Urteilskopf
116 II 459
86. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 12 octobre 1990 dans la cause Banque Z. contre B. (recours en réforme)
Regeste
Namensparheft; Sorgfaltspflicht einer Bank.
Tragweite einer Vertragsklausel, die der Bank erlaubt, den Inhaber eines Sparheftes als Berechtigten zu betrachten. Prüfung des guten Glaubens (
Art. 3 ZGB
).
A.-
B. est titulaire d'un livret d'épargne nominatif auprès de la Banque Z. En vertu d'une procuration du 4 mars 1983, inscrite
BGE 116 II 459 S. 460
au livret d'épargne, l'épouse de B. est autorisée à prélever toute somme en capital et intérêts sur le livret en question.
Les conditions régissant les livrets d'épargne de la Banque Z. (ci-après: "conditions générales") prévoient, à leur article 2, que la présentation du livret est indispensable pour chaque retrait et que l'avoir peut être retiré sans avertissement jusqu'à concurrence de 1'000 francs par mois, montant porté ultérieurement à 10'000 francs, sans que les titulaires des livrets d'épargne en aient été avisés personnellement. Quant au chiffre 3 des "conditions générales", il a la teneur suivante:
"La banque a le droit de réputer titulaire d'un livret, ou mandataire du
titulaire avec pouvoir d'opérer tous retraits, le porteur de ce livret;
elle décline toute responsabilité en cas d'usage abusif d'un livret. Elle
peut aussi exiger toutes justifications quelconques."
B.-
Le 2 mars 1988, B. a constaté la disparition de son livret d'épargne conservé à son domicile. Le 8 mars suivant, il en a avisé la Banque Z., qui a immédiatement bloqué le compte. Il s'est avéré qu'entre-temps, le 16 février 1988, un prélèvement de 15'000 francs avait été opéré sur ce livret. L'enquête ouverte à la suite de la plainte pénale déposée par B. pour vol et escroquerie n'a pas abouti et a été suspendue.
Selon l'enquête pénale, le prélèvement de 15'000 francs a été opéré par une femme au guichet du siège de la Banque Z. à Neuchâtel; elle a présenté le livret d'épargne, signant le récépissé du prélèvement au nom de "B.". Pensant qu'elle était la femme du titulaire, autorisée par procuration à effectuer des prélèvements, l'employée du guichet ne lui a pas demandé de pièce de légitimation; elle a également renoncé à l'exigence du préavis de trois mois applicable pour un tel retrait, les directives internes de la banque autorisant les employés du guichet à le faire lorsque le montant ne dépasse pas 15'000 francs. Après ce prélèvement, le solde du livret était de 81'847 fr. 15.
C.-
B. a essayé en vain d'obtenir de la Banque Z. la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à la suite du prélèvement indu.
Le 31 mars 1987, il a ouvert action contre la Banque Z. en paiement de 15'000 francs, plus intérêts.
Par jugement du 7 mai 1990, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a condamné la Banque Z. à payer à B. 15'000 francs plus intérêts.
D.-
En temps utile, la Banque Z. interjette un recours en réforme. Elle conclut à l'annulation du jugement cantonal en ce sens qu'elle est libérée du paiement de 15'000 francs, plus intérêts et accessoires.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extraits des considérants:
1.
Alors que, de manière incontestée, la doctrine reconnaît au carnet d'épargne le caractère d'un titre au porteur imparfait au sens de l'art. 976 CO, le Tribunal fédéral n'a jamais tranché la question (voir JÄGGI/DRUEY/VON GREYERZ, Wertpapierrecht, p. 80 ss, notamment 82, et les références). Dans le cas particulier également, le Tribunal fédéral peut la laisser indécise, le litige pouvant être résolu à la lumière des clauses contractuelles liant les parties et des principes généraux du code des obligations.
De toute façon, la notion de bonne foi contenue à l'art. 976 CO n'étant pas différente de celle définie à l'art. 3 CC, la solution demeure inchangée selon que l'une ou l'autre de ces dispositions trouve application. Dans ces conditions, la recourante ne peut pas reprocher à la cour cantonale d'avoir "vidé de son sens" la première disposition citée en appliquant, en lieu et place, la seconde. En définitive, doit seulement être recherché, en l'espèce, si la banque défenderesse, respectivement l'employée du guichet, a fait preuve de l'attention que les circonstances permettent d'exiger d'elle en payant les 15'000 francs litigieux sur simple présentation du carnet d'épargne, sans demander une pièce attestant de l'identité du porteur.
2.
a) Dans la mesure où il dispense la banque de vérifier l'identité du porteur d'un livret nominatif, le chiffre 3 des "conditions générales" doit être interprété restrictivement; non seulement il a été rédigé par la banque elle-même, mais encore cette disposition permet à l'établissement bancaire d'affaiblir considérablement les garanties de sécurité qu'il est censé fournir à la clientèle lors de dépôts ou de prêts. Pour apprécier l'attention exigée par les circonstances, ne doivent, à cet égard, être perdus de vue ni le contrat à la base du livret d'épargne, ni, surtout, la personne du débiteur; cette dernière présente un aspect sécurisant et protecteur aux yeux du public en général et des créanciers en particulier.
Dans ces conditions, le droit de la banque de renoncer à vérifier auprès du porteur sa qualité de créancier ne doit pas être utilisé
BGE 116 II 459 S. 462
sans réserve, notamment si les circonstances s'écartent du cours normal des opérations prévues contractuellement ou résultant de la pratique. Ainsi, nonobstant la faculté conférée par des conditions générales, tant les règles de la bonne foi que la nature du contrat exigent que la banque se montre vigilante lors de toute opération sortant - même modestement - de l'ordinaire; eu égard au principe de la bonne foi, elle ne peut sans autre se réfugier derrière une clause lui permettant de ne pas vérifier l'identité du porteur d'un livret nominatif.
b) Or, en l'espèce, l'opération litigieuse présentait la particularité, déjà insolite, que le montant demandé par le porteur du livret dépassait la limite fixée par la banque dans ses "conditions générales" pour les retraits sans préavis. Certes, une telle limite a été prévue en faveur de la banque, qui pouvait donc y renoncer. Mais cette limitation ne reste pas sans effet sur la clientèle; cette dernière peut en déduire qu'elle ne sera pas dépassée sans l'accord du titulaire du livret. En réalité, comme il s'agit d'une modification des conditions du contrat, l'accord du client cocontractant doit être dûment reconnu et constaté par la banque. Et cela n'est possible qu'en vérifiant l'identité du porteur, qui doit être le titulaire lui-même ou un représentant autorisé.
Au vu des particularités de l'espèce, la cour cantonale a jugé, avec raison, que l'employée de la recourante n'avait pas agi avec la circonspection exigée par les circonstances. La banque n'est ainsi pas libérée par le paiement de 15'000 francs fait en main d'une personne non autorisée à disposer de l'avoir en compte de l'intimé. La dette de la recourante envers son client doit être reconnue pour la totalité des 15'000 francs, puisque, selon les constatations de fait, si l'employée avait demandé au porteur une pièce d'identité, celui-ci aurait été démasqué.