Urteilskopf
118 IV 239
43. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 1er juillet 1992 dans la cause Ministère public du canton de Vaud c. X. (pourvoi en nullité)
Regeste
Art. 140 StGB
; Veruntreuung.
Tantiemen eines Verwaltungsrates, der diese Funktion zwar im eigenen Namen ausübt, aber als Mitglied einer Behörde verpflichtet ist, die Beträge dem Gemeinwesen abzuliefern, stellen kein anvertrautes Geld dar.
X. a été pendant plusieurs années conseiller municipal responsable des Services industriels de la commune de L. Dès son accession à cette fonction, X. est devenu administrateur ou membre de la direction de diverses sociétés à but lucratif; dans le cadre de ces activités, des tantièmes lui ont été versés. Le règlement de la Municipalité de L. prévoit que les membres de cette autorité ne peuvent appartenir à l'administration d'aucune entreprise ou société poursuivant un but lucratif, sauf si la commune y a un intérêt manifeste. Les tantièmes perçus par les membres de la Municipalité dans le cadre d'une telle activité doivent être versés à la caisse communale.
La commune a constaté que X. n'avait restitué qu'une partie des tantièmes perçus et que le retard accumulé dans ces paiements était allé en s'accroissant jusqu'à atteindre un montant de 28'000 francs. Il a en outre été établi que X. ne disposait pas pendant la période considérée des fonds qui lui auraient permis de régler en tout temps ce qu'il devait à la caisse communale. Sommé par le syndic de s'acquitter de cette dette, il l'a fait en plusieurs versements atteignant, au demeurant, un montant supérieur à ce qui était dû.
En première instance, X. a été reconnu coupable d'abus de confiance qualifié et condamné à une peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis pendant 2 ans. Sur recours du condamné, l'autorité cantonale a substitué à cette qualification juridique celle de gestion déloyale et a réduit la peine à 6 mois d'emprisonnement avec sursis pendant 2 ans.
Le Tribunal fédéral a rejeté le pourvoi déposé par le Ministère public qui soutenait que les faits de la cause devaient être qualifiés d'abus de confiance.
Extrait des considérants:
2.
a) La seule question litigieuse est de savoir si les faits retenus par la cour cantonale doivent ou non être qualifiés d'abus de confiance.
Pour s'acquitter de l'obligation découlant du règlement communal, il est constant que l'accusé disposait de plusieurs voies et qu'il pouvait - comme il l'a fait - mélanger les tantièmes reçus avec
BGE 118 IV 239 S. 241
son patrimoine, avant de payer la somme due sur présentation d'une facture. La question litigieuse doit donc être examinée à la lumière de l'
art. 140 ch. 1 al. 2 CP
.
Commet un abus de confiance, selon cette disposition, celui qui, sans droit, aura employé à son profit ou au profit d'un tiers une chose fongible, notamment une somme d'argent, qui lui avait été confiée.
Contrairement à ce qui est prévu au premier alinéa de l'
art. 140 CP
, lorsque la chose confiée est fongible, il n'est pas nécessaire qu'elle soit la propriété d'autrui pour que son emploi illicite entraîne la répression pénale, sans quoi le mélange suffirait à exclure l'infraction; dans ce cas, la chose est confiée aussitôt que l'auteur la reçoit - et en acquiert le cas échéant la propriété indépendamment de sa volonté - avec l'obligation de l'utiliser d'une manière particulière dans l'intérêt d'autrui, que ce soit pour la garder, l'administrer ou la livrer, selon des instructions qui peuvent être expresses ou tacites; la chose confiée peut avoir été remise matériellement à l'auteur non seulement par la victime, mais également par un tiers (
ATF 118 IV 33
consid. 2a,
ATF 106 IV 259
consid. 1,
ATF 101 IV 163
consid. 2a et les références citées).
b) La question essentielle en l'espèce est de savoir si les tantièmes, au moment où ils étaient versés à l'accusé, lui étaient confiés en vue de les transmettre à la commune de L.
Selon la définition jurisprudentielle, une somme est confiée lorsqu'elle est remise ou laissée à l'auteur pour qu'il l'utilise de manière déterminée dans l'intérêt d'autrui, en particulier pour la garder, l'administrer ou la remettre selon des instructions qui peuvent être expresses ou tacites (
ATF 118 IV 34
consid. c,
ATF 117 IV 257
consid. 1a et les arrêts cités). La doctrine considère généralement cette formule comme trop large (TRECHSEL, Kurzkommentar, ad art. 140 No 4; SCHULTZ, RJB 105 (1969) 402 ss; NOLL, Bes. Teil I p. 151; REHBERG, Strafrecht III, 5e éd., p. 95; STRATENWERTH, Bes. Teil I, 3e éd., No 62 p. 191). Ces critiques ne sauraient en tout cas inciter à une interprétation plus extensive encore.
S'agissant du transfert d'une somme d'argent, on peut concevoir deux hypothèses: soit les fonds sont confiés à l'auteur par celui qui les lui remet, soit les fonds sont confiés par celui pour lequel l'auteur les encaisse. Pour que l'on puisse parler d'une somme confiée, il faut cependant que l'auteur agisse comme auxiliaire du paiement ou de l'encaissement, en tant que représentant direct ou indirect, notamment comme employé d'une entreprise, organe d'une personne morale ou fiduciaire.
Cette condition n'est pas remplie lorsque l'auteur reçoit l'argent pour lui-même, en contrepartie d'une prestation qu'il a fournie pour son propre compte, même s'il doit ensuite verser une somme équivalente sur la base d'un rapport juridique distinct; l'inexécution de l'obligation de reverser une somme ne suffit pas à elle seule pour constituer un abus de confiance (
ATF 80 IV 55
; NOLL, op.cit., p. 153).
Ainsi, la jurisprudence récente a admis qu'il n'y avait pas d'abus de confiance de la part du patient qui encaisse la prestation de sa caisse maladie, mais ne paie pas la facture de la clinique (
ATF 117 IV 256
ss); il n'y a pas lieu non plus d'appliquer l'
art. 140 CP
lorsqu'un aubergiste encaisse la taxe de séjour sur sa facture, mais n'en verse pas le montant à l'administration (
ATF 106 IV 355
ss); en revanche, commet un abus de confiance le gérant d'un hôtel qui ne remet pas à son employeur les ristournes consenties à celui-ci par les fournisseurs (
ATF 106 IV 257
ss); il en va de même lorsqu'une personne ne verse pas le prix d'un achat qu'elle a encaissé et qui est destiné à son employeur (
ATF 106 IV 15
ss) ou encore lorsqu'un mandataire procède à un encaissement d'argent pour le compte du mandant (
ATF 101 IV 163
consid. 2a; pour un rappel de l'ensemble de la jurisprudence à ce sujet, voir SCHUBARTH, Kommentar Strafrecht, Bes. Teil II, art. 140 n. 38 s.).
c) A la lumière de ces principes, le cas d'espèce doit être analysé de la manière suivante.
Le recourant est devenu membre du Conseil d'administration de diverses sociétés en raison de sa qualité de conseiller municipal; cependant, il y siégeait à titre individuel, puisque seules des personnes physiques peuvent fonctionner en tant qu'administrateurs (
art. 707 al. 3 CO
). Comme il avait lui-même la qualité d'administrateur, les tantièmes lui étaient dus à titre personnel (voir
art. 677 CO
). A l'égard de la société, la commune de L. n'était pas créancière des tantièmes et la société se libérait en les versant en mains de son administrateur agissant en son propre nom et pour son propre compte. On ne saurait donc dire que les sociétés confiaient les tantièmes au recourant pour qu'il les transmette à la commune de L.; en effet, elles se libéraient par le paiement en mains de l'administrateur et l'usage que celui-ci faisait des fonds reçus ne les concernait en aucune manière.
d) S'il est ainsi établi que le recourant, au moment où il recevait les tantièmes, n'agissait pas en tant qu'auxiliaire du paiement, il reste à se demander s'il agissait en tant qu'auxiliaire de l'encaissement.
Certes, le recourant était un organe de la commune de L., mais cela ne suffit pas pour conclure qu'il encaissait les tantièmes en tant qu'auxiliaire de celle-ci. Il faut tout d'abord rappeler que la commune n'était pas créancière des tantièmes à l'égard de la société. Il n'était donc pas question pour la commune d'encaisser sa propre créance par l'entremise d'un organe, d'un employé ou d'un représentant.
On remarquera d'autre part que, selon le règlement communal, le recourant pouvait garder pour lui notamment les jetons de présence. On doit en déduire qu'il n'était pas rétribué pour ce travail par la commune et qu'il s'agissait d'une activité lucrative accessoire, extérieure à sa charge. Cet élément confirme qu'il n'agissait pas simplement en qualité d'auxiliaire de la commune.
Les tantièmes constituent une part de bénéfices destinée à récompenser les administrateurs. Il est donc logique qu'ils reviennent aux personnes physiques qui ont assumé cette charge. Toutefois, comme il ne s'agit pas à proprement parler de rémunérer une activité, la commune n'a pas voulu que ses conseillers s'enrichissent de cette façon grâce à des sièges obtenus du fait de leur fonction officielle. Il a donc été prévu une obligation de restitution, qui tend à sauvegarder l'image du magistrat, et qui constitue une partie intégrante de son statut. Ainsi, on ne saurait dire que le conseiller municipal encaisse des tantièmes en qualité d'auxiliaire de la commune; il apparaît au contraire que les tantièmes lui sont dus à titre personnel, mais qu'il est tenu, en raison de son statut particulier, de les rendre à la commune.
Les modalités de paiement décrites confirment d'ailleurs que le conseiller municipal pouvait disposer des sommes reçues, en attendant la facture par laquelle la commune lui en réclamait le paiement.
Ainsi, il y a une césure nette entre l'encaissement des tantièmes par l'administrateur et la dette du magistrat à l'égard de la commune; on ne saurait donc dire que le conseiller municipal, au moment où il encaisse les tantièmes, agit comme auxiliaire du paiement ou de l'encaissement; partant, ces sommes ne lui ont pas été confiées, et c'est à juste titre que la cour cantonale a nié l'existence d'un abus de confiance.