄGGI, Kommentar zum OR Allg. Einleitung, n. 170). Jugeant de l'application de la clause de l'ordre public, le Tribunal fédéral a considéré qu'il n'était point contraire à l'ordre public suisse de faire exécuter en Suisse un cautionnement passé à l'étranger dans la forme prévue par le droit du pays concerné (
ATF 93 II 383
/384); cette jurisprudence se fonde aussi sur le principe de la favor negotii.
S'agissant de la forme de la promesse de donner (une chose mobilière) ou du contrat de rente viagère constituée à titre gratuit, le droit suisse les soumet à la forme écrite (
art. 243 al. 1, 517 CO
); on cherche vainement un motif impérieux - sous réserve des cas de fraude à la loi - qui empêcherait de prendre en considération la loi du lieu de l'acte. Le rattachement exclusif peut se comprendre dans le cas de certains actes pour lesquels une élection de droit n'est pas possible, notamment lorsqu'il s'agit de protéger la partie la plus faible au contrat (ainsi l'art. 117 du projet de loi sur le droit international privé concernant les contrats conclus par les consommateurs; cf. aussi VISCHER, Droit international privé, p. 194). Tel n'est cependant point le cas de la promesse de donner, pour laquelle en l'espèce les parties auraient pu choisir le droit suisse qui aurait aussi été applicable à la forme de l'acte, en qualité de lex causae. Il n'est pas nécessaire de rechercher ici si le rattachement exclusif s'imposerait en outre dans certaines circonstances spéciales où il existe des liens très étroits avec le territoire d'un Etat (cf. VISCHER, Internationales Vertragsrecht,
BGE 110 II 156 S. 161
p. 151 ss, spéc. p. 156); en effet, de tels rapports particulièrement étroits n'existent point avec le territoire de l'Etat de domicile de l'auteur d'une promesse de donner, cela d'autant moins lorsque, comme en l'espèce, celle-ci doit être exécutée au moyen d'avoirs sis sur le territoire de l'Etat où la promesse de donner a été conclue.
Aussi doit-on admettre que la forme de la promesse de donner peut être régie par le droit suisse en tant que lex loci actus (dans le même sens SCHÖNENBERGER/JÄGGI, op.cit., n. 271).
d) Selon le droit suisse, la donation et la promesse de donner sont des contrats dont la perfection exige l'acceptation (
art. 1er CO
). Lorsque l'offre de conclure consiste dans la promesse écrite, il faut qu'elle soit acceptée. Le donateur étant seul obligé par un tel contrat unilatéral, il suffit qu'il signe seul l'acte pour lequel la forme écrite est prescrite (
art. 13 al. 1 CO
, en relation avec les
art. 243 et 517 CO
). En outre, s'agissant d'une libéralité, l'acceptation se présumera (
art. 6 CO
).
En droit international privé, les opinions sont partagées quant au droit applicable à titre de lex actus, lorsque le contrat a été conclu entre absents, situés sur le territoire d'Etats différents (cf. parmi d'autres, SCHÖNENBERGER/JÄGGI, op.cit., n. 185, 186; VISCHER/VON PLANTA, Internationales Privatrecht, p. 190; VISCHER, Internationales Vertragsrecht, p. 153; REITHMANN, Internationales Vertragsrecht, 3e éd., p. 215, ainsi que les références figurant chez ces auteurs). Il n'est point nécessaire à la solution de la cause de prendre ici position à ce sujet.
En effet, s'il ne résulte pas de l'arrêt attaqué que dame L. ait été présente lorsque fut rédigée et signée la lettre du 20 septembre 1973, le jugement du premier juge auquel la Cour de justice se réfère relate que dame L. a admis en avoir eu connaissance dans le courant de septembre 1973, soit, si l'on se réfère au procès-verbal de comparution personnelle de la demanderesse, le 21 ou le 22 septembre 1973. Or, à ce moment-là, D. et dame L. étaient encore en Suisse. Les intimés admettent en effet aussi que D. a logé à l'Hôtel Président à Genève, avec dame L., son infirmière, du 28 août au 22 septembre 1973. L'acceptation de la promesse de donner a donc été formulée en Suisse, tout comme l'offre. La solution ne serait pas différente si dame L. en avait été informée un peu plus tard, ce qui n'est point allégué. En effet, à supposer qu'elle en ait été informée en France et que cette acception soit inopérante selon le droit français, il faudrait admettre que la demanderesse aurait encore accepté la donation ultérieurement
BGE 110 II 156 S. 162
par actes concluants ou tacitement alors qu'elle se trouvait à nouveau en Suisse avec D. A cette époque, dame L. a toujours accompagné D. lors de ses déplacements à l'étranger, notamment en Suisse; ainsi, les intimés admettent que D. et son infirmière ont séjourné en Suisse à Genève à l'Hôtel du Rhône du 3 au 11 octobre 1973, puis à Genève dès le début de juillet 1974. Par ailleurs, la rente promise a été versée dès février 1974. Il est patent que, lors de ces séjours communs en Suisse, dame L. a, à tout le moins tacitement et selon les exigences du droit suisse (
art. 6 CO
), manifesté son intention d'accepter la promesse de donner. Ainsi, à supposer que la donation n'ait pas été valablement acceptée en France, elle l'aurait été ultérieurement en Suisse, selon le droit suisse.
Il en résulte que le contrat litigieux, constitutif d'une rente viagère à titre gratuit ou d'une promesse de donner (cf. supra consid. 2a), respecte la forme légale du droit suisse et qu'il est, de ce point de vue, valable.
3.
Ayant nié à tort la validité formelle de l'acte, la cour cantonale n'a pas abordé les autres moyens invoqués par les parties. Se rapportant, en partie tout au moins, à l'appréciation des preuves, leur examen doit être renvoyé à la cour cantonale. Celle-ci devra en particulier examiner si D. avait la capacité nécessaire pour agir. Il n'est pas indispensable de rechercher si, au regard de l'
art. 28 LRDC
, le droit français renvoie au droit national quant à la capacité de discernement. S'agissant d'un acte bilatéral dont l'offre et l'acceptation ont été formulées sur territoire suisse (cf. supra consid. 2d), il suffit de toute manière que la capacité soit donnée selon la lex loci actus; en effet, si l'
art. 7b al. 1 LRDC
prévoit que "les étrangers qui ne possèdent pas l'exercice des droits civils et qui font des actes juridiques en Suisse ne peuvent y exciper de leur incapacité si, aux termes de la loi suisse, ils étaient capables à l'époque où ils se sont obligés", la règle (inspirée par la favor negotii) vaut a fortiori pour les Suisses domiciliés à l'étranger mais faisant des actes juridiques en Suisse (VISCHER/VON PLANTA, Internationales Privatrecht, p. 52 ss, spéc. p. 55; la même solution est consacrée par l'art. 34 al. 1 du projet de loi de droit international privé, qui réserve en outre l'hypothèse où l'autre partie connaissait ou devait connaître l'incapacité au regard du droit de la résidence habituelle). C'est ainsi au regard de l'
art. 16 CC
que devra être examinée cette question.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
1. Admet partiellement le recours dans la mesure où il est recevable.
2. Annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.