Urteilskopf
118 IV 248
45. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 10 juillet 1992 dans la cause A., B., C. et D. c. X. et Y. (pourvoi en nullité)
Regeste
Art. 173 ff. StGB
; Ehrverletzung.
Der Angeklagte, der im Rahmen des Strafverfahrens ihn belastende Aussagen bestreitet, macht sich gegenüber deren Urheber in der Regel nicht der Ehrverletzung schuldig; er ist durch
Art. 32 StGB
geschützt, wenn er sich auf notwendige und erhebliche Äusserungen beschränkt und nicht unnötig verletzende Ausdrücke gebraucht (E. 2b und E. 2d).
Der Anwalt, der im Strafverfahren Bestreitungen seines Mandanten übernimmt, kann sich ebenfalls auf
Art. 32 StGB
berufen, wenn er sich auf notwendige und erhebliche Äusserungen beschränkt; Behauptungen darf er nicht wider besseres Wissen aufstellen und blosse Vermutungen muss er als solche bezeichnen (E. 2c).
A.-
Le 26 décembre 1989, alors que les époux D. et X. connaissaient de graves difficultés conjugales, A., B. et C., respectivement mère, père et frère de l'épouse, ont déposé plainte pénale pour menaces contre X., le mari.
Dans le cadre de la procédure pénale, celui-ci, défendu par l'avocat Y., a contesté les faits, soutenant en substance que sa belle-famille faisait bloc contre lui et ne disait pas la vérité. Ses dénégations furent rejetées par le Juge-instructeur III du district de Sierre qui, par jugement du 20 mars 1991, le condamna, pour menaces, à une amende et à une indemnité envers les plaignants; cette décision fut confirmée, sur appel, par le Tribunal du IIe arrondissement pour le district de Sierre le 2 septembre 1991.
B.-
Le 19 juin 1991, A., B. et C. ont déposé plainte pénale contre Y. pour diffamation et injures et contre X. pour instigation à ces infractions et calomnie; le même jour, D. a déposé plainte contre Y. pour diffamation et contre X. pour instigation à cette infraction et calomnie.
Ils se plaignent des termes employés par l'avocat, dans le cadre de la procédure pénale pour menaces dirigée contre X., d'une part lors de sa plaidoirie devant le Juge-instructeur III et d'autre part dans le mémoire d'appel adressé au Tribunal du IIe arrondissement. A. et B. soutiennent que la défense adoptée par l'accusé et son avocat revenait à les accuser de dénonciation calomnieuse; C. estime qu'il a été ainsi accusé d'instigation à faux témoignage et de dénonciation calomnieuse, tandis que D., qui a témoigné dans la procédure dirigée contre son mari, considère qu'elle a été accusée de faux témoignage.
Le 3 mars 1992, le Juge d'instruction pénale a refusé de donner suite à ces plaintes et la Chambre pénale du Tribunal cantonal a confirmé cette décision par arrêt du 5 mai 1992. Cette dernière autorité a considéré que les allégations litigieuses étaient liées à la défense pénale et que dans ce contexte elles n'étaient pas susceptibles de léser l'honneur.
C.-
Contre cet arrêt, les plaignants se sont pourvus en nullité à la Cour de cassation du Tribunal fédéral. Invoquant une violation de l'
art. 173 CP
, en relation avec l'
art. 32 CP
, ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué, sous suite de frais et dépens, et sollicitent par ailleurs l'effet suspensif.
Extrait des considérants:
2.
a) Dans leur pourvoi, les recourants soutiennent qu'ils ont été victimes d'une diffamation au sens de l'
art. 173 ch. 1 CP
- contrairement à ce qu'a admis la Chambre pénale cantonale -, parce que le système de défense adopté par l'accusé et son avocat, dans le cadre de la procédure pénale pour menaces, revenait à dire qu'ils avaient menti et qu'ils s'étaient rendus coupables d'une infraction, à savoir - suivant les cas - la dénonciation calomnieuse, le faux témoignage et l'instigation à faux témoignage.
La Chambre pénale cantonale, pour sa part, a estimé - sans faire aucune référence à l'
art. 32 CP
- que les propos litigieux s'inscrivaient dans le cadre de la défense d'un accusé contestant les faits qui lui étaient reprochés et que, dans ce contexte, ils n'étaient pas susceptibles de porter atteinte à l'honneur.
b) Celui qui, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon d'avoir commis un crime ou un délit intentionnel
BGE 118 IV 248 S. 251
se rend en principe coupable d'une atteinte à l'honneur (cf. TRECHSEL, Kurzkommentar StGB, vor Art. 173 No 4 et les références citées). Cependant, pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut procéder à une interprétation objective selon le sens que le destinataire non prévenu devait, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (
ATF 117 IV 29
s.,
ATF 105 IV 118
consid. b, 196 consid. 2a). Les mêmes termes n'ont donc pas nécessairement la même portée suivant le contexte dans lequel ils sont employés. C'est ainsi que dans le cadre d'une campagne électorale où chacun sait que les attaques entre adversaires politiques doivent être prises avec une grande circonspection, on n'admettra qu'avec beaucoup de retenue l'existence d'une atteinte à l'honneur (
ATF 116 IV 150
consid. c,
ATF 105 IV 196
consid. 2a et b).
En l'espèce, les propos ont été tenus pour la défense d'un accusé. Il faut relever en premier lieu qu'ils ne sont parvenus à la connaissance que des membres du tribunal et des parties à la procédure, c'est-à-dire d'un nombre restreint de personnes qui, de surcroît, étaient toutes parfaitement conscientes des circonstances dans lesquelles ils avaient été énoncés. Or, dans un tel contexte, chacun comprend que l'accusé représenté par son avocat, lorsqu'il conteste les déclarations selon lesquelles il aurait commis une infraction, s'efforce d'échapper à la poursuite pénale en provoquant un examen critique des moyens de preuve invoqués à son encontre. On sait que les dénégations de l'accusé ne seront pas suivies aveuglément, mais évaluées en regard des autres éléments recueillis. La contestation des déclarations à charge ne s'interprète pas comme une atteinte à l'honneur de leur auteur, mais comme une réaction de défense qui appelle une appréciation des preuves. Dans une telle situation, on ne saurait tolérer que le droit du prévenu de se défendre soit limité par la crainte de n'être pas en mesure de rapporter la preuve libératoire (SCHUBARTH, Kommentar Strafrecht, Bes. Teil., 3e vol., art. 173 No 111). Cela a pour conséquence que, dans des circonstances de ce genre, l'on ne peut admettre qu'avec beaucoup de retenue l'existence d'une atteinte à l'honneur susceptible de répression pénale.
Il ne faut, de surcroît, pas oublier qu'avant qu'un recours à une procédure pénale ne soit nécessaire dans un pareil contexte, le juge a la possibilité de prononcer des peines disciplinaires à l'encontre des plaideurs qui adoptent un comportement incorrect (PIQUEREZ, Précis de procédure pénale suisse, No 610). Or, une telle sanction devrait s'avérer suffisante dans la majorité des cas où une partie ou son mandataire a quelque peu outrepassé ses droits.
Une interprétation contraire conduirait à entraver gravement les droits de la défense et à donner un prolongement, par la voie des délits contre l'honneur, à presque toutes les affaires pénales contestées. En effet, le droit pénal réprime aussi bien l'acte pour lequel l'accusé est poursuivi que la dénonciation calomnieuse et le faux témoignage; en conséquence, les déclarations faites dans le cadre du procès, en cas de contestation, pourraient presque toujours donner lieu à une poursuite subséquente pour atteinte à l'honneur. Celui qui, dans un procès pénal, fait une déclaration à charge ne doit pas se sentir atteint dans son honneur si l'accusé la conteste; il doit y voir une simple réaction de défense. D'ailleurs, en l'espèce, le fait que le juge ait écarté les dénégations de l'accusé était de nature à donner satisfaction aux recourants.
c) Même si l'on devait considérer qu'il y a atteinte à l'honneur, la jurisprudence admet qu'elle peut être justifiée, sous l'angle de l'
art. 32 CP
, par l'obligation d'alléguer dans le cadre d'une procédure judiciaire (
ATF 116 IV 213
s. consid. 4 et les arrêts cités), dont l'avocat peut également se prévaloir (
ATF 118 IV 161
consid. b; SCHUBARTH, op.cit., art. 173 No 111).
Il faut cependant, selon cette jurisprudence, que la partie se soit limitée à ce qui était nécessaire et pertinent, qu'elle ait articulé ses propos de bonne foi et qu'elle ait présenté comme telles de simples suppositions (
ATF 116 IV 214
).
Il apparaît d'emblée en l'espèce que l'avocat Y. a rempli ces conditions, ce qui suffit pour justifier le refus de suivre à son encontre. En effet, les propos litigieux ont tous pour but de contester le fait que l'accusé X. ait proféré des menaces et de mettre en doute les déclarations qui lui sont opposées à ce sujet. Ils étaient donc nécessaires et pertinents pour la défense. On ne voit pas non plus que l'avocat ait eu des raisons de douter des dénégations catégoriques et des affirmations de son client, de sorte qu'il s'est exprimé de bonne foi. Il n'a pas davantage recouru à des formules inutilement blessantes. C'est à tort que C. prétend, dans sa plainte, que le mémoire d'appel aurait sous-entendu qu'il avait commis des fraudes ou des tromperies; il est simplement indiqué dans cette écriture que des avocats ont été condamnés pour de telles infractions, de sorte que le seul fait que C. soit avocat n'implique pas que l'on doive le suivre aveuglément dans ses déclarations.
d) La question est évidemment plus délicate en ce qui concerne X., dont les plaignants contestent la bonne foi.
On doit cependant se demander si l'exigence de la bonne foi, formulée de façon générale à l'
ATF 116 IV 214
, est applicable au cas particulier de l'accusé qui conteste à tort la véracité des déclarations à charge.
Il est communément admis que l'accusé n'a pas l'obligation d'avouer et qu'il a le droit de se taire (STRATENWERTH, Darf der Verteidiger dem Beschuldigten raten zu schweigen? RSJ 74 (1978) p. 218; DOMINIQUE PONCET, La protection de l'accusé par la Convention européenne des droits de l'homme, Genève 1977 p. 141; PIQUEREZ, op.cit., No 965 s. et les références citées). En présence de déclarations précises qui l'accusent, il ne pourrait assurer une défense efficace en se bornant à garder le silence; il est donc admis qu'il n'est pas obligé de dire la vérité et qu'il ne saurait être poursuivi pour de fausses dénégations. On ne saurait détourner ce principe par la construction artificielle consistant à voir dans la dénégation de l'accusé une allégation de dénonciation calomnieuse ou de faux témoignage à l'encontre de la personne qui a déposé contre lui. On créerait en effet ainsi un risque, qui a déjà été qualifié plus haut d'inadmissible, que le droit du prévenu de se défendre soit entravé par la crainte de ne pas être en mesure de rapporter la preuve libératoire.
La situation particulière de celui qui est accusé au pénal commande de modifier le principe général de l'
ATF 116 IV 211
ss. On ne saurait cependant admettre que l'accusé puisse employer n'importe quel moyen et, par exemple, qu'il échafaude - en dehors de la contestation du fait délictueux lui-même - des mensonges attentatoires à l'honneur pour ruiner la réputation de la personne qui dépose contre lui.
Ainsi, il faut admettre que l'ordre juridique permet - au sens de l'
art. 32 CP
- à l'accusé de contester avoir commis l'acte délictueux qui lui est reproché et de soulever des arguments de nature à mettre en doute la crédibilité des déclarations qui lui sont opposées; il faut cependant qu'il se limite à ce qui est nécessaire et pertinent, sans recourir à des formules inutilement blessantes; en dehors de la contestation des éléments constitutifs de l'infraction qui lui est reprochée, il ne peut pas, pour ruiner la crédibilité des déclarations à charge, proférer des allégations fausses ou qu'il n'a pas de raisons suffisantes de tenir de bonne foi pour vraies.
En l'espèce, il a déjà été constaté, dans le cas de l'avocat Y., que les propos litigieux se limitaient à ce qui était nécessaire et pertinent, sans recourir à des formules inutilement blessantes, pour contester l'acte délictueux et mettre en doute la crédibilité des déclarations à
BGE 118 IV 248 S. 254
charge. Même si l'accusé savait que ses dénégations étaient fausses, l'ordre juridique lui permettait la contestation et la critique des moyens de preuve, de sorte que l'
art. 32 CP
exclut une condamnation de ce chef pour atteinte à l'honneur. Il n'en irait différemment que si, en dehors de la contestation des menaces, l'accusé avait allégué, au sujet des personnes qui déposaient contre lui, des faits attentatoires à l'honneur qui étaient faux ou qu'il n'avait pas de raisons suffisantes de tenir pour vrais. Or, les constatations cantonales - qui lient la Cour de cassation (
art. 277bis al. 1 PPF
) - ne contiennent rien de précis dans ce sens, pas plus d'ailleurs que le mémoire des recourants. Ainsi, le refus de suivre à l'égard de X., même si l'on devait considérer que sa défense était objectivement attentatoire à l'honneur, ne viole pas le droit fédéral.