Urteilskopf
124 I 76
9. Extrait de l'arrêt de la Ière Cour de droit public du 11 février 1998 en la cause R. contre Collège des magistrats du Ministère public du canton de Genève (recours de droit public)
Regeste
Art. 4 BV
,
Art. 58 BV
,
Art. 6 Ziff. 1 EMRK
; Unparteilichkeit des Generalprokurator-Stellvertreters, der im Einspracheverfahren gegen die von ihm erlassene Strafverfügung die Anklage vertritt.
Die Ämterkumulation beim Generalprokurator, der zuerst eine Strafverfügung erlässt und hierauf im Rahmen eines Einspracheverfahrens gegen diese Verfügung die Anklage vertritt, ist mit den sich aus
Art. 4, 58 BV
und
Art. 6 Ziff. 1 EMRK
ergebenden Garantien der Unparteilichkeit und der Unabhängigkeit vereinbar (E. 2).
R. a successivement occupé les fonctions de directeur, puis d'administrateur de la société anonyme S., dont le Tribunal de première instance du canton de Genève a prononcé la faillite le 30 octobre 1992.
Une instruction pénale a été ouverte contre R. et divers consorts, prévenus de banqueroute simple au sens de l'art. 165 aCP.
Par ordonnance du 14 mars 1997, le Procureur suppléant X. a reconnu R. coupable de banqueroute simple et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans, ainsi qu'à une amende de 150'000 fr.
R. a formé opposition à cette ordonnance auprès du Tribunal de police du canton de Genève; il a demandé en outre la récusation du Procureur suppléant X. au motif que celui-ci entendait soutenir l'accusation devant cette autorité.
Par décision du 21 novembre 1997, le Collège des magistrats du Ministère public du canton de Genève a rejeté cette requête dans la mesure où elle était recevable; il a considéré en substance que la loi genevoise sur l'organisation judiciaire (LOJ gen.) ne s'opposait pas à ce qu'un procureur suppléant soutienne l'accusation au cours de la procédure d'opposition à une ordonnance de condamnation qu'il a lui-même rendue.
Agissant par la voie du recours de droit public, R. demande au Tribunal fédéral d'annuler cette décision pour violation des
art. 4, 58 Cst.
et 6 par. 1 CEDH.
Le Tribunal fédéral a rejeté ce recours dans la mesure où il était recevable.
Extrait des considérants:
2.
Le recourant voit un cumul de fonctions incompatible avec les garanties d'indépendance et d'impartialité déduites des
art. 4, 58 Cst.
et 6 par. 1 CEDH, justifiant une récusation de l'intéressé, dans le fait que le Procureur suppléant X. a d'abord, comme représentant du Ministère public, soutenu l'accusation contre lui "en sa qualité de Procureur élu", puis a représenté le Ministère public "en sa qualité de Procureur suppléant"; qu'à ce dernier titre, il a rendu une ordonnance de condamnation; et qu'enfin, toujours en qualité de Procureur suppléant, il entend soutenir l'accusation devant le Tribunal de police dans le cadre de la procédure d'opposition à cette ordonnance.
La jurisprudence rendue par la Cour européenne des droits de l'homme en application de l'
art. 5 par. 3 CEDH
, à laquelle se réfère le recourant, n'est pas pertinente. Le Procureur suppléant X. n'a nullement exercé un contrôle de la détention et n'est donc pas intervenu comme "juge ou (...) autre magistrat habilité à exercer des fonctions
BGE 124 I 76 S. 78
judiciaires" au sens de cette disposition (arrêts de la CourEDH dans la cause Huber c. Suisse, du 23 octobre 1990, Série A no 188, par. 43, et dans la cause Brincat c. Italie, du 26 novembre 1992, Série A no 249-A, par. 21).
Par ailleurs, le recourant part d'une prémisse erronée lorsqu'il prétend que le Procureur suppléant X. a cumulé "les fonctions de juge du fond et d'accusateur public", cumul qui consacrerait une violation de l'
art. 6 CEDH
. En effet, ni l'
art. 58 al. 1 Cst.
(cf.
ATF 118 Ia 95
consid. 3b p. 98 et les arrêts cités), ni l'
art. 6 par. 1 CEDH
ne confèrent à l'accusé une protection particulière - hormis le respect du principe de l'égalité des armes, dont la violation n'est pas alléguée ici - à l'égard d'un magistrat qui, à l'instar du Procureur général, a pour rôle essentiel de soutenir l'accusation au cours de l'instruction et devant les juridictions pénales, comme partie à la procédure (cf. art. 4 et 24 du Code de procédure pénale genevois; CPP gen.).
Sans doute peut-on considérer, de manière générale, que lorsque ce magistrat rend une ordonnance de condamnation, au sens des art. 198 al. 3 et 218 à 218F CPP gen., celui-ci exerce, d'une certaine façon, des fonctions que l'on peut qualifier de juridictionnelles (cf. arrêt non publié du 29 août 1997 dans la cause B. contre Collège des magistrats du Ministère public du canton de Genève, consid. 2a). L'exercice occasionnel et limité de ces fonctions ne métamorphose pas pour autant le Procureur général en juge. L'ordonnance de condamnation constitue bien plutôt une proposition de jugement faite au prévenu, dont la portée est étroitement circonscrite par la loi (cf.
art. 218 CPP
gen., énumérant ses conditions d'application) et qui ne déploie des effets juridiques contraignants qu'en cas d'acceptation, manifestée par une absence d'opposition des parties (cf.
ATF 114 IV 73
; GÉRARD PIQUEREZ, Le droit à un juge indépendant et impartial garanti par les
art. 58 Cst.
et 6 ch. 1 CEDH impose-t-il de manière absolue une séparation des fonctions judiciaires? Réflexions d'un praticien, in SJ 1989 p. 126; MICHEL HOTTELIER, L'ordonnance de condamnation en procédure pénale genevoise, RPS 107/1989 p. 202/203). Si cette proposition, bien que motivée sommairement en fait et en droit (
art. 218A al. 1 CPP
gen.), se rapproche d'un jugement, elle n'en constitue pas pour autant un, puisqu'elle ne devient exécutoire qu'à défaut d'opposition (
art. 218B al. 2 CPP
gen.). Jusqu'à ce moment, le Procureur général - y compris lorsqu'il rend l'ordonnance de condamnation - reste pour l'essentiel confiné dans son rôle d'accusateur public. Il exerce en effet une fonction proche de celle qu'il a, devant un tribunal, lorsqu'il formule
BGE 124 I 76 S. 79
ses réquisitions. La garantie que représente pour le prévenu le droit d'opposition à l'ordonnance pénale respecte l'égalité entre l'accusation et la défense puisque la simple opposition à l'ordonnance de condamnation met à néant celle-ci (
art. 218C CPP
gen.). La saisine automatique du Tribunal de police, qui découle de l'opposition, donne au recourant l'assurance que sa cause sera examinée par un tribunal, doté de la plénitude de juridiction, qui lui offrira les garanties d'indépendance et d'impartialité requises par les
art. 4, 58 Cst.
et 6 par. 1 CEDH (
ATF 114 Ia 143
consid. 7 p. 150;
ATF 112 Ia 290
consid. 5d p. 302 et les références citées; cf. Mémorial des séances du Grand Conseil 1983, p. 2075; GÉRARD PIQUEREZ, Précis de procédure pénale suisse, 2e éd., Lausanne 1994, no 2153, p. 408; MICHEL HOTTELIER, op.cit., p. 214 et les références citées à la note 68; voir en outre, arrêts de la CourEDH dans les causes Deweer c. Belgique, du 27 février 1980, Série A no 35, par. 49, 51 et 54 a contrario, et Belilos c. Suisse, du 29 avril 1988, Série A no 132, par. 68, ainsi que les arrêts cités).
Sur le vu de ce qui précède, il apparaît que malgré le prononcé de l'ordonnance de condamnation, il n'y a jamais eu, en la personne du Procureur X., agissant en qualité de Procureur élu, puis de Procureur suppléant en vertu de l'art. 38 al. 2 LOJ gen., un cumul de fonctions contraire aux
art. 4, 58 Cst.
et 6 par. 1 CEDH, qui lui interdirait de soutenir l'accusation devant le Tribunal de police. Le grief formulé à ce titre est donc mal fondé.