Urteilskopf
133 III 629
84. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. et Y. contre A. Ltd (recours en matière civile)
4A_144/2007 du 29 août 2007
Regeste
Art. 93 Abs. 1 lit. a und b BGG
; Beschwerde gegen einen Vor- oder Zwischenentscheid.
Voraussetzungen, unter denen eine Beschwerde unmittelbar gegen einen Vor- oder Zwischenentscheid nach
Art. 93 Abs. 1 BGG
zulässig ist (E. 2).
A.
Par demande du 21 août 2000, A. Ltd, société de droit bahaméen ayant son siège aux Bahamas, a actionné X. et Y. devant la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud en paiement de la somme de 1'047'480 fr., avec intérêts à 5 % l'an dès le 8 octobre 1998. Cette somme représenterait le dommage causé par les défendeurs en leur qualité d'administrateurs de la société B. Inc., dont la demanderesse est actionnaire.
BGE 133 III 629 S. 630
B.
Alors que le procès en était au stade du dépôt du rapport d'expertise complémentaire, les défendeurs ont déposé le 25 novembre 2005 une requête incidente tendant à ce que la demanderesse A. Ltd, qui avait été radiée du registre du commerce des Bahamas le 10 avril 2003, fût éconduite d'instance pour le motif qu'elle avait perdu la qualité de partie.
Par mémoire incident du 31 mars 2006, la demanderesse a conclu au rejet de cette requête. Ne contestant pas avoir été radiée du registre du commerce des Bahamas, elle a toutefois soutenu qu'elle avait transféré son siège dans l'Etat du Delaware (Etats-Unis) et qu'elle était inscrite depuis le 18 mars 2004 au registre des sociétés de cet Etat sous la raison sociale A. Inc.; à titre subsidiaire, elle a soutenu qu'elle avait transféré ses actifs et passifs à cette société.
Le juge instructeur de la Cour civile a rejeté, avec suite de frais et dépens, la requête en éconduction d'instance par jugement incident du 21 avril 2006, que la Chambre des recours du Tribunal cantonal, statuant sur recours des défendeurs, a confirmé, avec suite de frais et dépens de deuxième instance, par arrêt du 17 janvier 2007.
C.
Agissant par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, les défendeurs concluent, avec suite de frais et dépens de toutes instances, à la réforme de cet arrêt en ce sens que la demanderesse A. Ltd soit éconduite d'instance. La demanderesse conclut avec suite de frais et dépens à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.
Le Tribunal fédéral a déclaré le recours irrecevable.
Extrait des considérants:
2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement sa compétence, respectivement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (art. 29 al. 1 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF; RS 173.110];
ATF 133 I 185
consid. 2;
ATF 132 III 291
consid. 1;
ATF 131 III 667
consid. 1 et les arrêts cités).
2.1
Le recours en matière civile est recevable contre les décisions finales (
art. 90 LTF
) et contre les décisions partielles au sens de l'
art. 91 LTF
, qui sont des décisions partiellement finales (BERNARD CORBOZ, Introduction à la nouvelle loi sur le Tribunal fédéral, in SJ 2006 II p. 319 ss, 323; FABIENNE HOHL, Le recours en matière civile selon la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005, in Les recours
BGE 133 III 629 S. 631
au Tribunal fédéral, 2007, p. 71 ss, 85). Aux termes de l'
art. 92 LTF
, il est également recevable contre les décisions préjudicielles et incidentes qui sont notifiées séparément et qui portent sur la compétence ou sur une demande de récusation (al. 1); ces décisions ne peuvent plus être attaquées ultérieurement (al. 2). Les autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément ne peuvent faire l'objet d'un recours, selon l'
art. 93 al. 1 LTF
, que (a) si elles peuvent causer un préjudice irréparable, ou (b) si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. Si le recours n'est pas recevable au regard de ces conditions ou s'il n'a pas été utilisé, les décisions préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées par un recours contre la décision finale dans la mesure où elles influent sur le contenu de celle-ci (
art. 93 al. 3 LTF
).
Cette réglementation est fondée sur des motifs d'économie de la procédure: en tant que cour suprême, le Tribunal fédéral ne devrait en principe connaître qu'une seule fois de la même affaire, à la fin de la procédure (CORBOZ, op. cit., p. 323 et 325; HOHL, op. cit., p. 85; Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 p. 4000 ss, 4035; cf.
ATF 123 I 325
consid. 3b;
ATF 117 Ia 88
consid. 3b;
ATF 116 Ia 197
consid. 1b), à moins que l'on se trouve dans l'un des cas où la loi autorise exceptionnellement, précisément pour des raisons d'économie de la procédure (cf.
ATF 123 III 140
consid. 2a;
ATF 117 II 349
consid. 2a), un recours immédiat contre une décision préjudicielle ou incidente.
2.2
Alors qu'une décision finale met fin à la procédure (
art. 90 LTF
) - que ce soit pour une raison de procédure ou de droit matériel (CORBOZ, op. cit., p. 322; HOHL, op. cit., p. 86) -, une décision préjudicielle ou incidente est prise au cours de la procédure et ne représente qu'une étape vers la décision finale; elle peut avoir pour objet une question formelle ou matérielle, jugée préalablement à la décision finale (cf.
ATF 129 III 107
consid. 1.2.1;
ATF 123 I 325
consid. 3b;
ATF 122 I 39
consid. 1a/aa;
ATF 120 III 143
consid. 1a;
ATF 117 Ia 251
consid. 1a et 396 consid. 1;
ATF 116 II 80
consid. 2b).
En l'espèce, l'arrêt attaqué, par lequel l'autorité précédente a rejeté une requête incidente des défendeurs tendant à ce que la demanderesse fût éconduite d'instance, ne met pas fin à la procédure. Il constitue une décision préjudicielle ou incidente qui, dès lors qu'elle ne concerne pas la compétence ou la récusation (cf.
art. 92 LTF
), ne peut
BGE 133 III 629 S. 632
faire l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral que si l'une des deux hypothèses prévues par l'
art. 93 al. 1 LTF
devait être réalisée (CORBOZ, op. cit., p. 326; HOHL, op. cit., p. 88), ce qu'il convient d'examiner ci-après.
2.3
Le recours est d'abord ouvert contre les décisions préjudicielles ou incidentes, notifiées séparément, qui peuvent causer un préjudice irréparable (
art. 93 al. 1 let. a LTF
). La notion de préjudice irréparable étant calquée sur celle que posait l'ancien
art. 87 al. 2 OJ
pour le recours de droit public, la jurisprudence rendue à propos de cette norme peut être transposée pour l'interprétation de l'
art. 93 al. 1 let. a LTF
(
ATF 133 IV 139
consid. 4).
2.3.1
Selon la jurisprudence relative à l'
art. 87 al. 2 OJ
, un préjudice ne peut être qualifié d'irréparable que s'il cause un inconvénient de nature juridique; tel est le cas lorsqu'une décision finale même favorable au recourant ne le ferait pas disparaître entièrement, en particulier lorsque la décision incidente contestée ne peut plus être attaquée avec la décision finale, rendant ainsi impossible le contrôle par le Tribunal fédéral; en revanche, un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (
ATF 131 I 57
consid. 1;
ATF 129 III 107
consid. 1.2.1;
ATF 127 I 92
consid. 1c;
ATF 126 I 97
consid. 1b,
ATF 126 I 207
consid. 2;
ATF 123 I 325
consid. 3c). Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision préjudicielle ou incidente lui cause un dommage irréparable, à moins que celui-ci ne fasse d'emblée aucun doute (
ATF 116 II 80
consid. 2c in fine).
2.3.2
En l'espèce, les défendeurs soutiennent que l'arrêt attaqué leur fait courir un risque de préjudice irréparable, dès lors que si la procédure devait se poursuivre et qu'ils devaient l'emporter finalement, ils ne pourraient plus faire valoir leur créance en dépens, puisque leur partie adverse n'existerait plus juridiquement.
Les défendeurs invoquent ainsi un risque d'accroissement de leurs propres dépens, lesquels ne pourraient plus être recouvrés s'ils devaient obtenir gain de cause en fin de compte. Or, comme on l'a vu, un accroissement des frais de la procédure n'est pas considéré selon la jurisprudence comme un préjudice irréparable, mais comme un dommage de pur fait (cf. consid. 2.3.1 supra). Au surplus, comme la demanderesse le souligne à juste titre, le recouvrement des dépens qui seraient alloués aux défendeurs, si ceux-ci devaient finalement
BGE 133 III 629 S. 633
obtenir gain de cause, est assuré par la garantie bancaire de 35'000 fr. que la demanderesse leur a fournie, conformément au jugement incident rendu le 29 mars 2005 par le juge instructeur de la Cour civile, pour garantir leurs dépens présumés. Le recours n'est donc pas recevable du chef de l'
art. 93 al. 1 let. a LTF
, en l'absence d'un préjudice irréparable.
2.4
Le recours est également ouvert contre les décisions préjudicielles ou incidentes, notifiées séparément, si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (
art. 93 al. 1 let. b LTF
). Cette règle est manifestement inspirée de celle posée par l'ancien
art. 50 al. 1 OJ
pour le recours en réforme, si bien qu'il y a lieu de se référer à la jurisprudence relative à cette disposition (CORBOZ, op. cit., p. 326; Message, FF 2001 p. 4131).
2.4.1
La première des deux conditions - cumulatives (cf.
ATF 132 III 785
consid. 4.1) - requises par l'
art. 93 al. 1 let. b LTF
est réalisée si le Tribunal fédéral peut mettre fin une fois pour toutes à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans la décision préjudicielle ou incidente (cf.
ATF 132 III 785
consid. 4.1 et les arrêts cités).
Cette première condition est manifestement réalisée en l'espèce, puisque si le Tribunal fédéral parvenait à la solution inverse de celle retenue par la cour cantonale, la demanderesse serait éconduite d'instance, ce qui mettrait fin définitivement à la procédure (cf.
ATF 131 I 57
consid. 1.1).
2.4.2
Quant à la seconde condition, il appartient au recourant d'établir qu'une décision finale immédiate permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse, si cela n'est pas manifeste; il doit en particulier indiquer de manière détaillée quelles questions de fait sont encore litigieuses, quelles preuves - déjà offertes ou requises - devraient encore être administrées et en quoi celles-ci entraîneraient une procédure probatoire longue et coûteuse (
ATF 118 II 91
consid. 1a;
ATF 116 II 738
consid. 1b/aa et les arrêts cités; HOHL, op. cit., p. 88).
En l'espèce, les défendeurs exposent que lorsqu'ils ont appris la radiation de la demanderesse du registre du commerce des Bahamas, les preuves par témoins et par expertise avaient déjà été administrées; toutefois, les plaideurs, et en particulier la demanderesse, auraient toujours la possibilité de se réformer (cf.
art. 153 ss CPC
/VD)
BGE 133 III 629 S. 634
et donc de requérir l'administration de nouvelles preuves, y compris testimoniales par voie de commission rogatoire.
Ainsi que les défendeurs l'admettent eux-mêmes, les preuves testimoniales et par expertise ont déjà été administrées, si bien qu'on ne voit pas qu'une décision finale intervenant à ce stade permettrait d'éviter des mesures probatoires. La simple possibilité théorique et abstraite que les parties puissent encore requérir, en se réformant, l'administration de preuves nouvelles, en particulier l'audition de témoins par voie de commission rogatoire, ne suffit manifestement pas pour admettre la réalisation de la seconde condition requise par l'
art. 93 al. 1 let. b LTF
, d'autant que les défendeurs ne prétendent pas que ces hypothétiques mesures probatoires seraient coûteuses.