Urteilskopf
120 Ia 67
10. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 14 mars 1994 dans la cause L. T. contre Conseil d'Etat du canton du Valais (recours de droit public)
Regeste
Art. 31 BV
; Art. 6 des Beschlusses vom 7. Juli 1993 über die Ursprungsbezeichnungen der Walliser-Weine (AOC-Beschluss); qualitative Ertragsgrenzen der Flächen.
Mit der vom Kanton Wallis vorgesehenen Begrenzung der Produktion von Weinen der Kategorie II (Goron) soll nicht nur eine Verbesserung der Qualität erzielt, sondern auch die Überproduktion verhindert werden. Diese Massnahme ist mit
Art. 31 BV
vereinbar: sie beruht auf einer genügenden gesetzlichen Grundlage (E. 2), kann sich auf ein überwiegendes öffentliches Interesse stützen und ist verhältnismässig (E. 3).
A.-
L'art. 1 al. 1 de l'arrêté fédéral du 19 juin 1992 sur la viticulture (RS 916.140.1; ci-après: arrêté fédéral) dispose:
"La Confédération encourage la viticulture en:
a. autorisant la plantation de vignes uniquement dans les régions qui s'y prêtent;
b. soutenant la production de qualité et ses appellations;
c. adaptant les récoltes à la situation du marché et à sa capacité d'absorption."
Selon l'art. 14 al. 1 dudit arrêté, les moûts sont classés comme suit:
"Les apports de vendange sont classés selon leur teneur naturelle en sucre en trois catégories:
a. catégorie 1: moûts permettant l'élaboration de vin d'appellation d'origine;
b. catégorie 2: moûts permettant l'élaboration de vin avec indication de provenance;
c. catégorie 3: moûts ne permettant que l'élaboration de vin sans appellation d'origine ni indication de provenance."
L'art. 15 de l'arrêté fédéral fixe la teneur minimale en sucre pour les différentes catégories de moûts. La section 6 de l'arrêté fédéral traite de la limitation des quantités et, à l'art. 20, prévoit sous la rubrique "limitation de la production":
"1 La production de raisins destinés à l'élaboration de moûts de la catégorie 1 est limitée à l'unité de surface. Les cantons fixent les quantités de production maximales en tenant compte des récoltes de qualité suffisante obtenues au cours des dix années précédentes. Celles-ci ne peuvent être supérieures à 1,4 kg/m2 ou 1,12 l/m2 pour les raisins blancs et 1,2 kg/m2 ou 0,96 l/m2 pour les raisins rouges.
2 Sur proposition des Commissions régionales (art. 22), les cantons peuvent limiter la production de toutes les catégories pour l'ensemble de leur territoire ou pour une partie de celui-ci.
3 Le Conseil fédéral peut, après avoir consulté les cantons et les Commissions régionales, limiter, le cas échéant, la production de l'ensemble des catégories.
4 Les cantons édictent les dispositions concernant la limitation de la production et le déclassement et en contrôlent l'application. Ils peuvent appeler les Commissions régionales et les sous-commissions cantonales à y collaborer."
B.-
Fondé notamment sur l'arrêté fédéral du 19 juin 1992 et sur la loi cantonale du 26 mars 1980 sur la viticulture, le Conseil d'Etat du canton du Valais a pris le 7 juillet 1993 un arrêté sur les appellations
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des vins du Valais (arrêté AOC). Les vins produits en Valais sont, d'après l'art. 3 de cet arrêté, classés en trois catégories, soit: dans la catégorie I, les vins à appellation d'origine contrôlée (AOC), dans la catégorie II, les vins avec indication de provenance romande ou suisse et dans la catégorie III, les "vin blanc", "vin rouge", "vin rosé" ou "vin". L'art. 5 de l'arrêté AOC est consacré aux teneurs minimales en sucre naturel. L'art. 6 de l'arrêté AOC fixe les limites qualitatives de rendement (LQR) à l'unité de surface, en prévoyant pour les vins de la catégorie II (tous les cépages), 1,5 kg/m2 ou 1,20 l/m2 (al. 1 lettre b). L'art. 8 de l'arrêté AOC prévoit qu'un plafond limite de classement (PLC) est fixé pour chaque catégorie à 0,1 kg/m2 ou à 0,08 l/m2 au-dessus des limites qualitatives de rendement fixées à l'art. 6; les quantités comprises entre la limite qualitative et le PLC sont admises en totalité dans la catégorie concernée.
Enfin, pour les vins rouges de la catégorie II, l'art. 20 de l'arrêté AOC dispose:
"1 Les vins rouges de la catégorie II sont les vins issus de cépages rouges autorisés et cultivés en Valais ou de leur assemblage. Ils peuvent être commercialisés sous la dénomination "Goron" qui doit être liée à une indication de provenance.
2 Il doit répondre aux exigences prévues aux articles 5 à 11.
3 Si ce vin est issu uniquement du Pinot noir ou de Gamay, il peut également être commercialisé sous la désignation du cépage liée à une indication de provenance (ex.: Gamay romand, Pinot noir suisse)."
C.-
Agissant par la voie du recours de droit public, L. T. conclut à l'annulation de tous les articles contenus dans l'arrêté du 7 juillet 1993 sur les appellations des vins du Valais prévoyant une limite qualitative de rendement à l'unité de surface pour les vins de la catégorie II, soit notamment les art. 6 al. 1 lettre b, 20 dudit arrêté. Il invoque les
art. 4 et 31 Cst.
, ainsi que 2 Disp. trans. Cst.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.
Extrait des considérants:
2.
a) La liberté du commerce et de l'industrie n'est pas absolue et n'est garantie que sous réserve de la législation fédérale (
art. 31 al. 1 Cst.
). Les cantons peuvent aussi apporter, en vertu de l'
art. 31 al. 2 Cst.
, des restrictions de police au droit d'exercer librement une activité économique. Des restrictions cantonales ne peuvent toutefois être prises que dans le cadre de la compétence des cantons;
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elles doivent en outre reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et, selon le principe de la proportionnalité, se limiter à ce qui est nécessaire à la réalisation des buts d'intérêt public poursuivis (
ATF 119 Ia 59
consid. 6a p. 67;
ATF 118 Ia 175
consid. 1 p. 176;
117 Ia 440
consid. 2 p. 445;
ATF 116 Ia 113
consid. 3b p. 116 et 118 consid. 3 p. 121). D'après cette jurisprudence, sont ainsi prohibées les mesures cantonales qui, sans reposer sur une délégation de droit fédéral, interviennent dans la libre concurrence pour assurer ou favoriser certaines branches de l'activité lucrative ou certaines formes d'exploitation et qui tendent à diriger l'activité économique selon un certain plan.
b) Le recourant soutient que la limite de rendement pour les vins de la catégorie II, plus particulièrement pour le vin rouge commercialisé sous la dénomination "Goron", n'est pas une mesure destinée à promouvoir la qualité et à protéger le consommateur que le canton est habilité à prendre au regard des principes définis ci-dessus, mais une mesure de politique économique propre à influencer le marché du vin, qui n'est autorisée ni par l'arrêté fédéral sur la viticulture ni par la loi cantonale sur la viticulture. Selon le recourant, l'arrêté fédéral restreindrait "les interventions étatiques en matière de limitation de rendement à la condition de recherche de la qualité". Le recourant invoque également l'arrêt non publié du 26 avril 1991 dans la cause K. et S. c. Conseil d'Etat du canton du Valais, dans lequel le Tribunal fédéral a condamné les limitations de rendement à la surface de l'arrêté du 4 juillet 1990 sur les appellations des vins du Valais (que l'arrêté attaqué a remplacé). Le Tribunal fédéral a retenu que le Conseil d'Etat pouvait réglementer les appellations d'origine contrôlée, à condition que les mesures prises visent effectivement la promotion de la qualité des vins. Les limitations de rendement prévues (pour les vins qui rentrent actuellement dans la catégorie I) ont été jugées trop rigides, car fixées de façon uniformes pour tout le canton; elles ne pouvaient donc être considérées comme des mesures destinées à garantir la qualité des vins et à protéger les consommateurs, mais comme des mesures de politique économique contraire à l'
art. 31 Cst.
Le recourant prétend que la situation juridique serait la même aujourd'hui. A tort. L'arrêt susmentionné du 26 avril 1991 ne met pas en doute la compétence des cantons pour prendre des mesures destinées à favoriser la promotion de la qualité de leurs vins, point qui n'est du reste pas remis en cause dans le présent recours. Ce jugement relève qu'un nouvel arrêté fédéral sur la viticulture avait
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prévu de créer la base légale pour limiter cas échéant la production (Message du Conseil fédéral du 21 décembre 1988 relatif à l'arrêté sur la viticulture, FF 1989 I p. 259 et 265); mais cet arrêté fédéral avait été rejeté en votation populaire, de sorte que la base légale en question manquait au moment où le Tribunal fédéral a rendu l'arrêt susdit. Entre-temps, l'arrêté fédéral du 19 juin 1992 sur la viticulture est entré en vigueur (le 1er janvier 1993). Ce texte, maintenant applicable, prévoit expressément des limitations quantitatives à la production. Selon l'art. 20 de l'arrêté fédéral, les cantons fixent les quantités de production maximale pour les moûts de la catégorie I; ils ne peuvent aller au-delà des quantités fixées par le droit fédéral lui-même (al. 1); en ce qui concerne les autres catégories, les cantons peuvent également limiter la production, sans qu'une limite maximum soit fixée par le droit fédéral (al. 2); le Conseil fédéral peut également limiter, le cas échéant, la production pour ces catégories (al. 3). Cette compétence de la Confédération apparaît comme subsidiaire, devant être utilisée si nécessaire et en cas d'inaction des cantons. Le texte de la loi, comme les travaux préparatoires, montrent qu'il ne s'agit pas d'une simple promotion de la qualité mais d'une adaptation de la production aux débouchés (cf. Message du Conseil fédéral du 25 novembre 1992 relatif à l'arrêté fédéral sur la viticulture, FF 1992 I p. 437 ss, notamment p. 455/456). La limitation des quantités doit assurer non seulement la qualité mais également éviter la surproduction (voir les déclarations de M. Jagmetti, rapporteur de la Commission du Conseil des Etats, BO 1992 CE 157). Lié par un arrêté de portée générale voté par l'Assemblée fédérale (
art. 113 al. 3 Cst.
), le Tribunal fédéral n'a pas à examiner si l'arrêté fédéral sur la viticulture, et notamment son art. 20, reste dans le cadre prévu par l'
art. 31bis Cst.
, ce que le recourant met en doute.
Le Conseil d'Etat ne cache pas que l'arrêté attaqué a notamment pour but d'éviter une surproduction de Goron. Toutefois, comme on vient de le voir, il dispose à cet effet d'une base légale suffisante. La restriction critiquée a également pour objet d'améliorer la qualité, ce qui est conforme au but visé par l'arrêté fédéral (art. 1 al. 1 lettre b) et par la loi cantonale sur la viticulture (art. 1 et 22). Le recourant ne conteste du reste pas que la limitation de la production ait un effet sur la qualité (voir arrêt susmentionné du 26 avril 1991, consid. 5b); il allègue en revanche que, pour le Goron, les exigences relatives à la teneur minimale en sucre seraient suffisantes. Ce dernier argument, abondamment développé dans le recours, n'est cependant pas
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décisif puisque, précisément, la limitation de la production peut viser à prévenir la surproduction.
3.
a) Le recourant estime ensuite que la limitation du rendement à l'unité de surface ne répond pas à un intérêt public suffisant et viole le principe de proportionnalité. Le recourant dénonce aussi, pratiquement avec les mêmes arguments, une violation de l'
art. 4 Cst.
, en soutenant que l'arrêté attaqué est arbitraire, parce qu'il ne répondrait pas à une nécessité suffisamment marquée. En fait, le grief tiré de l'
art. 4 Cst.
n'a pas de portée propre, de sorte qu'il ne sera pas traité de manière indépendante.
b) Le Tribunal fédéral examine en principe librement la question de l'existence de l'intérêt public et celle du respect du principe de proportionnalité. Il s'impose cependant une certaine retenue lorsqu'il s'agit avant tout d'un problème d'appréciation ou de circonstances locales que l'autorité cantonale est mieux à même d'apprécier (
ATF 119 Ia 348
consid. 2a p. 353;
ATF 118 Ia 175
consid. 3a p. 181, 394 consid. 2b p. 397).
c) Il est difficile de nier que la mesure incriminée réponde à un intérêt public, dans la mesure où elle est prévue par le droit fédéral lui-même. En revanche, il convient avant tout de déterminer si cette mesure correspond à un intérêt public suffisant et si elle respecte le principe de proportionnalité, notamment parce qu'elle est nécessaire. Le recourant fait valoir que le Goron est un vin léger, prisé par le consommateur, notamment parce que son prix est avantageux. Son écoulement ne pose pas de difficulté. Une qualité suffisante est déjà assurée par les exigences en matière de teneur minimale en sucre naturel. Une limitation au rendement renchérirait ce produit et priverait les exploitants d'une possibilité de revenu d'autant plus nécessaire qu'ils sont déjà frappés par les limites de production pour les vins de la catégorie I.
Compte tenu du plafond limite de classement, la production de vins de la catégorie II en général et de Goron en particulier est limitée en Valais à 1,6 kg/m2 (1,5 kg/m2 LQR selon art. 6 + 0,1 kg/m2 PLC selon art. 8 de l'arrêté AOC). L'art. 20 de l'arrêté fédéral sur la viticulture prévoit que les cantons peuvent limiter la production de toutes les catégories, donc également de la catégorie II. Comme on l'a vu plus haut, il s'agit d'éviter la surproduction, avec toutes ses conséquences (difficulté d'écoulement, chute des prix etc...). Le recourant prétend qu'il s'agit d'une simple possibilité et que rien ne justifiait que le canton l'utilise en l'espèce. Une intervention cantonale se justifie déjà pour éviter le risque de surproduction. Les cantons
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ne sont du reste pas absolument libres, puisque la Confédération est habilitée à intervenir en cas de carence de leur part (FF 1992 I p. 456; BO 1992 CE 157; voir également les déclarations du rapporteur au Conseil national, M. Matthey, BO 1992 CN 821). Du reste, en avril 1993 déjà, la Confédération est intervenue auprès des cantons pour leur demander leur avis sur une limitation fédérale de la production pour toutes les catégories de vins. Il faut du reste constater qu'une intervention est fondée non seulement lorsque la production est trop abondante mais également pour parer à un tel risque. En l'occurrence, et pour s'en tenir aux vins rouges de la catégorie II, il faut d'abord constater que la limite de 1,6 kg/m2 est très supérieure à celle prévue en Valais pour les vins de la catégorie I, soit 1,2 kg/m2 (en tenant compte du PLC). Cette limite n'est que de très peu inférieure à celle des vins de la catégorie III, soit 1,7 kg/m2. Par ailleurs, comme le relève le Conseil d'Etat, avec l'augmentation des exigences pour la production de vins de la catégorie I, on peut penser qu'il y aura une certaine augmentation de la production de vins de la catégorie II (non-respect des limites de production requises pour la Dôle AOC ou encore choix volontaire avant les vendanges de la catégorie II). Cette augmentation ou la possibilité de production trop grande de Goron doit donc être limitée si l'on veut éviter d'arriver à des quantités excessives de ce vin. La limite de production choisie doit être mise en relation avec la norme prévue pour la catégorie I. De ce point de vue, il existe une proportion qui n'est pas critiquable, puisque la production de Goron peut être un tiers plus élevée que celle de la Dôle AOC. Les buts visés tant par le droit fédéral que cantonal, soit d'assurer l'écoulement de produits de qualité, notamment ceux de vins de la catégorie I, seraient remis en cause en cas d'afflux trop grand sur le marché de vins de la catégorie II.
Le critère fixé par le Valais pour le Goron doit du reste être mis en relation avec les mesures envisagées par la Confédération et celles effectivement prises par d'autres cantons. La Confédération avançait en avril 1993 une limitation de production de 1,4 kg/m2 pour les vins rouges (1,6 kg/m2 pour les vins blancs). Genève a fixé une limite générale de 1,4 kg/m2 pour toutes les catégories de vins II et III; Vaud a prévu 0,96 l/m2, soit 1,2 kg/m2 pour les catégories II et III (1,12 l/m2 = 1,4 kg/m2 pour les cépages blancs). Le Tessin a adopté une limite de 1,4 kg/m2 pour la catégorie II. Tous ces cantons ont donc estimé qu'une limitation était nécessaire et ils ont été plus restrictifs que le Valais. Par rapport à ces normes, l'arrêté attaqué tient déjà largement compte des conditions particulières cantonales alléguées
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par le recourant et que le Conseil d'Etat a fait valoir auprès de l'autorité fédérale pour justifier sa préférence de limitation plutôt cantonale que fédérale.
Compte tenu de tous ces facteurs, la réglementation critiquée répond à un intérêt public suffisant et ne viole pas le principe de proportionnalité.