Urteilskopf
116 II 326
59. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 7 juin 1990 dans la cause B. contre B. et G. (recours en réforme)
Regeste
Bundesgesetz über die Erhaltung des bäuerlichen Grundbesitzes: Verwandtenvorkaufsrecht.
Die Aufzucht von Blumen und Zierpflanzen fällt nicht unter den Begriff des landwirtschaftlichen Gewerbes im Sinne des EGG; ein Verwandter, der Gartenbau betreibt, kann daher im Hinblick auf diese Tätigkeit das Vorkaufsrecht gemäss
Art. 6 Abs. 1 EGG
nicht zum Ertragswert ausüben.
A.-
a) Jean B. est propriétaire d'un domaine agricole et forestier composé de diverses parcelles sises sur le territoire de la commune de ...; en 1972, il a cessé d'exploiter ce domaine, qu'il a affermé à un voisin, G. Le 27 octobre 1987, Jean B. a vendu à G. sa parcelle No 377 de 38 867 m2, en nature de pré-champ et bois, pour le prix de 450'000 francs.
Par lettre du 26 novembre 1987, Paul B., domicilié à ..., petit-fils de Jean B., a fait valoir un droit de préemption légal conformément à l'art. 6 al. 1 de la loi fédérale sur le maintien de la propriété foncière rurale, du 12 juin 1951 (LPR; RS 211.412.11). Vendeur et acheteur ayant formé opposition à l'exercice de ce droit, le
BGE 116 II 326 S. 327
conservateur du registre foncier du district de ... a imparti à Paul B. un délai pour ouvrir action en justice.
Par demande du 23 décembre 1987, déposée devant le Président du Tribunal civil du district de ..., Paul B. a intenté action contre Jean B. et G. aux fins d'être reconnu comme étant au bénéfice du droit de préemption légal sur ladite parcelle, et de se voir attribuer cet immeuble à sa valeur de rendement. Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande.
b) Paul B., né en 1963, a fait un apprentissage d'horticulteur auprès de la ville de ..., pour laquelle il a travaillé jusqu'en juin 1988. Il a été formé spécialement pour la culture des fleurs et il s'est perfectionné dans la culture des plantes d'ornement. Il aide son père, commerçant artisan, qui occupe une ancienne remise sise sur l'une des parcelles de Jean B.; Paul B. désire cependant s'installer à son compte et entreprendre la culture de fleurs et de plantes d'ornement, attendant pour cela d'avoir un terrain à sa disposition. Il a néanmoins refusé la proposition de son grand-père de lui remettre une parcelle de 3687 m2 de champ, car elle est située en bordure de forêt et ne conviendrait pas pour la culture de plantes d'ornement.
Lors de l'audience de jugement, Paul B. a déclaré qu'il ne comptait pas utiliser la totalité de la parcelle No 377 qu'il revendique, en tout cas au début, et qu'il louerait la surface inexploitée. S'il ne pouvait disposer des locaux occupés par son père, il devrait louer un hangar à un paysan. Pour compléter ses revenus provenant de la culture de fleurs, il effectuerait des travaux chez des tiers.
c) L'expert commis par le Président du Tribunal a précisé en particulier que la parcelle litigieuse ne faisait pas partie d'un secteur dans lequel la construction de serres était autorisée, selon le règlement communal sur le plan d'extension et la police des constructions; il a considéré en conséquence que seule l'exploitation d'une pépinière ornementale ou fruitière était envisageable au point de vue horticole.
d) Par jugement du 12 juin 1989, le Président du Tribunal civil du district de ... a rejeté la demande.
B.-
Statuant sur recours de Paul B., la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a, par arrêt du 24 octobre 1989, confirmé le jugement déféré.
C.-
Paul B. a recouru en réforme au Tribunal fédéral. Il persistait à demander à être mis au bénéfice du droit de préemption
BGE 116 II 326 S. 328
légal sur la parcelle vendue à G., cet immeuble lui étant attribué à sa valeur de rendement.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des considérants:
4.
Selon l'
art. 6 al. 1 LPR
, en cas de vente d'une exploitation agricole ou de parties importantes d'une exploitation, les descendants ont un droit de préemption. L'
art. 12 al. 1 LPR
précise que les parents en ligne directe, s'ils veulent acquérir le bien-fonds pour l'exploiter eux-mêmes et en paraissent capables, peuvent exercer le droit de préemption sur la base de la valeur de rendement prévue dans la loi fédérale du 12 décembre 1940 sur le désendettement de domaines agricoles (LDDA; RS 211.412.12).
a) La Chambre des recours, à la suite du premier juge, a rejeté la demande au motif que l'exploitation prévue par le demandeur, soit la culture de fleurs et de plantes d'ornement, n'entrait pas dans la notion d'exploitation agricole au sens de la LPR.
b) Le recourant soutient au contraire que l'
art. 12 al. 1 LPR
doit être interprété en ce sens que l'exploitation personnelle du sol est une condition suffisante d'application de cette disposition. Il fait valoir que, de toute manière, la tendance générale est maintenant d'élargir la notion d'agriculture et d'y englober notamment la production de fleurs et de plantes d'ornement: la conception alimentaire de l'agriculture est ainsi dépassée. Le recourant souligne que l'achat de la parcelle litigieuse représente pour lui la seule occasion de pouvoir exercer un jour son métier, un métier de la terre, en tant qu'indépendant.
c) L'
art. 1er LPR
, qui sert à interpréter les autres dispositions de la loi (
ATF 100 Ib 264
-265 consid. 3b;
ATF 90 I 271
), a précisé le but de celle-ci: protéger la propriété foncière rurale, fondement d'une paysannerie saine et capable d'un effort productif, encourager l'utilisation du sol, affermir le lien qui existe entre la famille et le domaine et favoriser la création et le maintien d'entreprises agricoles; quant à l'art. 2, il dispose que la loi s'applique aux biens-fonds affectés exclusivement ou principalement à l'agriculture (al. 1).
Ces mêmes termes de l'art. 2 se retrouvent à l'
art. 1er al. 1 LDDA
. Or, l'ordonnance sur le désendettement de domaines agricoles, du 16 novembre 1945 (RS 211.412.120), contient la définition suivante (art. 1er, al. 2):
BGE 116 II 326 S. 329
"Est réputé domaine agricole
un ensemble de terres et de bâtiments servant à faire produire par le sol
des matières organiques et à les utiliser, cet ensemble formant une
entreprise assez vaste pour constituer, d'après les conditions locales et
en cas d'exploitation rationnelle, le moyen d'existence essentiel d'une
famille."
Les al. 3 et 4 de l'art. 1er de l'Ordonnance sont en outre ainsi conçus:
"Sont réputées notamment domaines agricoles les entreprises consacrées,
exclusivement ou principalement, à la culture des champs, des prairies, de
la vigne, du maïs, du tabac, des légumes en plein champ, des semences, des
fruits, ainsi que les exploitations alpestres. La présente ordonnance
s'applique également aux exploitations d'horticulture consacrées,
exclusivement ou principalement, à la culture des légumes ou des fruits en
pleine terre."
Comme l'ont bien vu les juridictions cantonales, le législateur de 1951 entendait par propriété foncière rurale celle qui permettait la création et le maintien d'entreprises agricoles, ce dernier terme étant pris dans un sens d'utilisation du sol par les paysans. Les exploitations agricoles sont ainsi celles qui ont pour objet d'assumer les besoins alimentaires de la population et des animaux. Les définitions contenues dans l'ordonnance sur le désendettement des domaines agricoles, auxquelles se réfèrent la doctrine et la jurisprudence, indiquent clairement que c'est cette acception-là de l'agriculture que vise la LPR (cf. ARTHUR JOST, Handkommentar zum Bundesgesetz über die Erhaltung des bäuerlichen Grundbesitzes vom 12. Juni 1951, Berne 1953, ad art. 2 p. 7; FRANZ JENNY, Das Gesetz über die Erhaltung des bäuerlichen Grundbesitzes, RSJ 1953, p. 37 ss, notamment 39; PHILIPPE PIDOUX, Droit foncier rural, RDS 1979 II, p. 381 ss, spécialement p. 398;
ATF 110 II 468
; pour le droit successoral paysan, cf. WILLY NEUKOMM/ANTON CZETTLER, Le droit successoral paysan, 5e éd., Brugg 1983, p. 40-41).
Il résulte de cette analyse que la culture de fleurs et de plantes d'ornement n'entre pas dans la notion d'agriculture au sens de l'
art. 2 al. 1 LPR
.
d) Il est exact, comme le fait valoir le recourant, que la doctrine récente et des projets de loi actuellement en discussion abandonnent cette notion "alimentaire" de l'agriculture pour y faire entrer d'autres cultures, notamment la production de plantes d'ornement et de fleurs: l'agriculture engloberait ainsi toute utilisation du sol destiné à la production végétale dans un but
BGE 116 II 326 S. 330
économique qui doit être considéré comme une utilisation agricole: c'est ce que suggèrent BENNO STUDER/EDOUARD HOFER pour que la loi fédérale du 4 octobre 1985 sur le bail à ferme agricole (LBFA; RS 221.213.2) puisse atteindre le but qui lui est assigné (Le droit du bail à ferme agricole, Brugg 1988, p. 25).
Il est vrai aussi que le Conseil fédéral, dans son Message à l'appui des projets de loi fédérale sur le droit foncier rural, du 19 octobre 1988, propose d'admettre, selon l'art. 7 al. 1, qu'"est une entreprise agricole l'unité composée d'immeubles, de bâtiments et d'installations agricoles qui sert de base à une entreprise de production ou d'horticulture productrice exploitée à titre principal" (FF 1988 III 1048), mettant ainsi l'accent sur la rentabilité de l'entreprise plus que sur la nature de sa production (ibidem, p. 918).
On ne saurait cependant se fonder sur la loi concernant le bail à ferme agricole, pour donner à la loi relative à la propriété foncière rurale une interprétation souhaitée pour la première et non encore fixée dans ce sens; de même, un projet de loi destiné à remplacer dans plusieurs années le droit en vigueur - projet qui est du reste axé sur un principe de base différent - ne peut être retenu pour justifier une interprétation extensive de la loi actuelle. C'est donc en vain que le recourant invoque et la loi de 1985 et le projet du nouveau droit foncier rural.
e) Il en va de même quand il se réfère à l'arrêt du Tribunal fédéral du 15 juillet 1982, dans la cause Office fédéral de la justice contre Green Line S.A. (publié in Communications de droit agraire, 1985, cahier 2 p. 87 ss). Cet arrêt a été rendu par la IIe Cour de droit public à propos de l'Arrêté fédéral sur l'acquisition d'immeubles par des personnes domiciliées à l'étranger. Il s'agissait de déterminer si la société requérante, qui voulait construire un centre d'horticulture pour y exercer une activité de fleuriste et de pépiniériste, pouvait être considérée comme une entreprise exercée en la forme commerciale au sens des
art. 934 al. 1 CO
et 55 let. c ORC; sous cet angle, le Tribunal fédéral avait admis qu'une industrie pépiniériste ou horticole pouvait être une entreprise agricole; l'on ne saurait déduire de cette décision qu'il entendait admettre que la production de fleurs et de plantes ornementales tombait sous le coup de la LPR.
f) Il se justifie d'autant moins, en l'espèce, d'interpréter largement l'
art. 2 al. 1 LPR
que le requérant a précisé lui-même qu'il ne comptait pas utiliser, en tout cas au début, soit pendant
BGE 116 II 326 S. 331
quelques années, la totalité de la parcelle de 38 867 m2 dont il demande l'attribution et qu'il chercherait un locataire pour la surface inexploitée. Le droit de préemption prévu par l'
art. 6 LPR
est un droit personnel qui implique une exploitation par le bénéficiaire lui-même (cf.
ATF 81 II 574
ss;
88 II 189
). Il serait anormal qu'acquérant la parcelle à la valeur de rendement, le bénéficiaire puisse en tirer un rendement disproportionné par rapport à cette valeur: c'est ce que le législateur a expressément voulu empêcher, en prévoyant, à l'
art. 12 al. 5 LPR
, que le vendeur à l'encontre duquel le droit de préemption à la valeur de rendement a été exercé a droit au gain si le titulaire du droit de préemption aliène le bien-fonds. Certes, la location n'est pas une aliénation, mais si elle était prévue pour une très longue durée, elle pourrait avoir des effets semblables.
Par ailleurs, il faut relever que, selon le règlement communal sur le plan d'extension et la police des constructions, la construction de serres n'est pas autorisée sur la parcelle litigieuse. L'expert a estimé que, de ce fait, la viabilité horticole est peu envisageable et peu réaliste. Compte tenu de cette interdiction de construire des serres, nécessaires pour la culture de fleurs et de plantes ornementales, une interprétation large de l'
art. 2 al. 1 LPR
ne se justifie pas en l'espèce.
Le recours se révèle ainsi mal fondé.