Urteilskopf
126 III 75
15. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 13 janvier 2000 dans la cause Elena Prokina contre la Fondation du Grand-Théâtre de Genève (recours en réforme)
Regeste
Art. 119 Abs. 3 und
Art. 324a Abs. 1 OR
. Gefahrtragung bei unverschuldeter nachträglicher Unmöglichkeit der vom Arbeitnehmer versprochenen Leistung.
Die Folgen der unverschuldeten nachträglichen Unmöglichkeit der vom Arbeitnehmer versprochenen Leistung sind in
Art. 324a und
Art. 324b OR
geregelt. Der Arbeitnehmer hat in einem solchen Fall nur dann einen Anspruch auf Lohnzahlung, wenn das Arbeitsverhältnis mehr als drei Monate gedauert hat oder für mehr als drei Monate eingegangen wurde (E. 2).
A.-
Par contrat signé le 5 janvier 1995, la Fondation du Grand-Théâtre de Genève (ci-après: le Grand-Théâtre) engagea la cantatrice Elena Prokina pour jouer le rôle de Nedda dans l'opéra "I Pagliacci" de Ruggero Leoncavallo. Les répétitions devaient se dérouler dès le 10 septembre 1996 et 7 représentations étaient prévues, du 18 octobre au 3 novembre 1996. La rémunération brute convenue était de 8'000 fr. par représentation, auxquels s'ajoutaient 8'000 fr. pour la période des répétitions et le remboursement d'un billet d'avion en classe économique Saint-Pétersbourg - Genève et retour. La cantatrice s'engageait à observer les instructions données par le metteur en scène, le chef d'orchestre et l'éventuel chorégraphe. Elle avait l'obligation de s'assurer personnellement contre la maladie; selon la convention, elle devait informer immédiatement la direction du Grand-Théâtre en cas d'indisponibilité ou de maladie. Les parties étaient convenues d'appliquer le droit suisse et de soumettre tout différend éventuel aux tribunaux du canton de Genève.
Le 14 août 1996, l'agent d'Elena Prokina adressa un fax au metteur en scène, exposant que la cantatrice souhaitait lui parler d'une "affaire personnelle". Aucun autre renseignement à ce sujet ne fut donné ni au metteur en scène, ni au Grand-Théâtre.
Dans la deuxième semaine du mois de septembre 1996, l'agent local d'Elena Prokina informa pour la première fois la directrice du Grand-Théâtre que la cantatrice était enceinte, sans toutefois préciser l'état d'avancement de cette grossesse. Par lettre du 13 septembre 1996, la directrice demanda à l'agent précité d'indiquer de combien de mois l'intéressée était enceinte et si elle serait en mesure "non pas de chanter, mais d'assurer la partie scénique, et l'interprétation".
Lorsque Elena Prokina arriva à Genève, à la veille des répétitions qui avaient été repoussées au 17 septembre 1996, elle était enceinte de 25 semaines, de sorte qu'au moment de la dernière représentation, elle aurait été enceinte de 32 semaines, soit 8 mois.
Le metteur en scène refusa de faire jouer le rôle de Nedda à Elena Prokina. Cet opéra comprend en effet des scènes de violence réelles
BGE 126 III 75 S. 77
et non fictives. L'artiste Jan Blinkhof estima impossible de jeter une femme enceinte de 8 mois sur ses épaules, de marcher ainsi sur la rambarde séparant la scène de la fosse d'orchestre, enfin de la jeter à terre et de mimer le fait de l'étrangler et de la poignarder dans le bas-ventre; selon lui, il était inconcevable de jouer ces scènes sans faire prendre des risques à sa partenaire, ce qui aurait été un facteur de stress tant pour lui que pour tous les participants au spectacle. L'ensemble des artistes, ainsi que le régisseur et le chef des chants, partageaient le point de vue que le rôle de Nedda, compte tenu des scènes de violence qu'il comporte, ne pouvait pas être interprété par une femme enceinte de 8 mois.
Entre le 17 et le 20 septembre 1996, le Grand-Théâtre fit savoir à l'agent local d'Elena Prokina qu'il n'était pas possible de confier à cette dernière le rôle de Nedda. Le 20 septembre 1996, le Grand-Théâtre adressa un fax à Elena Prokina, laquelle le reçut dans la soirée; selon cette télécopie, la grossesse de la cantatrice constituait un problème insoluble, si bien que le Grand-Théâtre se voyait dans l'obligation de renoncer à sa collaboration.
B.-
Le 30 juin 1997, Elena Prokina a assigné le Grand-Théâtre devant la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, réclamant le paiement de son salaire et de ses frais de déplacement, par 64'709 fr., ainsi que d'une indemnité de 192'000 fr. pour licenciement injustifié.
Par jugement du 7 septembre 1998, le Tribunal des prud'hommes a condamné la Fondation du Grand-Théâtre de Genève à verser à la demanderesse la somme de 64'000 fr. brut à titre de salaire, 709 fr. à titre de remboursement des frais de voyage et 128'000 fr. à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié.
Saisie par la défenderesse, la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, par arrêt du 7 juin 1999, a réformé ce jugement et condamné la Fondation du Grand-Théâtre de Genève à verser à Elena Prokina 30'000 fr. net à titre d'indemnité pour congé abrupt injustifié, sous déduction d'un montant déjà reçu de 3'141 fr.05.
C.-
Elena Prokina exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Invoquant une violation de l'
art. 337c CO
, elle soutient qu'elle a fait l'objet d'une résiliation immédiate injustifiée, de sorte qu'elle a droit à ce qu'elle aurait gagné si le contrat s'était poursuivi (
art. 337c al. 1 CO
), soit 64'709 fr., ainsi qu'à une indemnité en application de l'
art. 337c al. 3 CO
qu'elle évalue à 128'000 fr.
BGE 126 III 75 S. 78
L'intimée propose le rejet du recours. Elle forme également un recours joint, demandant l'annulation de l'arrêt attaqué et le déboutement de sa partie adverse de toutes ses conclusions.
Le Tribunal fédéral rejette le recours principal, admet partiellement le recours joint et réforme l'arrêt attaqué en ce sens que la défenderesse est condamnée à payer à la demanderesse la somme de 3'709 fr. en capital, sous déduction de 3'141 fr.05.
Extrait des considérants:
2.
a) Selon l'accord passé entre les parties, la demanderesse s'est engagée, moyennant rémunération, à déployer une activité personnelle pendant une certaine durée, en obéissant aux instructions données par le metteur en scène, le chef d'orchestre et l'éventuel chorégraphe. Une telle convention doit manifestement être qualifiée de contrat individuel de travail (
art. 319 al. 1 CO
; cf. à ce propos
ATF 112 II 41
consid. 1a/aa p. 46).
b) Au moment où devaient avoir lieu les représentations fixées, la recourante principale aurait été enceinte de six à huit mois. Comme le rôle qu'elle devait jouer comportait des scènes de violence physique, elle ne pouvait l'assumer sans danger pour elle-même et son enfant; la cour cantonale a donc admis qu'il était impossible de faire jouer le rôle à la demanderesse, compte tenu de l'avancement de sa grossesse.
Il s'agit là de constatations de fait, qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (
art. 63 al. 2 OJ
).
c) Il en résulte que la recourante principale était empêchée, sans sa faute, de fournir, pendant toute la durée du contrat, le travail promis. Cette impossibilité entraîne sa libération (
art. 119 al. 1 CO
). S'agissant d'un contrat bilatéral, le cocontractant est en principe également libéré de l'obligation de fournir la contrepartie de la prestation impossible (
art. 119 al. 2 CO
). Cette règle ne vaut cependant que si la loi ou le contrat ne met pas le risque à sa charge (
art. 119 al. 3 CO
).
d) Pour le contrat de travail, le problème du risque est régi spécialement par les
art. 324a et 324b CO
. La convention conclue en l'espèce ne contient aucune disposition qui étendrait les droits du travailleur au-delà du régime légal (cf.
art. 362 al. 1 CO
).
L'hypothèse de la grossesse est envisagée par l'
art. 324a al. 3 CO
, qui renvoie à la règle générale contenue dans les deux alinéas précédents.
BGE 126 III 75 S. 79
L'
art. 324a al. 1 CO
prévoit que si le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part pour des causes inhérentes à sa personne, l'employeur lui verse le salaire pour un temps limité, y compris une indemnité équitable pour le salaire en nature perdu, dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois.
Le droit au salaire n'existe donc, en pareille situation, que si le rapport de travail a duré plus d'un trimestre ou s'il a été conclu pour plus d'un trimestre (MANFRED REHBINDER, Commentaire bernois, n. 17 ad
art. 324a CO
; du même auteur, Commentaire bâlois, n. 1 ad
art. 324a CO
; ADRIAN STAEHELIN, Commentaire zurichois, n. 16 et 32 ad
art. 324a CO
; FRANK VISCHER, Der Arbeitsvertrag, in: Traité de droit privé suisse, VII/1, III, p. 130; JÜRG BRÜHWILER, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 2e éd., n. 22, 15 et 16 ad
art. 324a CO
; PHILIPPE GNAEGI, Le droit du travailleur au salaire en cas de maladie, thèse Neuchâtel 1996, p. 44).
Cette limitation repose sur l'idée que l'employeur doit protéger le travailleur dans l'hypothèse seulement où ce dernier lui montre une certaine fidélité, qui résulte de la durée de l'emploi; en d'autres termes, il ne se justifie pas de mettre à la charge de l'entreprise les conséquences d'une incapacité de travail lorsque l'emploi revêt un caractère purement temporaire (GABRIEL AUBERT, Le droit au salaire en cas d'empêchement de travailler, in: Journée 1991 du droit du travail et de la sécurité sociale, p. 86). Il est vrai que l'auteur cité a critiqué cette règle, mais seulement de lege ferenda; de surcroît, sa critique se fonde sur des hypothèses de précarité sans rapport avec la situation d'une cantatrice d'opéra renommée.
Le législateur a clairement voulu lier l'obligation de payer le salaire pendant un empêchement à la durée des rapports de travail (cf.
art. 324a al. 2 CO
), c'est-à-dire à l'ensemble des prestations que l'employeur a reçues ou devait recevoir du travailleur dans le temps. Avec l'exigence de durée figurant à l'
art. 324a al. 1 CO
, le législateur n'a pas souhaité que l'employeur doive payer le salaire dans un cas où, en raison de la brièveté des rapports de travail, il ne reçoit pratiquement aucune prestation du travailleur empêché.
En l'espèce, le contrat n'a pas été conclu pour plus de trois mois et il n'a pas duré plus de trois mois. En conséquence, faute de convention spéciale, l'employeur n'est pas tenu de payer le travailleur pendant son empêchement non fautif.
e) Il est vrai que la recourante principale voulait néanmoins fournir son travail. Il a cependant été constaté en fait - d'une manière
BGE 126 III 75 S. 80
qui lie le Tribunal fédéral (
art. 63 al. 2 OJ
) - qu'elle n'était pas en état de le faire. Comme l'employeur doit manifester les égards voulus pour la santé du travailleur (
art. 328 al. 1 CO
) et qu'il est tenu de prendre les mesures commandées par les circonstances pour protéger sa vie, sa santé et son intégrité personnelle (
art. 328 al. 2 CO
), on ne saurait reprocher à un employeur de refuser le travail offert par un employé qui, pour cause de maladie, d'invalidité ou de grossesse, n'est pas à même de fournir sa prestation sans danger pour lui-même.
f) La cour cantonale a estimé que l'employeur avait résilié le contrat de travail de manière injustifiée.
Cette opinion ne peut pas être suivie.
Dans son fax du 20 septembre 1996, l'employeur constate que la grossesse crée un problème insoluble, qu'elle ne permet pas une mise en scène crédible et que le rôle exige un engagement physique soutenu, dont il n'entend pas prendre la responsabilité. En réalité, l'employeur s'est borné à constater l'empêchement non fautif du travailleur; vu la nature de l'empêchement et la brièveté du rapport de travail convenu, il était évident que cette circonstance déploierait ses effets jusqu'au terme du contrat. On reste cependant dans l'hypothèse déjà étudiée d'un empêchement non fautif de fournir le travail (cf.
art. 119 et 324a CO
).
Raisonner avec une résiliation revient à imputer à l'employeur un comportement absurde. En effet, un congé ordinaire était d'emblée exclu, s'agissant d'un contrat de durée déterminée (
art. 334 al. 1 CO
); une résiliation immédiate pour juste motif était également exclue, puisque ne pouvait être considéré comme tel le fait que le travailleur était sans sa faute empêché de travailler (
art. 337 al. 3 CO
). En réalité, la construction juridique adoptée a pour seul but d'amener l'employeur à indemniser la demanderesse (cf.
art. 337c CO
), en détournant l'exigence de durée contenue à l'
art. 324a al. 1 CO
.
g) Il n'est pas nécessaire de trancher la question de savoir si la recourante principale a violé ses obligations contractuelles en tardant à annoncer sa grossesse, car la défenderesse ne demande aucune réparation de ce fait.
h) Il reste à reprendre le décompte effectué par la cour cantonale.
aa) Les juges cantonaux ont alloué à la demanderesse 5'000 fr. pour les "frais de voyage et de déplacement engagés".
La recourante principale n'a toutefois droit, selon les clauses du contrat, qu'au remboursement du billet d'avion Saint-Pétersbourg
BGE 126 III 75 S. 81
- Genève et retour qu'elle a effectivement assumé dans l'intérêt de l'employeur, ce qui représente 709 fr.
bb) La Chambre d'appel a accordé 10'000 fr. à la demanderesse pour le travail de préparation du rôle.
Mais la recourante principale ne peut prétendre à une telle rémunération, parce qu'elle n'était pas prévue au contrat. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'un emploi suppose une formation préalable qui n'est pas prise en charge par l'employeur.
cc) La cour cantonale a estimé, sur la base de la clause contractuelle, à 3'000 fr. le montant de la rémunération due pour les répétitions effectuées par la recourante principale entre le 17 et le 20 septembre 1996.
Pour ce qui est des répétitions, une rémunération était prévue. Il a été constaté en fait que la demanderesse avait participé à certaines répétitions. Il importe peu que ce travail se révèle en définitif sans utilité pour l'employeur, puisque le travailleur n'assume aucune obligation de résultat. Le montant arrêté par la Chambre d'appel n'étant pas discuté par les parties, il doit être alloué.
dd) L'autorité cantonale a enfin octroyé à la demanderesse 12'000 fr. "pour les circonstances du licenciement".
Pour les raisons déjà évoquées ci-dessus, la recourante principale n'a pas droit à une rémunération pour les représentations qu'elle a été empêchée d'effectuer, et encore moins à une indemnité "pour les circonstances du licenciement", dès lors qu'elle n'a pas été congédiée.