Urteilskopf
129 III 129
23. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause époux X. contre fiduciaire Y. S.A. (recours en réforme)
4C.200/2002 du 13 novembre 2002
Regeste
Art. 725 Abs. 2, 729b Abs. 1 und 755 OR; Haftung der Revisionsstelle; Forderung mit Rangrücktritt; Kausalzusammenhang.
Ausmass der Prüfungs- und Anzeigepflichten der Revisionsstelle in Bezug auf einen Geschäftsvorgang, der in der Verminderung einer Forderung mit Rangrücktritt durch Verrechnung besteht (E. 7).
Prüfung des Kausalzusammenhangs zwischen den der Revisionsstelle vorwerfbaren Unterlassungen und dem Schaden der Gläubiger unter Berücksichtigung der besonderen Stellung dieses Organs (E. 8).
Fondée en 1989, la société anonyme W. a rapidement connu des difficultés financières. Pour y faire face, Z., président du conseil d'administration, a effectué plusieurs versements en espèces en faveur de la société. Au 31 décembre 1991, il était titulaire d'une créance de plus de deux millions de francs envers W.
La fiduciaire Y. S.A., organe de révision de W., se chargeait également de la tenue de la comptabilité de cette société et s'occupait en particulier du compte courant dont disposait l'administrateur Z. auprès de W.
Afin d'éviter l'avis au juge en cas de surendettement, l'administrateur a déclaré, en août 1992, postposer sa créance envers la société.
Dans le courant de l'année 1992, Z. a acheté du matériel à W. pour un montant de 161'613 fr. 50, qu'il n'a pas payé en espèces, mais qu'il a compensé avec sa créance envers la société par le biais de son compte courant.
La faillite de la société W. a été prononcée le 16 août 1993.
Les époux X., créanciers de W., ont obtenu un acte de défaut de biens dans cette faillite et se sont fait céder les droits de la masse.
Ils ont alors introduit une action en responsabilité à l'encontre de la fiduciaire Y. S.A., à qui ils reprochaient plusieurs négligences, notamment en relation avec l'achat par Z. de matériel appartenant à la société.
Leur demande ayant été rejetée sur le plan cantonal, les époux X. recourent en réforme au Tribunal fédéral.
Extrait des considérants:
7.
Pour que la responsabilité de l'organe de révision soit engagée en vertu de l'
art. 755 CO
ou de l'art. 754 al. 1 aCO, il faut en premier lieu que l'on puisse lui reprocher la violation d'un devoir lui incombant.
7.1
De manière générale, l'organe de révision n'est pas chargé de contrôler la gestion de la société et de rechercher systématiquement d'éventuelles irrégularités (cf.
ATF 112 II 461
consid. 3c), mais si, au cours de sa vérification, il constate des violations de la loi ou des statuts, il doit en aviser par écrit le conseil d'administration et, dans les cas graves, également l'assemblée générale (
art. 729b al. 1 CO
, qui correspond matériellement à l'art. 729 al. 3 aCO; WATTER, Commentaire bâlois, n. 2 ad
art. 729b CO
). Ce devoir d'avis n'est pas limité aux objets sur lesquels porte la vérification du réviseur, mais s'applique à toutes les irrégularités constatées (BÖCKLI,
BGE 129 III 129 S. 131
Nouveautés relatives à la responsabilité de l'organe de révision, Zurich 1995, p. 70; CHAUDET, Responsabilité civile et principaux devoirs des réviseurs, in L'expert-comptable suisse 2000 p. 306 ss, 318 s.).
Afin d'éviter l'avis au juge en cas de surendettement, il est possible d'utiliser le moyen de la postposition (cf.
art. 725 al. 2 CO
, qui ne fait que codifier une pratique largement répandue; BÖCKLI, Schweizer Aktienrecht, 2e éd., Zurich 1996, n. 1699; CHARLES JAQUES, Subordination (postposition) et exécution, in L'expert-comptable suisse 1999 p. 899 ss, 900). L'organe de révision doit alors vérifier sa validité (JÖRG WITMER, Der Rangrücktritt im schweizerischen Aktienrecht, thèse St-Gall 1999, p. 139; CHAUDET, op. cit., p. 315; GABRIEL HELDNER, Rangrücktritt und Kontrollstelle, in L'expert-comptable suisse 1998 p. 113 ss, 115), la respectabilité du créancier postposant (WÜSTINER, Commentaire bâlois, n. 48 ad
art. 725 CO
; WITMER, op. cit., p. 140; HELDNER, op. cit., p. 114) et l'éventuel risque de conflits d'intérêts (WITMER, op. cit., p. 141). S'il constate que ces exigences ne sont pas respectées, l'organe de révision a le devoir de procéder aux avis prescrits par l'
art. 729b al. 1 CO
(BÖCKLI, Nouveautés, op. cit., p. 81 s.), sous peine de voir sa responsabilité engagée (WATTER, op. cit., n. 1 ad
art. 729b CO
; BÖCKLI, Nouveautés, op. cit., p. 69 ss).
7.2
Les tâches supplémentaires confiées à l'organe de révision sur la base d'un mandat conclu avec la société qu'il est censé contrôler ne sont pas sans incidence lors de l'appréciation de l'étendue de ses devoirs. L'organe de révision qui accepte d'effectuer d'autres activités pour la société, souvent au mépris de son devoir d'indépendance (cf.
art. 727c al. 1 CO
;
ATF 123 III 31
consid. 1a in fine; BÖCKLI, Nouveautés, op. cit., p. 36), prend le risque de voir sa responsabilité accrue. La Cour de céans, se prononçant dans un cas où l'organe de révision, à l'instar de la défenderesse, tenait les comptes de la société qu'il devait contrôler, a indiqué que, pour examiner si cet organe avait rempli correctement sa mission légale, il fallait tenir compte de tous les éléments dont il avait pu avoir connaissance dans le cadre de ses attributions spéciales (arrêt du Tribunal fédéral 4C.506/1996 du 3 mars 1998, publié in SJ 1999 I p. 228, consid. 6a in fine).
7.3
Il ressort du jugement entrepris que la société se trouvait dans une situation financière difficile depuis 1990 déjà et que, chaque année, elle a enregistré de nouvelles pertes. A la fin de l'exercice 1991, la société était surendettée. L'avis au juge a toutefois pu être évité grâce à la postposition de la créance de l'administrateur qui s'élevait à 2'306'540 fr. 20 au 31 décembre 1991. En revanche, lors
BGE 129 III 129 S. 132
du bouclement de l'exercice 1992, qui est intervenu au mois de juin 1993, l'organe de révision a expressément indiqué que les conditions de l'
art. 725 al. 2 CO
étaient réunies et la faillite a finalement été prononcée le 16 août 1993. C'est dans le courant de 1992, soit dans une période particulièrement délicate pour la société, que l'administrateur a acquis du matériel et des marchandises appartenant à celle-ci pour un montant de 161'613 fr. 50, dont il n'a pas versé le prix en espèces, mais qu'il a compensé par sa créance envers la société au moyen de son compte courant, alors que celle-ci était postposée. La défenderesse, qui tenait les comptes de la société, en particulier le compte courant de l'administrateur, a passé les écritures s'y référant, mais il n'a pas été constaté à quel moment elle y avait procédé.
Il convient de se demander si, comme le soutiennent les demandeurs, elle a violé ses devoirs en consentant à ces opérations.
7.4
Conformément à la jurisprudence précitée (cf. supra consid. 7.2), il importe peu que la défenderesse ait eu connaissance de l'achat de matériel par l'administrateur et des compensations en découlant dans le cadre de son activité liée à la tenue des comptes de la société, et non pas en effectuant des tâches relevant du contrôle. Seule est déterminante la question de savoir si sa qualité d'organe de révision lui imposait de réagir.
Dans ce contexte, les demandeurs ne peuvent reprocher à la défenderesse d'avoir procédé à l'inscription des compensations sur le compte courant de l'administrateur, dès lors que ces tâches n'entraient pas dans les attributions de l'organe de révision, qui agissait alors uniquement dans le cadre des activités supplémentaires pour lesquelles la société l'avait mandaté. Ces actes ne sauraient donc engager sa responsabilité au sens du droit des société anonymes (CHAUDET, op. cit., p. 311). En revanche, il faut se demander si la connaissance de ces opérations n'aurait pas dû éveiller auprès de la défenderesse, en tant qu'organe de révision, des doutes légitimes sur leur légalité.
Tout d'abord, il ne pouvait lui échapper qu'en compensant le prix d'acquisition du matériel par la créance résultant de son compte courant, l'administrateur détournait les règles de la postposition. En effet, aussi longtemps que dure la situation de surendettement, le créancier postposant perd le droit à faire valoir sa prétention (cf. HOMBURGER, Commentaire zurichois, n. 1263 et 1265 ad
art. 725 CO
), ce qui exclut implicitement la faculté pour celui-ci de compenser sa créance (WÜSTINER, op. cit., n. 46 ad
art. 725 CO
; BÖCKLI, Schweizer Aktienrecht, op. cit., n. 1703 s.; THOMAS RIHM, Nachrangige Schuldverpflichtungen, Zurich 1992, p. 67; WITMER,
BGE 129 III 129 S. 133
op. cit., p. 175). L'administrateur n'avait ainsi pas le droit d'utiliser son compte courant pour compenser une partie de sa créance postposée en contrepartie de l'acquisition de matériel appartenant à la société, alors que, comme on l'a vu, la situation financière de cette dernière ne s'améliorait pas.
Par ailleurs, la défenderesse aurait dû se rendre compte que les opérations effectuées par l'administrateur ne servaient ni les intérêts de la société ni ceux des actionnaires. Du point de vue de la société, la vente de matériel à l'administrateur a eu pour seul résultat de lui faire perdre une partie de sa substance, sans qu'elle bénéficie en contrepartie de liquidités qu'elle aurait pu consacrer à la reprise de ses activités, alors qu'à cette période, ses perspectives d'assainissement étaient qualifiées de raisonnables par la cour cantonale. Quant aux autres créanciers, ils ont été privés d'une partie des actifs réalisables de leur débitrice au profit d'un seul d'entre eux, alors que le remboursement de cette créance ne revêtait aucune urgence, dès lors qu'elle était postposée.
Enfin, bien que le jugement entrepris ne soit pas très clair à ce sujet, il semble que l'administrateur ait acquis le matériel de la société en agissant à la fois comme représentant de la société et pour lui-même, de sorte que l'organe de révision aurait également dû être attentif à la validité de l'opération et se demander s'il n'y avait pas un "contrat avec soi-même" qui aurait dû être ratifié par un organe supérieur de la société (cf.
ATF 127 III 332
consid. 2b/aa).
En pareilles circonstances, la défenderesse avait l'obligation, en vertu de l'
art. 729b al. 1 CO
(art. 729 aCO), d'aviser par écrit les organes désignés par la loi du caractère pour le moins suspect des opérations de compensation dont elle avait eu connaissance en tenant le compte courant actionnaire de l'administrateur. Un tel manquement est de nature à engager sa responsabilité en tant qu'organe de révision.
7.5
Le raisonnement de la cour cantonale, qui a considéré qu'aucun reproche ne pouvait être fait à l'organe de révision, car les compensations en cause ne mettaient pas la société dans une situation financière tombant sous le coup de l'art. 725 aCO, ne peut ainsi être suivi. En n'envisageant les obligations de l'organe de révision que sous l'angle de cette disposition, les juges ont apprécié de manière partielle les devoirs lui incombant. En outre, du point de vue des créanciers lésés, l'augmentation de la créance postposée en fin d'exercice n'enlève rien au fait que la société a été vidée d'une partie de sa substance.
8.
Dès lors que le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'argumentation juridique retenue dans l'arrêt attaqué (
ATF 127 III 248
consid. 2c in fine), encore faut-il, pour que le recours puisse être admis, que les autres conditions générales de l'
art. 755 CO
(art. 754 aCO) soient réunies. En d'autres termes, la responsabilité de la défenderesse ne peut être engagée que si son comportement, en tant qu'organe de révision, se trouve dans un rapport de causalité adéquate avec le résultat dommageable (CHAUDET, op. cit., p. 312). Comme le manquement qui est reproché à la fiduciaire (défaut d'avis concernant les opérations de compensation inscrites au compte courant) consiste en une omission, il convient de s'interroger sur le cours hypothétique qu'auraient pris les événements si l'organe de révision avait agi conformément à ses devoirs (cf.
ATF 127 III 453
consid. 5d p. 456), en prenant en considération toutes les circonstances concrètes (FORSTMOSER, La responsabilité du réviseur en droit des sociétés anonymes, Publication de la Chambre fiduciaire, Zurich 1997, n. 162 et 206).
A cet égard, il ne faut pas perdre de vue que l'organe de révision a une position atypique dans la société anonyme. Il s'agit d'un organe secondaire, qui n'intervient que de manière sporadique (cf. BÖCKLI, Nouveautés, op. cit., p. 9), généralement après coup (FORSTMOSER, op. cit., n. 119 et 188). De plus, il n'est en principe pas l'auteur unique du préjudice, qui découle avant tout du comportement des organes exécutifs (FORSTMOSER, op. cit., n. 187). Cette situation particulière peut avoir pour résultat de décharger l'organe de révision de toute responsabilité, lorsqu'il s'avère que, même si celui-ci avait agi conformément à ses devoirs et à temps, le cours des choses qui a provoqué le dommage et qui a été déclenché à l'origine par les organes exécutifs, n'aurait, selon l'expérience de la vie, pas été différent ou ne se serait pas modifié avec suffisamment de vraisemblance (cf.
ATF 119 II 255
consid. 4b p. 259; BÖCKLI, Nouveautés, op. cit., p. 19).
En l'espèce, il ressort du jugement entrepris que les compensations litigieuses portant sur un montant total de 161'613 fr. 50 se sont déroulées exclusivement durant l'exercice 1992. Comme déjà indiqué (cf. supra consid. 7.4), on ne peut reprocher à la défenderesse, en qualité d'organe de révision, d'avoir passé les écritures comptables se référant à ces opérations, mais seulement de ne pas avoir avisé par écrit, en violation de l'
art. 729b al. 1 CO
(art. 729 aCO), les organes compétents du caractère suspect des transactions dont elle avait eu connaissance. Or, même si la fiduciaire avait respecté ses devoirs, elle n'aurait été en mesure de procéder à cet avis qu'a posteriori et n'aurait, par conséquent, pas pu empêcher les
BGE 129 III 129 S. 135
opérations en cause, limitées dans le temps, de se réaliser. En outre, il n'a pas été constaté que l'administrateur aurait effectué de nouvelles compensations durant la première moitié de l'exercice 1993, qui a précédé la faillite de la société, de sorte que l'avis prescrit n'aurait pas eu non plus pour effet de prévenir la réalisation d'opérations similaires qui se seraient déroulées ultérieurement.
En pareilles circonstances, on ne voit pas en quoi les manquements commis par la défenderesse en tant qu'organe de révision auraient pu provoquer ou accroître le dommage dont se prévalent les demandeurs.
Toutes les conditions permettant de retenir la responsabilité de l'organe de révision n'étant pas réunies, il ne peut être reproché à la cour cantonale d'avoir violé le droit fédéral en déboutant les demandeurs de leurs prétentions à l'encontre de la défenderesse. Le recours doit par conséquent être rejeté et le jugement attaqué confirmé.