Urteilskopf
124 III 102
20. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 2 mars 1998 dans la cause B. contre L. et V. (recours en réforme)
Regeste
Zuwendungen unter Lebenden; Ausgleichungspflicht der Erben (
Art. 626 ff. ZGB
).
Anwendbarkeit von
Art. 626 Abs. 2 ZGB
auf gesetzliche oder eingesetzte Erben oder beide (E. 4).
Nach herrschender Lehre unterstehen von der gesetzlichen Anordnung abweichende Zuwendungen des Erblassers an eingesetzte Nachkommen nicht der Ausgleichungspflicht im Sinne von
Art. 626 ff. ZGB
, sofern der Erblasser nicht etwas anderes verfügt (E. 5a).
A.-
Par jugement du 16 septembre 1986, le Tribunal de première instance de Genève a notamment prononcé le divorce des époux G. et A., attribué à la mère l'autorité parentale sur les enfants du couple, L., née en 1970 et V., née en 1975, et ratifié la convention matrimoniale conclue entre les époux le 12 décembre 1986.
En exécution de cet accord, G. a transféré à chacune de ses filles, par convention des 30 juillet et 13 août 1987, respectivement par acte authentique du 1er septembre suivant:
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- 25 actions de la SI X. et la moitié d'une créance contre cette société, d'un montant de 665'623 fr. au 31.12.1986;
- 12 actions ainsi que la copropriété par moitié d'une 25e action de la SI Y. et la moitié d'une créance chirographaire contre cette dernière, valant 94'631 fr.88 (sic) au 31.12.1986;
- la moitié de sa part sur l'immeuble Z., à Mont-sur-Rolle, dont il était copropriétaire pour une demie, ses filles reprenant, avec l'autre copropriétaire, la dette hypothécaire de 2'000'000 fr. y relative.
En ce qui concerne l'immeuble Z., l'acte authentique comportait la clause suivante:
"La présente donation entre vifs est stipulée non rapportable à la succession de G.; elle n'est soumise à aucun droit de retour."
Peu après, A. a acquis l'autre part de copropriété de l'immeuble Z. Par acte du 17 novembre 1987, elle et ses filles ont vendu celui-ci dans son intégralité à un tiers, pour le prix de 3'700'000 fr.
B.-
Le 27 mai 1991, G. a épousé en secondes noces B. Au préalable, il avait rédigé, le 16 avril 1991, un testament olographe par lequel il attribuait 25% de ses biens à sa nouvelle épouse, "équivalent à sa part légitime (réserve)", et le 75% à ses filles, à répartir de façon égale entre elles. Par contrat de mariage du 21 mai 1991, les futurs époux avaient par ailleurs choisi le régime de la séparation de biens, selon le droit suisse.
G. est décédé le 12 janvier 1992 lors d'un accident de voiture en Italie, laissant pour seules héritières sa femme, et ses filles issues de son premier mariage.
Le 5 avril 1994, B. a informé l'exécuteur testamentaire qu'elle entendait demander le rapport des trois donations faites par le défunt à ses enfants, en application de l'
art. 626 al. 2 CC
; en mai 1994, elle a pris connaissance de la clause excluant le rapport de l'immeuble Z. figurant dans l'acte de donation de celui-ci.
Le 8 novembre 1994, les héritières ont conclu une convention de partage réservant expressément le sort des donations litigieuses.
C.-
Le 19 avril 1995, B. a ouvert action en rapport et en réduction à l'encontre de L. et V. Par jugement du 20 juin 1996, le Tribunal de première instance de Genève a notamment ordonné le rapport à la succession de feu G. des donations en faveur de ses filles selon convention des 30 juillet/13 août 1987, constaté le caractère réductible de la donation faite à L. et V., selon acte notarié du 1er septembre 1987, de la part de copropriété pour moitié de l'immeuble Z., enfin, ordonné la réunion à la succession des sommes représentant
BGE 124 III 102 S. 104
le produit de la vente de ladite part de copropriété (1'850'000 fr.) et les intérêts courus sur ce capital (370'000 fr.).
Par arrêt du 25 avril 1997, la Cour de justice du canton de Genève a annulé ce jugement, la demanderesse étant déboutée de toutes ses conclusions.
Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours en réforme interjeté par B. contre cet arrêt.
Extrait des considérants:
4.
a) Selon les constatations de l'autorité cantonale, qui ne sont pas remises en cause, les libéralités litigieuses ont été accordées par le défunt à ses filles à titre de dotation, c'est-à-dire en vue de faciliter leur établissement dans l'existence (
ATF 116 II 667
consid. 3a p. 673 et les arrêts cités). L'
art. 626 al. 2 CC
prévoit pour les descendants l'obligation de rapporter de telles libéralités, sauf dispense expresse du défunt. Ce rapport est dit légal, par opposition au rapport volontaire de l'
art. 626 al. 1 CC
.
Si l'on s'en tient au texte de la loi, l'
art. 626 CC
ne concerne que les héritiers légaux, par quoi il faut entendre, en principe, les héritiers ab intestat (ESCHER, Commentaire zurichois, n. 5 ad remarques préliminaires sur le rapport et n. 16 ad
art. 626 CC
; TUOR/PICENONI, Commentaire bernois, n. 11 ad remarques préliminaires sur le rapport et n. 1a et 5a ad
art. 626 CC
; PAUL PIOTET, Droit successoral, in: Traité de droit privé suisse (TDPS), tome IV, p. 290 et 337; LUC VOLLERY, Les relations entre rapports et réunions en droit successoral, thèse Fribourg 1994, p. 54 no 80 et les références; STÉPHANE SPAHR, Valeur et valorisme en matière de liquidations successorales, thèse Fribourg 1994, p. 162 ch. 3). Rien n'empêche cependant le défunt de soumettre, expressément ou implicitement, des héritiers institués aux règles des
art. 626 ss CC
(
ATF 53 II 202
ss). On parle alors communément de rapport improprement dit (VOLLERY, op.cit., p. 80/81 no 130 et les auteurs cités à la note 481; GUINAND/STETTLER, Droit civil II, Successions, 3e éd., p. 154 no 324; pour une autre terminologie, voir PIOTET, TDPS IV, p. 342 s. et VOLLERY, op.cit., p. 81).
b) La doctrine assimile par ailleurs aux héritiers légaux ceux qui, tout en succédant ab intestat, sont institués pour des parts égales ou proportionnelles à celles prévues par la loi: la doctrine parle alors de rapport volontaire présumé (ESCHER, op.cit., n. 6 ad remarques préliminaires sur le rapport; TUOR/PICENONI, op.cit., n. 8 ad
art. 626 CC
; PIOTET, TDPS IV, p. 341 et les références; ALEXANDER BECK,
BGE 124 III 102 S. 105
Grundriss des schweizerischen Erbrechts, 2e éd., 1976, p. 165; JEAN NICOLAS DRUEY, Grundriss des Erbrechts, 4e éd., 1997, par. 7 no 24; SPAHR, op.cit., loc.cit.; VOLLERY, op.cit., p. 80 et les auteurs cités à la note 474).
En revanche, si le défunt institue ses descendants pour des parts différentes ou non proportionnelles à leur part légale respective, la doctrine considère généralement qu'ils ne sont pas tenus au rapport (ESCHER, op.cit., loc.cit.; TUOR/PICENONI, op.cit., loc.cit.; PIOTET, TDPS IV, p. 290 et la note 88; FRANÇOIS GUISAN, JdT 1942 I 141 et JdT 1943 I 401; ULRICH SCHWENDENER, Die Ausgleichungspflicht der Nachkommen unter sich und in Konkurrenz mit dem überlebenden Ehegatten, thèse Zurich 1959, p. 74; ERIC STOUDMANN, L'avancement d'hoirie et sa réduction, thèse Lausanne 1962, p. 23 et la note 71; PIERRE WIDMER, Grundfragen der erbrechtlichen Ausgleichung, thèse Berne 1971, p. 15 no 7 et p. 20 note 56; JÖRG ALAIN SCHWARZ, Die Herabsetzung gemäss Art. 527 Ziff. 1 ZGB, thèse Berne 1983, p. 20 et la note 18; SPAHR, op.cit., p. 162 ch. 3 et la note 55; VOLLERY, op.cit., p. 78 no 126 et les références).
La question est toutefois controversée. Selon certains auteurs, l'
art. 626 al. 2 CC
s'applique, que les descendants soient institués ou non, et, s'ils le sont, quelque soit leur part, car le fait pour le défunt d'instituer ses descendants ne constitue en aucun cas une dispense expresse de rapport (JAKOB ARNOLD MÜLLER, Das Verhältnis von Ausgleichung und Herabsetzung im schweizerischen Erbrecht, thèse Berne 1949, p. 85 s., critiqué par STOUDMANN, op.cit., loc.cit., et par WIDMER, op.cit., p. 15 note 37; JUSTIN THORENS, Quelques considérations concernant les rapports en droit successoral, in: Mémoires publiés par la Faculté de droit de Genève no 43/1974, 13e journée juridique, p. 39 ss; DRUEY, op.cit., par. 7 no 28; idem, Ausgleichung oder rapport? Einige Fragen zu Art. 626 ZGB, in: Mélanges Piotet, p. 39; LIONEL H. SEEBERGER, Die richterliche Erbteilung, thèse Fribourg 1992, p. 273 s.).
5.
L'arrêt entrepris constate que par testament olographe du 16 avril 1991, G. a attribué le quart de ses biens à la recourante - soit l'équivalent de sa réserve -, le solde devant être partagé entre ses deux filles. Dans la mesure où le défunt a ainsi dérogé à la répartition successorale légale (cf.
art. 462 ch. 1 CC
), il convient de déterminer si l'
art. 626 al. 2 CC
s'applique à la présente cause.
a) Dans un arrêt publié aux
ATF 53 II 202
, le Tribunal fédéral a clairement affirmé que les
art. 626 ss CC
sur l'obligation de rapporter ne s'appliquent pas aux héritiers testamentaires - en l'occurrence
BGE 124 III 102 S. 106
héritiers de la deuxième parentèle - si le testateur ne les a pas réservés expressément ou tacitement (consid. 2). Dans sa jurisprudence ultérieure, il s'est toutefois prononcé par deux fois sur l'existence d'une dispense expresse de rapport, quand bien même il ne s'agissait pas de successions ab intestat (
ATF 69 II 71
, critiqué par Guisan au JdT 1943 I 401, et
ATF 89 II 72
, critiqué par Piotet au JdT 1963 I 529). L'absence de dispositions successorales modifiant la répartition prévue par la loi entre héritiers ab intestat n'a pas non plus été énoncée comme condition du rapport légal dans l'
ATF 98 II 352
(cf. PIOTET, La donation mixte et la réduction selon l'
art. 527 ch. 1 ou 3 CC
, in: JdT 1973 I 333ss, spéc. p. 336 et 337).
Selon la majorité de la doctrine, la question du caractère exprès de la dispense de l'
art. 626 al. 2 CC
ne peut se poser qu'en cas de succession ab intestat ou de succession testamentaire prévoyant des parts égales ou proportionnelles à celles du droit ab intestat. Cette opinion doit être suivie, nonobstant les avis divergents des quelques auteurs mentionnés plus haut (cf. supra consid. 4). Il convient en effet de considérer qu'en modifiant de manière intentionnelle la répartition légale, le défunt a entendu tenir compte des libéralités reçues par les héritiers légaux de son vivant. Dans un tel cas, il n'y a aucune raison de compléter cette volonté, ni de chercher à rétablir entre les héritiers une égalité que le disposant n'a manifestement jamais voulue (STOUDMANN, op.cit., loc.cit.; SCHWENDENER, op.cit., loc.cit.; GUISAN, JdT 1942 I 141).
Contrairement à ce que pense MÜLLER (op.cit., loc.cit.), il n'est nullement question d'assimiler un testament dérogeant à l'ordre légal à une dispense expresse de rapport, selon l'
art. 626 al. 2 CC
. Il s'agit bien plutôt de considérer qu'en cas d'attribution inégale des parts d'héritage, le parallélisme entre succession volontaire et succession légale n'est plus tel qu'il permettrait une application par analogie des règles sur le rapport (WIDMER, op.cit., p. 15 note 37).
Cette solution est conforme au fondement des dispositions sur le rapport légal, dont le but est certes de rendre effectif le principe d'égalité de traitement entre les héritiers légaux, mais qui ne sont pas moins des règles de droit dispositif. Visant à résoudre un problème posé par un acte juridique du défunt, elles correspondent aux idées reçues, à ce que déciderait normalement la plupart des gens (PIOTET, TDPS IV, p. 274/276). Si l'
art. 626 al. 2 CC
déroge au principe de l'absence de rapport, c'est qu'habituellement, d'après les conceptions communément répandues, une dotation en faveur d'un descendant ne doit pas rompre l'égalité des héritiers ab intestat
BGE 124 III 102 S. 107
(PIOTET, RJB 1972, p. 298). Mais cet article ne contient pas, à proprement parler, une règle de droit matériel imposant le rapport. Les art. 626 à 633 CC n'entendent nullement restreindre la liberté de disposer à cause de mort, le de cujus n'étant à cet égard limité que par les règles relatives à la quotité disponible et aux réserves fixées à l'
art. 471 CC
. Dans ces limites, lui seul peut décider si une libéralité reçue entre vifs par un héritier doit être imputée sur sa part, ou lui demeurer acquise à titre préciputaire (
ATF 77 II 228
consid. 3a p. 231/232). Le champ d'application de l'
art. 626 al. 2 CC
est ainsi réduit aux situations dans lesquelles le défunt n'a pas exprimé sa volonté, ou, du moins, n'a pas confirmé, d'une manière ou d'une autre, le système prévu par la loi. En revanche, lorsque celui-ci a pris des dispositions pour cause de mort différentes de celles du droit ab intestat, on ne saurait se référer à des règles successorales dont il a précisément voulu s'écarter.
Conformément à la doctrine dominante, il faut s'en tenir au principe, énoncé dans l'
ATF 53 II 202
, selon lequel les
art. 626 ss CC
sur l'obligation de rapporter ne s'appliquent pas aux descendants institués pour des parts différentes de celles prévues par la loi, sous réserve de la volonté du testateur.