Urteilskopf
120 V 128
17. Arrêt du 21 février 1994 dans la cause M. contre Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents et Tribunal des assurances du canton de Vaud
Regeste
Art. 37 Abs. 2 UVG
, Art. 69 lit. f und Art. 73 lit. a des Übereinkommens IAO Nr. 102, Art. 68 lit. f und Art. 72 lit. a der Europäischen Ordnung der Sozialen Sicherheit (EOSS): Kürzung der Geldleistungen bei grobfahrlässiger Herbeiführung eines Berufsunfalles.
- Voraussetzungen, unter welchen die Änderung der Rechtsprechung ausnahmsweise zum Widerruf einer rechtskräftigen Leistungskürzungsverfügung führen kann (E. 3c).
- Zur Bestimmung des Eintritts des Versicherungsfalles im Sinne der internationalen Normen der Sozialen Sicherheit ist die mögliche Verschlimmerung der Invalidität zu berücksichtigen (E. 4).
- Anwendungsfall: Die im Rahmen einer rechtskräftigen Verfügung vorgenommene Leistungskürzung infolge Grobfahrlässigkeit des Versicherten findet keine Ausdehnung auf die die ursprüngliche Invalidität übersteigende Mehrinvalidität, welche nach Inkrafttreten der internationalen Bestimmungen, die eine Leistungskürzung verbieten, eingetreten ist.
A.-
M., né en 1939, a travaillé en qualité de représentant de commerce au service de la société O. SA. A ce titre, il était assuré contre le risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après: la CNA).
Le 7 février 1974, il a été victime d'un accident de la circulation alors qu'au volant de son automobile il regagnait son domicile après son travail. Dans le but de doubler un véhicule, il a emprunté la voie centrale qui était recouverte d'une couche de neige. Il a alors perdu la maîtrise de son véhicule, lequel est entré en collision avec un train routier circulant en sens inverse. Victime notamment d'un traumatisme cranio-cérébral, il a été hospitalisé.
Par décision du 18 avril 1974, la CNA, qui avait pris en charge le cas, a notifié à M. qu'elle réduisait ses prestations de 20 pour cent au motif que l'accident assuré considéré comme un accident professionnel était dû à une faute grave du prénommé.
Depuis le 14 mars 1976, celui-ci perçoit une rente d'invalidité fondée sur une incapacité de gain de 50 pour cent (décision du 28 avril 1976). Une aggravation de l'invalidité étant survenue dès le 1er janvier 1988, la CNA lui a accordé une rente fondée sur une incapacité de gain de 80 pour cent à partir de cette date; l'assuré a été par ailleurs mis au bénéfice d'une indemnité pour atteinte à l'intégrité fondée sur une diminution de l'intégrité de 20 pour cent (décision du 3 août 1988).
B.-
Le 27 février 1991, M. a demandé à la CNA de supprimer la réduction des prestations prononcée le 18 avril 1974. Par décision du 27 mars 1991, l'établissement a refusé de faire droit à cette requête, motif pris que les
BGE 120 V 128 S. 130
conditions de révision d'une décision entrée en force n'étaient pas réalisées. Saisie d'une opposition formée par l'assuré, la CNA l'a rejetée par décision du 25 juin 1991.
C.-
Par jugement du 10 décembre 1991, le Tribunal des assurances du canton de Vaud a rejeté le recours formé par M. contre cette dernière décision.
D.-
Le prénommé, représenté, comme en première instance, par le Service juridique pour handicapés, interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont il demande l'annulation, en concluant à l'octroi d'une rente d'invalidité non soumise à réduction, principalement dès le 13 septembre 1978 et subsidiairement "dès le moment où le Tribunal fédéral des assurances aura, par la présente affaire ou une autre, modifié la jurisprudence Courtet".
La CNA conclut au rejet du recours. Quant à l'Office fédéral des assurances sociales, il renonce à se déterminer sur celui-ci.
Considérant en droit:
1.
Par sa décision du 18 avril 1974, la CNA a institué une réduction des prestations de 20 pour cent, motif pris que l'accident à l'origine de l'atteinte à la santé de l'assuré était dû à une faute grave de celui-ci. Elle s'est fondée pour cela sur l'
art. 98 al. 3 LAMA
, en vigueur jusqu'au 31 décembre 1983, aux termes duquel, si l'assuré a causé l'accident par une faute grave, les prestations assurées autres que les frais funéraires sont réduites dans une mesure répondant au degré de la faute.
L'assuré a requis la révision de la décision précitée et l'octroi d'une rente d'invalidité non soumise à réduction en faisant valoir que l'
art. 68 let
. f du Code européen de sécurité sociale (CESS) du 16 avril 1964 n'autorise pas une réduction pour faute grave en matière d'accidents professionnels.
2.
a) Aux termes de l'
art. 68 let
. f CESS, en vigueur pour la Suisse depuis le 17 septembre 1978 (RO 1978 II 1518), et de l'
art. 69 let
. f de la Convention OIT no 102 concernant la norme minimum de la sécurité sociale du 28 juin 1952, en vigueur pour notre pays depuis le 18 octobre 1978 (RO 1978 II 1626), les prestations d'assurance sociale auxquelles une personne aurait droit peuvent être "suspendues", c'est-à-dire refusées, réduites ou retirées, lorsque l'éventualité a été provoquée "par une faute intentionnelle de l'intéressé". Il en résulte, a contrario, que les prestations ne peuvent être "suspendues" en cas de faute non intentionnelle de l'intéressé.
Ces instruments visent notamment les prestations d'invalidité en cas d'accident professionnel (
art. 31 CESS
; art. 31 de la Convention no 102).
b) Dans un arrêt
ATF 119 V 171
du 25 août 1993, le Tribunal fédéral des assurances - revenant sur la jurisprudence de l'arrêt Courtet (
ATF 111 V 201
) - a considéré que l'
art. 68 let
. f CESS était directement applicable ("self-executing"). Il en va de même pour l'
art. 69 let
. f de la Convention no 102. Ces normes internationales l'emportent donc sur les normes du droit fédéral de l'assurance des accidents professionnels permettant la réduction des prestations en espèces en cas d'invalidité, si l'assuré a provoqué l'accident par une négligence grave (
art. 37 al. 2 LAA
).
3.
a) Cette nouvelle jurisprudence vaut incontestablement pour les cas futurs, ainsi que pour les affaires pendantes devant un tribunal au moment de son changement (v. par ex.
ATF 108 V 3
; RCC 1990 p. 271 consid. 3b et les arrêts cités;
ATF 119 V 241
,
ATF 119 V 410
; PROBST, Die Änderung der Rechtsprechung, p. 518 note 613).
Mais, en l'espèce, à la différence des circonstances de l'arrêt
ATF 119 V 171
précité, ce n'est pas lors de l'allocation d'une rente réduite que le recourant a contesté la sanction prise à son endroit. En effet, dans le cas présent, la réduction est intervenue dans le cadre d'une décision antérieure, entrée en force; la décision sur opposition litigieuse, du 25 juin 1991, porte sur le refus de l'intimée de supprimer, à la demande du bénéficiaire de rente, la réduction en cours.
Le problème se pose donc de savoir si la force formelle et matérielle attachée à une décision de réduction de rente s'oppose à une application de la nouvelle jurisprudence au cas du recourant.
b) Un changement de jurisprudence n'est un motif ni de révision au sens procédural du terme ni de reconsidération (KNAPP, Précis de droit administratif, 4e édition, p. 276, note 1303; KÖLZ/HÄNER, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, p. 118, note 193; GRISEL, L'apport du Tribunal fédéral des assurances au développement du droit public, Mélanges Berenstein, p. 448). Il ne s'agit pas davantage d'un motif de révision au sens de l'
art. 22 al. 1 LAA
. En effet, la rente n'est susceptible d'être révisée, en vertu de cette disposition légale, qu'en cas de modification notable de l'état de santé de l'assuré ou lorsque les conséquences économiques d'un état de santé demeuré inchangé se sont modifiées (
ATF 113 V 275
consid. 1a et les arrêts cités;
ATF 119 V 475
; RAMA 1989 no U 65 p. 70 consid. 1c).
c) En droit des assurances sociales, un changement de jurisprudence peut toutefois exceptionnellement conduire à la révocation d'une décision, même si cette décision est assortie d'effets durables (notamment si elle concerne des prestations périodiques). Il faut alors que la nouvelle jurisprudence ait une telle portée générale qu'il serait contraire au droit à l'égalité de ne pas l'appliquer dans tous les cas, en particulier en maintenant une ancienne décision pour un seul assuré ou un petit nombre d'assurés. Si cette condition est remplie, la modification n'aura, en règle ordinaire, des effets que pour l'avenir. Cette pratique restrictive vaut en tout cas lorsque l'application d'une jurisprudence nouvelle s'opérerait au détriment du justiciable (sur ces divers points, voir:
ATF 115 V 314
consid. dd,
ATF 112 V 394
;
ATF 119 V 410
déjà cité; KNAPP, op.cit., p. 281, note 1344; RHINOW/KRÄHENMANN, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, Ergänzungsband, p. 140 no 45 B III/a).
Commentant cette jurisprudence, KNAPP (op.cit., p. 282, note 1346) estime que si une nouvelle interprétation est plus favorable pour le destinataire de la décision, l'autorité donnera sans autre examen la priorité au droit à l'égalité et accordera le nouvel avantage même aux anciens bénéficiaires.
4.
a) Selon les art. 73 let. a de la Convention no 102 et 72 let. a CESS, ces instruments ne s'appliquent pas aux éventualités survenues avant l'entrée en vigueur de la partie correspondante de ceux-ci pour l'Etat intéressé.
En l'espèce, il est donc indispensable de distinguer entre l'événement assuré, c'est-à-dire l'accident qui s'est produit le 7 février 1974, et l'éventualité assurée qui est la survenance de l'invalidité. Or, dans le cas particulier, une aggravation de l'invalidité est survenue dès le 1er janvier 1988, soit postérieurement à l'entrée en vigueur pour la Suisse de la Convention no 102 (18 octobre 1978) et du CESS (17 septembre 1978). Dès lors il y a lieu de faire une distinction entre l'invalidité de 50 pour cent survenue le 14 mars 1976, date à partir de laquelle le recourant a perçu une rente d'invalidité, selon décision du 28 avril 1976, et l'aggravation de 30 pour cent de cette invalidité survenue le 1er janvier 1988, conformément à la nouvelle décision de rente du 3 août 1988.
b) En règle ordinaire, si la convention internationale ne contient aucune règle à ce sujet, ou si celle qui existe ne permet pas de trancher avec certitude le cas d'espèce, on applique le droit en vigueur au moment où s'est produite l'éventualité assurée (
ATF 113 V 104
, ATFA 1956 p. 53; SPIRA, L'application du droit international de la sécurité sociale par le
BGE 120 V 128 S. 133
juge, Mélanges Berenstein, p. 485). Une règle analogue figure aux art. 73 let. a Convention no 102 et 72 let. a CESS. Par ailleurs, on ne se trouve pas dans l'hypothèse prévue à la let. b de ces deux dispositions (v. sur ce point VILLARS, Le code européen de sécurité sociale et le Protocole additionnel, pp. 122/123).
c) En l'espèce, l'éventualité assurée est, aux termes de l'
art. 32 let
. c de la Convention no 102 et de l'
art. 32 let
. c CESS, la "perte totale de la capacité de gain ou (la) perte partielle de la capacité de gain au-dessus d'un degré prescrit, lorsqu'il est probable que cette perte totale ou partielle sera permanente, ou (la) diminution correspondante de l'intégrité physique", ce qui correspond à l'invalidité au sens du droit fédéral de l'assurance-accidents (VILLARS, op.cit., pp. 149 ss).
d) Cela étant, lorsque le degré d'invalidité augmente, comme ce fut le cas en l'espèce à partir du 1er janvier 1988, on est en présence, pour la partie augmentée de l'invalidité, d'une nouvelle survenance de l'éventualité assurée au sens de ces conventions internationales. Dans ces conditions, il y a lieu d'admettre, dans le cas particulier, que la réduction de 20 pour cent intervenue dans le cadre de la décision du 18 avril 1974 n'aurait pas dû s'étendre à la part de 30 pour cent d'augmentation de l'invalidité survenue en 1988.
D'ailleurs, aux termes de l'
art. 118 al. 2 let. b LAA
, le nouveau droit relatif, notamment, à la réduction des prestations pour faute grave (
art. 37 al. 2 LAA
) s'applique aux prestations d'assurance allouées pour les accidents qui sont survenus avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. C'est dire qu'en l'occurrence et contrairement à ce qui est indiqué au bas de la décision de rente du 3 août 1988, la réduction de la rente d'invalidité allouée au recourant n'était plus régie par l'
art. 98 al. 3 LAMA
mais par l'
art. 37 al. 2 LAA
. De plus, à cette date, les
art. 68 let
. f CESS et 69 let. f de la Convention no 102 étaient en vigueur pour la Suisse. Dès lors, la solution qui consiste à ne pas réduire de 20 pour cent la part augmentée de 30 pour cent de la rente d'invalidité allouée au recourant par décision du 3 août 1988 est également en accord avec la loi nationale.
Quant au moment à partir duquel la réduction doit être supprimée, il y a lieu de se référer aux principes ci-dessus exposés (consid. 3c) et de donner effet à cette mesure à partir du prononcé de l'arrêt
ATF 119 V 171
déjà cité, soit dès le 25 août 1993.
Vu ce qui précède, la conclusion subsidiaire du recourant doit être partiellement admise.