Urteilskopf
131 V 298
41. Arrêt dans la cause Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents contre Chemins de fer fédéraux suisses, concernant M., et Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève
U 18/05 du 24 mai 2005
Regeste
Art. 52 Abs. 1 und
Art. 59 ATSG
;
Art. 103 lit. a OG
: Einsprachelegitimation.
Gleich wie bei einer eine Rentenverweigerung der Invalidenversicherung betreffenden Verfügung (s.
BGE 130 V 560
) ist der Arbeitgeber nicht legitimiert, gegen eine Verfügung über die Zusprechung einer Rente des Unfallversicherers Einsprache zu erheben. (Erw. 5 und 6)
A.
M. était employé au service des Chemins de fer fédéraux suisses SA (CFF). Le 27 décembre 1999, il a été victime d'un accident professionnel pris en charge par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA). Par décision du 11 mars 2003, la CNA lui a alloué une rente d'invalidité à partir du 1er novembre 2001, fondée sur un taux d'incapacité de gain de 31 %.
Les CFF ont formé opposition à cette décision. Ils ont conclu au versement d'une rente de la CNA de 56 %. Ils ont fait valoir que
BGE 131 V 298 S. 299
selon l'art. 97 al. 1 de la convention collective de travail avec les associations du personnel des CFF du 27 juin 2000, le personnel de la société avait droit au paiement du salaire à cent pour cent pendant deux ans en cas d'accident professionnel. Leur qualité pour former opposition se déduisait, selon eux, de l'art. 100 de la convention collective, selon lequel les indemnités journalières et les rentes d'assurances sociales nationales et étrangères, y compris le supplément de réadaptation, étaient imputées sur le droit au salaire pour autant qu'elles ne fussent pas supérieures à celui-ci. Le 15 avril 2003, M. a signé une "procuration" autorisant les CFF à prendre connaissance du dossier et à "faire valoir leurs droits" dans une procédure indépendante, sans préjudice du droit du travailleur à défendre ses propres intérêts.
Statuant sur l'opposition le 29 mars 2004, la CNA l'a déclarée irrecevable, motif pris que les CFF ne pouvaient se prévaloir d'un intérêt digne de protection suffisant à la modification de la décision.
B.
Les CFF ont recouru contre cette décision. Par jugement du 25 novembre 2004, le Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève a admis le recours. Il a annulé la décision sur opposition et renvoyé la cause à la CNA pour décision au fond.
C.
La CNA interjette un recours de droit administratif dans lequel elle conclut à l'annulation de ce jugement et au rétablissement de sa décision sur opposition du 29 mars 2004.
Les CFF concluent au rejet du recours. M. ne s'est pas déterminé à son sujet. Quant à l'Office fédéral de la santé publique, il propose d'admettre le recours.
Considérant en droit:
1.
Les termes de la procuration signée par M. ne permettent pas d'admettre que les CFF sont habilités à agir en son nom. Du reste, ceux-ci ont indiqué dans un échange de correspondance avec la CNA qu'ils entendaient bien agir en leur propre nom. La question est donc de savoir s'ils avaient ou non qualité pour former opposition à la décision de rente du 11 mars 2003.
2.
Selon l'
art. 52 al. 1 LPGA
, les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d'opposition auprès de l'assureur qui les a rendues (à l'exception des décisions d'ordonnancement de la
BGE 131 V 298 S. 300
procédure). Conformément au principe de l'unité de la procédure, la qualité pour agir devant les autorités juridictionnelles cantonales dont les décisions sont sujettes à recours de droit administratif ne peut être subordonnée à des conditions différentes de celles qui régissent la qualité pour recourir au sens de l'
art. 103 let. a OJ
. Il en va de même en ce qui concerne la qualité pour former opposition (
ATF 130 V 562
consid. 3.2).
3.
Aux termes de l'
art. 103 let. a OJ
, a qualité pour recourir quiconque est atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. La jurisprudence considère comme intérêt digne de protection, au sens de cette disposition, tout intérêt pratique ou juridique à demander la modification ou l'annulation de la décision attaquée que peut faire valoir une personne atteinte par cette dernière. L'intérêt digne de protection consiste ainsi en l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant ou, en d'autres termes, dans le fait d'éviter un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait. L'intérêt doit être direct et concret; en particulier, la personne doit se trouver dans un rapport suffisamment étroit avec la décision; tel n'est pas le cas de celui qui n'est atteint que de manière indirecte ou médiate (
ATF 130 V 202
consid. 3,
ATF 127 V 3
consid. 1b,
ATF 127 V 82
consid. 3a/aa).
4.
En l'espèce, l'opposition n'a pas été formée par le destinataire formel et matériel de la décision incriminée, ni par un tiers qui serait désavantagé par un avantage accordé au destinataire de la décision. L'opposition émane ici d'un tiers, lui-même concerné par une décision prise au détriment présumé de son destinataire, et qui entend appuyer la réclamation de celui-ci (on parle en allemand, dans la procédure de recours, de "Drittbeschwerde pro Adressat"; cf. ISABELLE HÄNER, Die Beteiligten im Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, Zurich 2000, ch. 761 ss). Dans cette éventualité, sauf s'il a lui-même certains droits ou s'il est autorisé à recourir par une disposition spéciale, le tiers doit bénéficier d'un intérêt propre et direct, soit d'un intérêt se trouvant, avec l'objet du litige, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en consi-dération; à défaut, sa qualité pour recourir (ou pour former opposition) doit être niée (
ATF 130 V 564
consid. 3.5; GYGI, Vom Beschwerderecht in der Bundesverwaltungsrechtpflege, in: Recht 1986, p. 10 sv.; cf. aussi ISABELLE HÄNER, op. cit., ch. 766 ss; BENOÎT BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 356; arrêt du
BGE 131 V 298 S. 301
Tribunal fédéral en la cause C. du 26 octobre 1995, 2A.309/1993). Le fait qu'un tiers est créancier du destinataire de la décision ne suffit pas pour lui conférer un intérêt digne de protection (
ATF 130 V 565
consid. 3.5 et les références citées).
5.1
L'intimée prétend déduire sa qualité pour former opposition de la convention collective de travail qu'elle a conclue avec les associations du personnel intéressées. Son intérêt réside dans le fait que si la rente d'invalidité versée par la CNA à l'assuré est plus élevée que le montant reconnu dans la décision du 11 mars 2003, la créance en salaire du travailleur s'en trouvera réduite d'autant.
5.2
En ce qui concerne plus particulièrement l'assurance-accidents, la jurisprudence a jusqu'à présent admis que l'employeur qui a payé les primes d'assurance et avancé le salaire d'un employé en cas d'accident est touché par une décision contestant à ce dernier la qualité d'assuré ou niant l'existence d'un événement accidentel; il a par conséquent un intérêt digne de protection à la voir annulée (
ATF 106 V 222
consid. 1; RAMA 1989 n
o
U 73 p. 239 consid. 1b).
Tout récemment, dans une affaire qui concernait également les CFF, le Tribunal fédéral des assurances a jugé que l'employeur n'avait pas qualité pour former opposition à une décision de refus de rente de l'
assurance-invalidité
du simple fait que l'allocation d'une rente aurait pour effet de réduire son obligation de payer le salaire ou de lui permettre d'exiger le versement en mains de tiers (
ATF 130 V 560
). Dans cette affaire, les CFF invoquaient - comme ici - la même convention collective qui les oblige à verser le salaire pendant deux ans à la suite d'une incapacité de travail. Le Tribunal fédéral des assurances a considéré que l'assurance-invalidité était une assurance pour l'ensemble de la population et donc indépendante de rapports de travail: l'intérêt économique invoqué par l'employeur n'était ni direct ni immédiat. A la différence de la jurisprudence en matière d'assurance-accidents, il n'existe pas, a souligné le tribunal, de lien étroit et concret entre l'assurance-invalidité et les rapports de travail, l'assurance-accidents étant quant à elle une assurance en faveur des travailleurs (
art. 1a LAA
).
5.3
Le problème se pose dès lors de savoir s'il convient de suivre en l'espèce la jurisprudence découlant de l'
ATF 130 V 560
ou celle citée ci-dessus en matière d'assurance-accidents.
BGE 131 V 298 S. 302
5.3.1
Le droit de recours que la jurisprudence a reconnu à l'employeur dans le domaine de l'assurance-accidents est étroitement lié, d'une part, au contrat de travail, spécialement aux obligations découlant des
art. 324a et 324b CO
, et, d'autre part, à l'indemnité journalière de l'assurance-accidents (ALEXANDRA RUMO-JUNGO, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, 3
e
éd. Zurich 2003, p. 416).
5.3.2
Selon l'
art. 324b CO
, si le travailleur est assuré obligatoirement, en vertu d'une disposition légale, contre les conséquences économiques d'un empêchement de travailler qui ne provient pas de sa faute mais est dû à des raisons inhérentes à sa personne, l'employeur ne doit pas le salaire lorsque les prestations d'assurance dues pour le temps limité couvrent les quatre cinquièmes au moins du salaire afférent à cette période (al. 1). Si les prestations d'assurance sont inférieures, l'employeur doit payer la différence entre celles-ci et les quatre cinquièmes du salaire (al. 2). Dès lors, dans l'hypothèse où l'assurance-accidents refuse d'intervenir, l'employeur a un devoir légal de verser le salaire, conformément à l'
art. 324a CO
.
Le salaire dû par l'employeur selon les
art. 324a et 324b CO
a pour but de couvrir la perte de gain consécutive à un empêchement de travailler pour une durée limitée. L'indemnité journalière de l'assurance-accidents est une prestation à caractère temporaire qui vise à compenser la perte de salaire en raison d'une incapacité de travail. Aux conditions requises, elle est remplacée par une rente dès qu'il n'y a plus lieu d'attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l'état de l'assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l'assurance-invalidité ont été menées à terme (
art. 19 al. 1 LAA
). En cas de refus de l'assureur-accidents de prendre en charge le cas, la jurisprudence a donc admis jusqu'à présent que l'employeur peut avoir un intérêt direct pour former opposition afin que l'assuré obtienne une indemnité journalière qui a pour vocation de se substituer au salaire qu'il serait tenu de verser ou d'avancer.
5.3.3
La rente de l'assurance-accidents a une toute autre fonction que l'indemnité journalière. Elle vise à compenser l'invalidité, c'est à dire l'incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (
art. 8 al. 1 LPGA
). Sous réserve
BGE 131 V 298 S. 303
de révision avant l'âge de 65 ans pour les hommes et de 62 ans pour les femmes (
art. 22 LAA
), elle a un caractère viager. Dans la plupart des cas, le temps limité selon l'
art. 324b CO
(en fonction des années de service) ou selon un régime conventionnel plus favorable au travailleur est éteint quand naît un droit à la rente d'invalidité selon la LAA (voir PHILIPPE GNAEGI, Le droit du travailleur au salaire en cas de maladie, thèse Neuchâtel, 1996, p. 244). Le plus souvent, d'ailleurs, le contrat de travail a déjà été résilié. En effet, le temps écoulé entre l'accident et le passage au régime de la rente a continuellement augmenté au cours des dernières décennies. Entre 1998 et 2002, cet intervalle était en moyenne de 4,7 années (Statistique des accidents LAA 1998-2002, dix-septième période quinquennale d'observation de la SUVA et troisième période quinquennale d'observation de tous les assureurs LAA, Lucerne 2004, p. 69). La rente de l'assureur-accidents n'est pas plus en rapport avec la relation de travail qu'une rente de l'assurance-invalidité. En outre, l'intérêt économique de l'employeur à former opposition ne porte que sur une partie infime de l'objet du litige s'agissant d'une décision portant sur une rente viagère. En définitive, sous l'angle de l'intérêt du tiers (employeur) qui est requis pour former opposition, la situation juridique en matière de rentes de l'assurance-accidents est semblable à celle qui prévaut pour la rente de l'assurance-invalidité. Elle commande par conséquent une même solution. Pour cette raison déjà, il convient de dénier à l'employeur la qualité pour former opposition: l'intérêt ne se trouve pas dans un rapport suffisamment étroit et direct avec l'objet du litige.
6.1
Une extension du droit d'opposition de l'employeur aux cas de décisions de rente de l'assurance-accidents se justifie d'autant moins qu'elle poserait problème sous l'angle de la protection des données (voir
ATF 130 V 569
consid. 4.4; RAMA 2002 n
o
U 464 p. 435 consid. 4b/cc et RAMA 2003 n
o
U 495 p. 400 consid. 5.4.1). En particulier, cette extension serait difficilement compatible avec les
art. 328 et 328b CO
, relatifs à la protection de la personnalité du travailleur, et de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD; RS 235.1), entrée en vigueur le 1er juillet 1993 (voir aussi
ATF 123 III 134
consid. 3b/cc). Ainsi, selon l'art. 328b première phrase CO, introduit dans la loi par le ch. 2 de l'annexe à la novelle du 19 juin 1992, l'employeur ne peut traiter des données
BGE 131 V 298 S. 304
concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l'exécution du travail (KURT PÄRLI, Datenaustausch zwischen Arbeitgeber und Versicherung, Problematische Bearbeitung von Arbeitnehmergesundheitsdaten bei der Begründung des privatwirtschaftlichen Arbeitsverhältnisses, in: REAS 2004 p. 32; voir aussi MATTHIAS HORSCHIK, Krankentaggeldversicherung und Datenschutz, in: Datenschutz im Gesundheitswesen, Forum droit de la santé, Zurich 2001, p. 154) . La protection de l'
art. 328b CO
s'exerce non seulement pendant les rapports de travail, mais également après la fin de ceux-ci, sans limitation de temps (BRUNNER/BÜHLER/WAEBER/BRUCHEZ, Commentaire du contrat de travail, 3e édition, Lausanne 2004, note 4 ad art. 328b).
6.2
La reconnaissance du droit de l'employeur de former opposition lui conférerait en même temps les droits d'une partie à la procédure, en particulier le droit de prendre connaissance du dossier. En matière de rentes d'invalidité, le dossier contient notoirement des données sensibles relatives à l'état de santé de l'assuré (rapports médicaux, expertises médicales). Même si, comme en l'espèce, le travailleur a pu, dans un premier temps, donner son accord à la consultation du dossier par son employeur, ses droits à la protection de la personnalité entreraient inévitablement en conflit avec les droits de partie de l'employeur au stade de la procédure probatoire. Il en serait ainsi, par exemple, si l'autorité - tenue de par la loi d'établir d'office les faits - venait à ordonner une expertise médicale ou à requérir le dossier d'un autre assureur social, par exemple l'assurance-invalidité.
Ces motifs, tirés de la protection des données, plaident également contre un intérêt méritant d'être protégé de l'employeur à former opposition à une décision de rente de l'assurance-accidents. On peut d'ailleurs se demander s'ils ne justifieraient pas un réexamen de la jurisprudence en matière d'assurance-accidents cité plus haut (supra consid. 5.2). Cette question peut toutefois demeurer indécise en l'espèce.
7.
Il suit de là que le recours est bien fondé.
Vu la nature du litige, qui porte sur un point de procédure, la procédure est onéreuse (
art. 134 OJ
a contrario). Succombant, les CFF en supporteront les frais.