Urteilskopf
133 II 68
8. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Nomura Bank International PLC et Crédit Suisse SA contre Service de l'économie, du logement et du tourisme, Police cantonale du commerce ainsi que Tribunal administratif du canton de Vaud (recours de droit administratif)
2A.529/2006 du 19 février 2007
Regeste
Art. 106 BV
;
Art. 1, 3 und 4 SBG
; Art. 1, 2, 5 ff., 17 ff., 33 und 34 LG;
Art. 513 ff. OR
.
Gesetzliche Regelung der Glücksspiele; Verhältnis zwischen den spezifischen Bundesgesetzen und dem Obligationenrecht (E. 3).
Definition der Glücksspiele; Qualifikation eines Finanzproduktes, das einen Gewinn aufgrund von Sportergebnissen in Aussicht stellt (E. 4). Ein solches Produkt entspricht nicht den Zulässigkeitserfordernissen einer Prämienanleihe (E. 6) und auch nicht der gesetzlichen Definition einer Lotterie (E. 7).
Definition des Begriffs der gewerbsmässigen Wette; Unterscheidung zwischen Wetten am Totalisator und anderen Wetten; Qualifikation eines Finanzproduktes, das einen Gewinn aufgrund von Sportergebnissen in Aussicht stellt (E. 8).
A l'occasion de la Coupe du monde de football jouée en Allemagne du 9 juin au 9 juillet 2006, Nomura Bank International PLC (ci-après: Nomura) a émis un produit de placement, intitulé "13,5 % CHF Equity Yield Note en CHF à 1 an avec 'Coupon Bonus' sur la Coupe du monde de football" (ci-après: la "Note") qualifié de "dérivé structuré", dont la banque Crédit Suisse était distributrice en Suisse. L'offre comprend deux volets.
Le premier volet invitait l'investisseur à acquérir jusqu'au 28 avril 2006 une "Note" (coupure de 1'000 fr.). Cette "Note" devait être payée au 12 mai 2006 et pouvait être négociée sur le marché secondaire jusqu'au 14 mai 2007, qui est également la date de son remboursement. Dans tous les cas, à l'échéance de la "Note" le 30 avril 2007, l'investisseur reçoit un intérêt de 13,5 % sur le capital investi. En revanche, le montant du remboursement dépend des fluctuations des actions de cinq sociétés qui parrainaient la Coupe du monde (Deutsche Telekom, McDonald's Corp., Philips Electronics NV, Procter & Gamble et Toshiba Corp.) en fonction de leur valeur initiale établie le 28 avril 2006. Dans l'hypothèse où, jusqu'au 30 avril 2007, aucune des actions sous-jacentes ne descend en dessous de 75 % de sa valeur initiale (condition nommée ci-après: barrière), l'investissement est remboursé à 100 %, même si à l'échéance une ou plusieurs actions sous-jacentes était cotée au dessous de son niveau initial. Dans la deuxième hypothèse en revanche, si une seule catégorie de ces actions devait, ne serait-ce qu'une fois, descendre en dessous de 75 % de sa valeur initiale jusqu'au 30 avril 2007 et si l'une ou plusieurs de ces catégories d'actions sous-jacentes se négociaient au dessous de leur valeur initiale à cette même date, le remboursement en espèces serait diminué de 1 % pour
BGE 133 II 68 S. 70
chaque point de pourcentage manquant au titre le moins performant pour atteindre son niveau initial.
Le deuxième volet concerne le "Coupon Bonus", qui fait partie intégrante de la "Note". Selon que l'équipe suisse de football atteint les quarts de finales, les demi-finales ou la finale de la compétition, l'investisseur obtient un coupon supplémentaire d'intérêts de 1 % (14,5 % en tout), de 3 % (16,5 % en tout) et de 7 % (20,5 % en tout). Si l'équipe suisse est championne du monde, le coupon supplémentaire est de 15 % (28,5 % en tout). Selon le descriptif, "que la barrière soit atteinte ou non n'affecte en rien le paiement du Coupon Bonus".
Le descriptif publié par le Crédit Suisse précise également que le produit n'est pas considéré comme un fonds de placement, qu'il n'est pas soumis à la législation y relative ni à la surveillance de la Commission fédérale des banques.
Le Service de l'économie, du logement et du tourisme ainsi que le Tribunal administratif du canton de Vaud ont considéré qu'il s'agissait d'un pari prohibé par la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, Nomura et Crédit Suisse ont demandé au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud et de constater que le produit de placement intitulé "13,5 % CHF Equity Yield Note en CHF à 1 an avec 'Coupon Bonus' sur la Coupe du monde de football" ne relève pas de la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels et de son ordonnance d'application.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des considérants:
3.1
L'
art. 106 Cst.
dispose que la législation sur les jeux de hasard et les loteries relève de la compétence de la Confédération. Cet article remplace l'
art. 35 aCst.
(sur ce point: cf. JEAN-FRANÇOIS AUBERT/ PASCAL MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, Schulthess 2003, n. 2 ad
art. 106 Cst.
, p. 811 ss). Son but est de protéger le public contre des dépenses déraisonnables et peu économiques faites en vue d'obtenir des avantages incertains dans un esprit de jeu (Message du Conseil fédéral du 13 août 1918 concernant le projet de loi fédérale sur les loteries
BGE 133 II 68 S. 71
et les entreprises analogues, FF 1918 IV 343; cf. ANNE-CATHERINE IMHOFF-SCHEIER, La validité des jeux-concours publicitaires envoyés par correspondance, RDS 104/1985 I p. 25, spéc. p. 36 s. et les références citées).
3.2
Dès l'origine, le législateur de droit public a opté en faveur de deux lois distinctes: la loi fédérale du 8 juin 1923 sur les loteries et les paris professionnels (LLP; RS 935.51) et la loi fédérale sur les maisons de jeu adoptée en 1929 (RS 10 p. 270). Cette partition a été maintenue lors de l'adoption en 1998 de la loi fédérale du 18 décembre 1998 sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (loi sur les maisons de jeu, LMJ; RS 935.52, entrée en vigueur le 1
er
avril 2000).
Dans l'optique du législateur fédéral, la loi sur les maisons de jeu "règle de manière exhaustive les jeux de hasard offrant des chances de réaliser un gain en argent ou d'obtenir un autre avantage matériel" tandis que la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels constitue une
lex specialis
par rapport à la première (Message du Conseil fédéral du 26 février 1997 relatif à la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeux, FF 1997 III 137, p. 151 et 162). En précisant que la loi sur les maisons de jeu ne s'applique pas aux loteries et aux paris professionnels, ceux-ci étant régis par la loi fédérale du 8 juin 1923 les concernant, l'
art. 1 al. 2 LMJ
concrétise cette volonté du législateur. Il convient donc de distinguer parmi les jeux de hasard définis à l'
art. 3 al. 1 LMJ
, ceux dont le régime général est réglé par l'
art. 4 LMJ
et ceux qui répondent aux définitions d'une loterie (ou d'une opération analogue à une loterie) ou d'un pari professionnel, dont le régime est exclusivement réglé par la loi fédérale sur les loteries.
Les premiers sont autorisés lorsqu'ils entrent dans la liste des jeux établie par le Conseil fédéral et qu'ils sont proposés dans une maison de jeu concessionnaire (
art. 4 LMJ
). Les seconds n'échappent à la prohibition de l'art. 1
er
al. 1 LLP que s'il s'agit de tombolas (
art. 2 LLP
), de loteries et d'opérations analogues (art. 43 de l'ordonnance du 27 mai 1924 relative à la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels [OLLP; RS 935.511]) à des fins d'utilité publique ou de bienfaisance (
art. 3 LLP
) - aux conditions des
art. 5 ss LLP
- ou encore d'emprunts à primes (
art. 3 LLP
) aux conditions des
art. 17 ss LLP
. De même, n'échappent à la prohibition de l'
art. 33 LLP
que les paris professionnels qui peuvent être qualifiés de
BGE 133 II 68 S. 72
paris professionnels au totalisateur au sens de l'
art. 34 LLP
et qui sont permis par le droit cantonal.
3.3
Le législateur de droit privé a aussi réglementé les jeux et paris. Les art. 513 à 515a CO ont pour effet d'exclure toute action en justice en vue de l'exécution d'une dette découlant d'un jeu, du pari ou d'une avance ou prêt fait sciemment en vue d'un jeu ou d'un pari ainsi que des marchés différentiels et autres marchés à terme sur des marchandises ou valeurs de bourses quand ils offrent le caractère du jeu ou du pari (cf.
art. 513 CO
et sa note marginale; PIERRE TERCIER, Les contrats spéciaux, 3
e
éd., Schulthess 2003, n° 6395, p. 919).
C'est à la lumière de ces principes que doit être apprécié le produit offert par les recourantes.
4.1
Aux termes de la définition générale de l'
art. 3 LMJ
, les jeux de hasard sont des jeux qui offrent, moyennant une mise, la chance de réaliser un gain en argent ou d'obtenir un autre avantage matériel, cette chance dépendant uniquement ou essentiellement du hasard.
4.2
Le Tribunal administratif a jugé à cet égard que la "Note" et le "Coupon Bonus" ne pouvaient être acquis séparément, de sorte que le paiement de la "Note" représentait une forme de mise. Pour l'investisseur, la perspective de réaliser un gain était évidente, puisque le bonus d'intérêts supplémentaires dépendait de parties de football de l'équipe de Suisse durant la Coupe du monde 2006 dont l'issue constituait alors un événement futur inconnu de lui-même et des recourantes.
Les recourantes font valoir que les deux composantes du produit qu'elles ont émis en avril 2006 doivent être examinées pour elles-mêmes. Selon elles, la "Note" constituerait un marché à terme échappant aux catégories instituées par la loi sur les loteries, tandis que, considéré pour lui-même, le "Coupon Bonus" équivaudrait à la promesse de verser une somme d'argent en fonction des performances sportives de l'équipe suisse de football durant le championnat du monde 2006 et constituerait par conséquent une donation soumise à une condition future incertaine.
Ce point de vue est erroné. En achetant le produit proposé par les recourantes, l'investisseur a acquis simultanément, d'une part, une créance en remboursement, à l'échéance de la "Note", de tout ou partie du capital investi ainsi qu'une créance en paiement de l'intérêt
BGE 133 II 68 S. 73
de 13,5 % stipulé sur ce capital et, d'autre part, l'espoir d'obtenir un bonus d'intérêts supplémentaires de 1 %, 3 %, 7 % ou 15 % en fonction des résultats de l'équipe suisse de football durant le championnat du monde 2006. La "Note" et le "Coupon Bonus" en cause ne pouvant être acquis séparément selon la volonté des recourantes, ils ne sauraient être qualifiés indépendamment l'un de l'autre; étant inséparables au moment de la souscription, ils doivent recevoir une qualification globale au regard tant de l'
art. 3 LMJ
que des
art. 1 ss et 33 ss LLP
, dont les définitions des jeux de hasard se recoupent en grande partie.
4.3
En l'espèce, l'espoir de gain offert par les recourantes est lié indissolublement à l'obligation objective d'acquérir la "Note", donc à la conclusion d'un contrat, qui représente une mise. En outre, les investisseurs-parieurs ont accepté les conditions de remboursement, y compris la barrière, et en conséquence, de perdre, le cas échéant, une partie de la mise investie. Par ailleurs, les recourantes ont promis aux investisseurs de rémunérer leur investissement par un intérêt de 13,5 % et par un intérêt supplémentaire de 1 %, 3 %, 7 % ou 15 %. Enfin, cette chance de gain dépend uniquement des résultats de l'équipe suisse de football durant le championnat du monde 2006, soit d'un événement ludique. Elle dépend par conséquent essentiellement du hasard.
Dans ces conditions, le produit offert par les recourantes présente les caractéristiques d'un jeu de hasard au sens de l'
art. 3 LMJ
(cf. consid. 7 et 8 qui en reprennent les conditions à propos des loteries et paris). Comme les recourantes ne prétendent pas être au bénéfice d'une concession de maison de jeu délivrée par le Conseil fédéral, leur produit est en principe interdit en Suisse, à moins qu'il ne puisse être qualifié de loterie ou de pari professionnel et réponde aux conditions auxquelles la loi fédérale autorise de tels jeux.
Il reste donc à examiner si le produit des recourantes entre dans la définition d'une loterie ou d'un pari professionnel et remplit les conditions légales qui en lèvent la prohibition.
5.
Les loteries sont prohibées (
art. 1 al. 1 LLP
). Toutefois, sont exceptés de la prohibition les emprunts à primes, en tant que l'organisation et l'exploitation en sont permises (
art. 3 LLP
) et les loteries organisées à l'occasion d'une réunion récréative, lorsque les lots ne consistent pas en espèces et que l'émission et le tirage des billets, ainsi que la délivrance des lots, sont en corrélation directe avec
BGE 133 II 68 S. 74
la réunion récréative (tombolas;
art. 2 LLP
). En outre, selon l'
art. 3 LLP
, sont exceptées de la prohibition les loteries servant à des fins d'utilité publique ou de bienfaisance (
art. 5 ss LLP
).
6.1
D'après l'
art. 17 LLP
, l'émission d'emprunts à primes sur territoire suisse ne peut avoir lieu, en tant qu'elle n'est pas effectuée par la Confédération, qu'avec l'autorisation du Conseil fédéral. Dans ce cas, le Département fédéral des finances examine le programme d'emprunt et détermine les conditions à remplir. Il peut notamment limiter la durée de l'emprunt, prescrire le nombre et le montant des primes ainsi que leur mode de répartition sur la durée de l'emprunt, et fixer le taux d'intérêt. Dans tous les cas toutefois, les emprunts à primes qui ont un but de lucre et ne sont pas émis par la Confédération, par un canton ou par une commune, ne peuvent être autorisés (
art. 18 LLP
). Quant aux emprunts à primes organisés à l'étranger, ils ne peuvent être exploités en Suisse, aux termes de l'
art. 24 al. 1 LLP
, qu'avec l'autorisation du Département fédéral des finances et doivent remplir pour le moins les mêmes conditions que les emprunts à primes organisés en Suisse.
6.2
Il résulte de ces dispositions que des emprunts à primes ne peuvent avoir lieu sur le territoire suisse qu'avec l'autorisation du Conseil fédéral (
art. 17 al. 1 LLP
) et ne peuvent être exploités en Suisse, s'ils sont organisés depuis l'étranger, qu'avec l'autorisation du Département fédéral des finances (
art. 24 LLP
). Les recourantes ne prétendent pas avoir requis et obtenu dites autorisations. Au demeurant, il est douteux que leur produit satisfasse à la condition d'absence de lucre résultant de l'
art. 18 LLP
. Par conséquent, si les "Notes" devaient être qualifiées d'emprunts à primes - ce que les recourantes n'allèguent pas - elles seraient manifestement prohibées.
7.1
Est réputée loterie toute opération qui offre, en échange d'un versement ou lors de la conclusion d'un contrat, la chance de réaliser un avantage matériel consistant en un lot, l'acquisition, l'importance ou la nature de ce lot étant subordonnées, d'après un plan, au hasard d'un tirage de titres ou de numéros ou de quelque procédé analogue (
art. 1 al. 2 LLP
). L'
art. 43 ch. 2 OLLP
assimile aux loteries les concours de tous genres auxquels ne peuvent participer que les personnes ayant fait un versement ou conclu un contrat et qui font dépendre l'acquisition ou le montant des prix pour une large part du hasard ou de circonstances inconnues au participant.
BGE 133 II 68 S. 75
7.2
Les éléments constitutifs d'une loterie, au sens de l'
art. 1 al. 2 LLP
, sont au nombre de quatre: 1° le versement d'une mise ou la conclusion d'un contrat; 2° la chance de réaliser un avantage matériel, c'est-à-dire un gain; 3° l'intervention du hasard, qui détermine, d'une part, si un gain est acquis et qui en fixe, d'autre part, l'importance ou la nature; enfin, 4° la planification (
ATF 132 IV 76
consid. 3.2 et 4.2.1 p. 80 s.;
ATF 125 IV 213
consid. 1a p. 215;
ATF 123 IV 175
consid. 1a et 2c p. 178 et 181;
ATF 103 IV 213
consid. 4a p. 218;
ATF 99 IV 25
consid. 5a p. 32;
ATF 85 I 168
consid. 5 p. 176). L'existence d'un plan d'attribution des lots, d'une mise et la chance de réaliser un gain sont également des caractéristiques de l'opération analogue aux loteries; en revanche, il suffit que l'attribution du gain ou son importance dépende pour une "large part" - et non pas uniquement - du hasard ou de circonstances inconnues au participant (
ATF 132 IV 76
consid. 3.2 p. 80;
ATF 125 IV 213
consid. 1a p. 215;
ATF 123 IV 175
consid. 1a p. 178;
ATF 99 IV 25
consid. 5a p. 32).
La mise est la valeur patrimoniale que le joueur donne en échange du droit de participer au tirage dans l'espoir d'obtenir un gain. Même un montant de quelques centimes constitue une mise, qui peut au demeurant être dissimulée dans une autre prestation pécuniaire (
ATF 132 II 240
consid. 3.1.2 p. 242;
ATF 125 IV 213
consid. 1b p. 215 et les références citées). En revanche, lorsque la participation au tirage n'est liée à aucune mise ni à la conclusion de contrat, ce dernier n'est ni une loterie ni une opération analogue aux loteries. Encore faut-il que le caractère gratuit du tirage et l'égalité des chances apparaissent de manière claire et indiscutable. Sous cet angle, il importe peu que la conclusion d'un contrat préalable soit objectivement exigée, il suffit que, du point de vue du public moyen, les participants aient le sentiment de devoir fournir une prestation (
ATF 125 IV 213
consid. 1c p. 216 et les références citées).
La condition de la planification est réalisée lorsqu'il existe un plan qui, d'avance, mesure exactement les gains qui sont attribués par l'organisateur, de sorte que ce dernier exclut son propre risque (
ATF 85 I 177
;
ATF 99 IV 25
consid. 5a p. 32 s. et les références citées; CHRISTIAN KLEIN, Die Ausnützung des Spieltriebes durch Veranstaltungen der Wirtschaftswerbung und ihre Zulässigkeit nach schweizerischem Recht, thèse Zurich 1970, p. 81 s.). Tel est le cas lorsque l'organisateur pose une limite au montant des sommes d'argent ou des marchandises offertes (
ATF 123 IV 175
: 21 lots clairement définis). Par contre, si l'organisateur promet un prix à tout participant sans
BGE 133 II 68 S. 76
pouvoir déterminer à l'avance leur nombre, il prend le risque d'avoir à verser des sommes importantes sans pouvoir les déterminer par avance. Dans ce cas, la planification fait défaut (ANNE-CATHERINE IMHOFF-SCHEIER, op. cit., RDS 104/1985 I p. 25, spéc. p. 39). En principe, la détermination du risque sur la base d'un calcul de probabilités n'est pas suffisante pour admettre l'existence d'une planification (
ATF 99 IV 25
consid. 5a p. 32 s.).
7.3
En l'espèce, la "Note" et le "Coupon Bonus" qui pouvaient être souscrits étaient indissociablement liés et promettaient à leurs acquéreurs un supplément d'intérêts. Ils pouvaient être souscrits par un nombre illimité d'investisseurs jusqu'au 28 avril 2006. Jusqu'à cette date, qui constituait la fin de la période de souscription de la "Note", les recourantes ignoraient combien d'investisseurs acquerraient leur produit et en quelle quantité. A ce moment-là, on ignorait également quelles seraient les performances sportives de l'équipe suisse de football lors de la Coupe du monde ayant lieu en Allemagne en juin et juillet 2006. Les résultats de ce genre de compétitions sont en effet des événements dont on ne peut pas calculer abstraitement la probabilité. Quand bien même l'inventaire statistique des performances passées des concurrents donnerait des indications, il n'en demeure pas moins inapte à établir une évaluation incontestable de la probabilité d'une victoire des concurrents (GÉRALD Mouquin, La notion de jeu de hasard en droit public, thèse Lausanne 1980, §§ 434 et 629). Dans ces conditions, en promettant à tout investisseur un prix sous forme de "Coupon Bonus" et en se soumettant pour une large part au hasard ou du moins à des circonstances inconnues d'elles-mêmes et des investisseurs, les recourantes prenaient sur elles le risque de payer des prix dont elles ignoraient le montant exact au moment de la souscription. Elles ne possédaient donc pas de plan préétabli de distribution des gains au sens des
art. 1 al. 2 LLP
et 43 ch. 2 OLLP.
En l'absence d'un tel plan, le Tribunal administratif a jugé à bon droit que le produit litigieux ne tombait pas dans la définition des loteries et opérations analogues aux loteries. Par conséquent, il est inutile d'examiner s'il remplit en outre les conditions des
art. 3 et 5 LLP
qui lui permettraient d'échapper à la prohibition de l'
art. 1 al. 1 LLP
.
8.1
Sous le chapitre "paris professionnels", l'
art. 33 LLP
dispose que l'offre, la négociation et la conclusion professionnelles de paris
BGE 133 II 68 S. 77
relatifs à des courses de chevaux, régates, parties de football et manifestations analogues, ainsi que l'exploitation de toute entreprise de ce genre sont prohibées. L'
art. 33 LLP
énonce trois conditions à la prohibition des paris: 1° l'existence d'un pari 2° la nature professionnelle du pari et 3° l'engagement du pari sur des courses de chevaux, régates, parties de football et manifestations analogues.
8.2
La notion de pari n'est pas définie par la loi fédérale sur les loteries. La jurisprudence a néanmoins précisé que "le pari, à l'instar des jeux de hasard au sens de la législation sur les maisons de jeux, se distingue des loteries et opérations analogues en ce qu'il ne se déroule pas selon un plan de répartition des gains établi par avance" (arrêt 6S.50/2005 du 26 octobre 2005, consid. 3). Par conséquent, les paris se caractérisent par 1° le versement d'une mise ou la conclusion d'un contrat; 2° la chance de réaliser un avantage matériel, c'est-à-dire un gain; 3° l'intervention du hasard, qui détermine, d'une part, si un gain est acquis et qui en fixe, d'autre part, l'importance ou la nature (en particulier, l'exactitude du pronostic émis sur l'issue d'une manifestation ou d'un événement [art. 3 al. 2 du projet de loi sur les loteries et les paris mis en consultation le 9 décembre 2002]).
La notion de pari trouve une expression identique, quoique plus détaillée, en droit civil. Selon la jurisprudence en matière de droit civil en effet, le jeu, dont la définition vaut également pour le pari (KURT AMONN, Spiel und spielartige Verträge, Schweizerisches Privatrecht, vol. VII/2, Bâle et Stuttgart 1979, p. 457 ss, spéc. p. 463) est "un contrat par lequel les parties, sans cause économique, se promettent réciproquement et sous une condition contraire une prestation déterminée (somme d'argent ou objet en nature), de telle sorte qu'il y a nécessairement un gagnant et un perdant désignés par l'accomplissement ou la défaillance de la condition" (
ATF 77 II 45
consid. 3 p. 47). L'absence de cause économique, pour désigner la "volonté de jouer", est un critère qui permet de distinguer le pari des marchés à termes et autres opérations au sens de l'
art. 513 al. 2 CO
(cf. PIERRE TERCIER, op. cit., p. 917 s. n. 6383 ss; THOMAS BAUER, Basler Kommentar, 3
e
éd., n. 4 ad Remarques préliminaires aux
art. 513-515a CO
et n. 10 ad
art. 513 CO
; URS PULVER, Börsenmässige Optionsgeschäfte, thèse Zurich 1987, p. 296 ss) et trouve son pendant dans l'
art. 33 LLP
en ce que le pari professionnel prohibé doit être relatif à des courses de chevaux, régates, parties de football et manifestations analogues.
BGE 133 II 68 S. 78
Toutefois, selon le Message du Conseil fédéral du 13 août 1918 concernant le projet de loi fédérale sur les loteries et entreprises analogues, "l'interdiction des paris professionnels ne vise pas (...) toute espèce de pari, mais elle a uniquement pour but de rendre impossible en Suisse l'exercice du métier de bookmaker" (FF 1918 IV 343, p. 362). En soumettant la négociation et la conclusion professionnelle de "paris au totalisateur" concernant les courses de chevaux, régates, parties de football et manifestations analogues qui ont lieu sur le territoire d'un canton à un régime spécial (
art. 34 LLP
), le législateur fédéral concrétise ce postulat et distingue les paris au totalisateur - admis dans les limites de la législation cantonale - des autres paris - tous prohibés par l'
art. 33 LLP
. La lettre des
art. 33 et 34 LLP
n'autorise pas d'autres interprétations.
Selon la doctrine, il y a "pari au totalisateur" lorsque le vainqueur acquerra la masse des mises, ou que les vainqueurs se partageront cette masse, selon des proportions préétablies. Il est ainsi nommé parce que la détermination des lots exige que les mises soient totalisées. En revanche, dans les autres types de paris (dits à la cote) les participants au pari expriment l'enjeu en valeur relative, multiples ou fractions des mises. L'organisateur, qui fixe en général les cotes et prend les paris (usuellement sur un livre, d'où l'expression "bookmaker"), tient le rôle de "parieur contre" les autres parieurs et garantit les gains (GÉRALD MOUQUIN, op. cit., p. 287 ss, §§ 895-896; CLAUDE ROUILLER, Jeux de loteries et paris sportifs professionnels, RDAF 2004 I p. 429, 444).
8.3
Seuls les paris "professionnels" sont prohibés. La notion de pari professionnel n'est pas définie par la loi fédérale sur les loteries. Selon la jurisprudence, ce qu'il faut entendre par professionnel au sens de l'
art. 33 LLP
résulte des
art. 31 aCst.
(actuellement
art. 27 al. 2 Cst.
) et 52 al. 3 ORC (RS 221.411). Ce dernier exige une activité économique exercée en vue d'un revenu régulier. Le Tribunal fédéral a qualifié de professionnel un pari qui nécessite une certaine organisation, propre à permettre sa répétition, et procure un gain, qui ne doit pas forcément prendre la forme d'un bénéfice ou d'une augmentation du patrimoine de l'organisateur, une simple recette ou un encaissement étant à cet égard suffisants. Par conséquent, a été qualifié de professionnel le "pari au totalisateur" organisé par une association tessinoise sur les courses de lévriers dans le but d'obtenir un revenu régulier, dès lors que ces paris devaient être reconduits dans le futur, même sporadiquement (
ATF 107 Ib 391
consid. 3 p. 393 s.).
8.4
En l'espèce, le produit offert par les recourantes comporte bien une mise, ainsi que l'espoir de gains en espèces, qui dépendent en outre essentiellement du hasard (cf. consid. 4.3 ci-dessus). D'un côté, en effet, les investisseurs-parieurs ont promis aux recourantes de respecter les conditions de remboursement liées à la barrière; par conséquent, ils acceptaient, le cas échéant, de perdre une partie de la mise investie. D'un autre côté, les recourantes ont promis aux investisseurs de rembourser la mise investie, de rémunérer cet investissement par un intérêt de 13,5 % et d'octroyer un intérêt supplémentaire de 1 %, 3 %, 7 % ou 15 % selon les résultats de l'équipe suisse de football; par conséquent, elles acceptaient, le cas échéant, de payer plus qu'elles n'ont reçu de la part des investisseurs. Il y avait donc nécessairement une partie gagnante et une partie perdante dans l'affaire. Le succès des uns ou des autres dépendait de conditions contraires, inconnues des parties, liées en grande partie au hasard, sur la réalisation desquelles chacune des parties posait un pronostic. En acquérant le produit émis par les recourantes, les investisseurs-parieurs ont formulé un double pronostic: d'une part, ils ont émis l'opinion que, jusqu'à la date d'échéance, les indices des actions sous-jacentes ne franchiraient pas la barrière et d'autre part, que l'équipe de Suisse atteindrait le quart de finale, la demi-finale, la finale, voire serait championne du monde des joutes 2006. Les recourantes ont formulé implicitement le pronostic contraire. La réalisation de ces conditions détermine ensuite si un gain est acquis et en fixe l'importance. Il s'agit par conséquent bien d'un pari.
Par ailleurs, les recourantes ne contestent pas que l'émission de leur produit revêt un caractère professionnel, ni qu'il porte sur des parties de football.
8.5
Les recourantes considèrent, à tort, qu'il n'y aurait de pari que si le financement des lots avait eu lieu par la masse des mises et que les pronostics effectués par les joueurs étaient entrés en concurrence entre eux, les gagnants empochant un gain au détriment des perdants. Elles perdent en effet de vue que la définition qu'elles donnent du pari correspond à celle du "pari au totalisateur" et non pas à celle du pari à la cote, seule pertinente en l'espèce. Dans ce dernier type de pari, en effet, les joueurs parient contre l'organisateur, ce qui suffit en outre à éliminer le caractère unilatéral de l'opération.
Les recourantes affirment aussi qu'en acquérant leur produit, les investisseurs n'ont jamais encouru un quelconque risque de pertes
BGE 133 II 68 S. 80
financières liées aux résultats des matchs de l'équipe suisse de football lors du championnat du monde 2006. A leur avis, en l'absence d'un tel risque, il ne saurait y avoir de pari au sens de l'
art. 33 LLP
. Il convient de rappeler toutefois que leur produit doit être examiné globalement et non pas uniquement sous l'angle du "Coupon Bonus". Il est vrai, comme l'admet la doctrine, que, considérée isolément, la "Note" constitue un marché à terme sur des indices boursiers qui, exceptionnellement, n'est pas liquidé par une contre-affaire, mais par un versement en espèces en fonction du dernier indice déterminant (THOMAS BAUER, op. cit., n. 7 ad
art. 513 CO
). Le risque financier encouru par les investisseurs correspond par conséquent au risque habituellement encouru par les acquéreurs de produits financiers similaires à celui de la "Note" prise pour elle-même. Un tel risque dépend classiquement des performances des actions sous-jacentes et des fluctuations de leur cours sur les marchés boursiers, aux conditions de la "barrière" formulées par les recourantes. Ce risque est admis par le droit suisse dans la mesure où il a pour cause un mobile économique. Tel n'est plus le cas en l'espèce: dès lors que la cause qui préside à l'acquisition du produit proposé par les recourantes, lie de manière indissociable instrument financier et pari sur une manifestation sportive, elle n'est plus de nature économique, mais de nature principalement ludique, quand bien même, dans l'esprit des recourantes, cette adjonction devait ne jouer qu'un rôle promotionnel, en attirant l'attention d'une catégorie de personnes habituellement plus attentives aux joutes de football qu'aux produits financiers émis par les instituts bancaires et financiers.
8.6
Par conséquent, le produit "13,5 % CHF Equity Yield Note en CHF à un an avec 'Coupon Bonus' sur la Coupe du monde de football" tombe sous le coup de l'
art. 33 LLP
. N'étant pas un "pari au totalisateur", l'exception de l'
art. 34 LLP
ne trouve pas d'application.