Urteilskopf
124 IV 241
40. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 14 décembre 1998 dans la cause N. SA contre Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois (pourvoi en nullité)
Regeste
Art. 7 Abs. 1 StGB
in Verbindung mit
Art. 138 und 146 StGB
; Ort der Begehung bei Veruntreuung oder Betrug.
Die Schädigung des Vermögens durch eine Veruntreuungs- oder Betrugshandlung stellt einen Erfolg im Sinne von
Art. 7 Abs. 1 StGB
dar. Dieser Erfolg ist in der Schweiz eingetreten, wenn das Opfer der Schädigung eine AG mit Sitz in der Schweiz ist, und zwar auch dann, wenn sich der Grossteil der deliktischen Handlung im Ausland abgespielt hat (E. 4c bis d).
N. SA se dit victime d'escroquerie ou d'abus de confiance dans le cadre de cargaisons de viande de poulet livrées à des sociétés russes à St-Pétersbourg. Le Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne a refusé de suivre à la plainte de N. SA. Le Tribunal
BGE 124 IV 241 S. 242
d'accusation du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours de N. SA contre le refus de suivre, considérant que le résultat de l'infraction (dont la réalisation n'était pas exclue) ne s'était pas produit en Suisse.
Les faits sont décrits en détail aux considérants 2 et 3 ci-dessous.
Le Tribunal fédéral a admis la demande de restitution (
art. 35 OJ
), ainsi que le pourvoi en nullité dans la mesure où il était recevable.
Considérant en droit:
2.
Le Tribunal d'accusation a constaté l'état de fait suivant.
La recourante, dont le siège est à Lausanne, a acheté environ 2'245 tonnes de poulet au Brésil, au mois de juillet 1997. Cette marchandise devait être acheminée à St-Pétersbourg pour y être vendue. Alors que le navire prévu pour le transport était déjà affrété, la compagnie française intéressée à la transaction s'est retirée. La plaignante a dû ainsi faire appel à la société russe A. Ltd, représentée par W. Il a été convenu, lors d'une réunion tenue le 18 juillet 1997 à Paris, que A. Ltd assumerait le déchargement, le dédouanement, la livraison et la facturation d'une partie de la cargaison aux clients russes de la plaignante; les sommes encaissées devaient ensuite être rétrocédées à celle-ci. Aux dires de cette dernière, A. Ltd aurait conservé indûment la majeure partie des montants encaissés.
De plus, W. a demandé à la plaignante d'organiser une seconde livraison de poulet destinée à la Russie, pour le mois d'octobre 1997. En raison de l'attitude équivoque de ses partenaires de A. Ltd, la plaignante a finalement choisi de vendre la marchandise de ce nouveau transport à d'autres sociétés russes. Le 20 novembre 1997, la cargaison est parvenue à St-Pétersbourg où elle aurait été saisie de force par la police, agissant sur un ordre de complaisance, puis remise à la société R.
En droit, l'autorité cantonale a considéré que les crimes d'abus de confiance, de vol, subsidiairement d'escroquerie au préjudice de la plaignante n'étaient pas exclus mais que ces infractions n'avaient pas été commises en Suisses. En effet W., ses éventuels complices et la police de St-Pétersbourg ont exercé l'essentiel de leur activité prétendument délictueuse en Russie. De même, l'enrichissement recherché et l'appauvrissement de la victime se seraient produits dans ce pays. Il ne serait pas possible d'admettre que le résultat s'est produit en Suisse, au sens de l'
art. 7 CP
, pour le seul motif que le
BGE 124 IV 241 S. 243
compte bancaire de la plaignante dans notre pays n'a pas été crédité des montants correspondant à la valeur des marchandises indûment livrées ou soustraites en Russie.
3.
La recourante invoque la violation des
art. 3 et 7 CP
, éventuellement de l'
art. 5 CP
. D'après elle, le résultat de l'abus de confiance ou de l'escroquerie dont elle est victime s'est produit en Suisse en ce sens que l'appauvrissement s'y est concrétisé. Elle cite l'
ATF 117 Ib 210
consid. 3b/cc et affirme que le considérant contraire du Tribunal d'accusation vide l'
art. 7 CP
de son sens et de son but.
Sur le plan des faits, la plaignante ajoute que le 10 juillet 1997 une réunion avait eu lieu à Zurich entre son président et W. représentant des sociétés A. Ltd et I.; C. y assistait également. Une seconde rencontre a eu lieu à Paris. Un contrat a été signé quelques jours plus tard. Il mentionne que I. Co Ltd se trouve à Londres et A. Ltd à Moscou. Lors des négociations contractuelles ces sociétés étaient représentées par Messieurs V. et S. père et fils. Les marchandises livrées aux clients de la plaignante ont permis à A. Ltd d'encaisser 3'870'000 $ US. Seuls 459'416,43 $ US ont été rétrocédés à N. SA. Le 5 janvier 1998, A. Ltd a admis tacitement avoir reçu cette somme, mais a estimé ses frais et coûts à 3,698 millions de $ US. La plaignante s'est aperçue que I. n'avais jamais été enregistrée à Londres et que A. Ltd n'a pas de siège social à Moscou. Le montage des sociétés a été effectué par B., citoyen russe domicilié à New York. Plusieurs personnes ont été tuées à St-Pétersbourg pour s'être opposées à A. Ltd et I. Le mandataire de la plaignante dans cette ville a vu son appartement dynamité; de graves menaces ont été proférées à l'égard d'un juge et d'un autre mandataire de N. SA. Aucun avocat n'a accepté de défendre celle-ci à St-Pétersbourg. Un avocat a été désigné à Moscou, après des interventions diplomatiques suisses. Le 10 septembre 1998, le Président de la Confédération et l'ambassadeur de Suisse à Moscou ont fait part au maire de St Pétersbourg de leur mécontentement pour le comportement ambigu de la police municipale, qui avait arraisonné arbitrairement une cargaison propriété d'une société suisse.
La recourante requiert ainsi l'assistance des autorités pénales suisses en raison de la situation désespérante qui mettrait en cause son existence même.
4.
a) Si la Cour de céans juge le pourvoi fondé, en ce qui concerne l'action pénale, elle annule la décision attaquée et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour qu'il soit statué à nouveau (
art. 277ter
BGE 124 IV 241 S. 244
al. 1 PPF
). Dans la mesure où la recourante demande davantage, soit l'ouverture d'une information pénale contre cinq personnes nommément désignées, le pourvoi est irrecevable.
b) Aux termes de l'
art. 277bis al. 1 PPF
, la Cour de céans est liée par les constatations de l'autorité cantonale. En tant que la recourante se fonde sur des éléments de fait qui ne figurent pas dans l'arrêt du Tribunal d'accusation, le pourvoi est également irrecevable.
c) La seule question à résoudre est celle de savoir si l'autorité cantonale a violé le droit fédéral en considérant que le résultat des infractions possibles ne s'était pas produit en Suisse.
Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi, qu'au lieu où le résultat s'est produit (
art. 7 al. 1 CP
). D'après la jurisprudence, il faut entendre par "résultat" une modification du monde extérieur, imputable à l'auteur et faisant partie des éléments constitutifs de l'infraction. Il ne peut y avoir de résultat au sens technique que pour une seule catégorie d'actes punissables, à savoir les délits matériels (Erfolgsdelikte). L'escroquerie est un délit matériel à double résultat soit d'une part l'appauvrissement de la victime, d'autre part l'enrichissement, dont seul le dessein est un élément constitutif de l'infraction (
ATF 109 IV 1
consid. 3b et c).
La doctrine a souligné l'incertitude de la jurisprudence en la matière. Il a été proposé notamment d'ajouter au texte actuel de l'
art. 7 al. 1 CP
les termes "à moins que la survenance du résultat en Suisse ne contredise les prévisions de l'auteur". Il semble que cette adjonction ne rencontre pas un soutien suffisant pour être introduite prochainement (voir HURTADO POZO, Droit pénal, Partie générale I, 2e éd., Zurich 1997, p. 134 n. 384). Pour Stratenwerth, il convient d'interpréter restrictivement le principe de l'ubiquité car les justiciables doivent se conformer aux lois du pays où ils séjournent et ne connaissent pas nécessairement celles des autres Etats (STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht A.T.I, 2e éd., Berne 1996, p. 98 n. 8). Colombini estime que si le bien juridique lésé se rattache directement à la protection des personnes et de leur patrimoine, il y a un résultat au sens de l'
art. 7 CP
si les conséquences de l'acte dirigé contre cette personne se sont immédiatement produites en Suisse; cela vaudrait notamment pour un abus de confiance commis à l'étranger aux dépens d'une personne domiciliée en Suisse, lorsque le résultat - soit la diminution du patrimoine - s'est immédiatement produit en Suisse (JEAN-LUC COLOMBINI, La prise en considération du droit étranger dans le jugement pénal, thèse Lausanne 1983, p. 30 let. c).
BGE 124 IV 241 S. 245
d) En l'espèce, le Tribunal d'accusation admet que la plaignante est peut-être victime d'un vol, d'un abus de confiance ou d'une escroquerie. Selon lui cependant, le seul motif que le compte bancaire de la plaignante à Lausanne n'ait pas été crédité des montants correspondant à la valeur des marchandises indûment livrées ou soustraites en Russie ne suffirait pas pour admettre que le résultat s'est produit en Suisse.
Ce considérant donne trop peu d'importance à l'appauvrissement subi par la victime. Or, d'après la jurisprudence, il s'agit de l'un des deux résultats de l'escroquerie (
ATF 109 IV 1
consid. 3c; voir FAVRE/PELLET/STOUDMANN, Code pénal annoté, Lausanne 1997, art. 7 n. 1.2 et 1.3, avec renvoi à un arrêt cantonal tessinois). Il en irait de même en matière d'abus de confiance, si l'on s'en tient à l'avis précité de Colombini, lorsque la diminution du patrimoine se produit immédiatement en Suisse.
Ici, ce résultat prend la forme d'une non-augmentation d'actif sur le compte de la plaignante en Suisse, cela résultant de l'infraction ou des infractions reprochées, telles qu'on peut les discerner à ce stade de l'instruction. Il s'ajoute le fait que ce compte est celui d'une entreprise dont le siège est en Suisse. Il ne s'agit pas d'un point de rattachement passager choisi pour les opérations concernées. Les cocontractants connaissaient cet élément et on ne saurait dire que ce résultat contredise les prévisions de l'auteur. Vu la nature des infractions contre le patrimoine en cause, connues dans les Etats concernés, l'auteur ne saurait prétendre qu'il ignorait le caractère délictueux de ces actes tant au regard du droit russe qu'américain ou suisse.
Dès lors, on doit admettre que l'appauvrissement subi par la plaignante en Suisse constituait un résultat au sens de l'
art. 7 al. 1 CP
. Le considérant contraire du Tribunal d'accusation viole le droit fédéral.
L'arrêt attaqué doit être annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision (
art. 277ter PPF
).