Urteilskopf
140 II 102
11. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause X. contre Commission du Barreau du canton de Genève (recours en matière de droit public)
2C_433/2013 du 6 décembre 2013
Regeste
Art. 8 Abs. 1 lit. d BGFA
; Registereintrag einer Anwältin, die bei einer internationalen Anwaltskanzlei angestellt ist; Prüfung mit Bezug auf die Unabhängigkeit.
Unter dem Aspekt der Unabhängigkeit ist die Situation eines Anwalts, der den Anwaltsberuf neben einem Anstellungsverhältnis ausübt (E. 4.1), zu unterscheiden von derjenigen eines Anwalts, der seinen Beruf als Angestellter ausübt (E. 4.2). Beurteilung - im Anschluss an
BGE 138 II 440
- des Falles einer Inhaberin eines schweizerischen Anwaltspatents, die bei einer als
limited liability partnership
nach amerikanischem Recht organisierten internationalen Anwaltskanzlei tätig ist (E. 5).
A.
A. LLP est une société organisée selon le droit de l'Etat du Delaware (Etats-Unis d'Amérique), sous la forme d'une "limited liability partnership" (en abrégé: LLP) prévue et régie par le droit de cet Etat. Elle est détenue par A. Holding LLP, une autre société organisée de la même manière, selon le même droit.
A. LLP fait partie d'un groupe de sociétés de formes juridiques différentes (LLP, "limited partnership", "general partnership"), en vertu des lois de plusieurs Etats des Etats-Unis d'Amérique (Delaware, New York, etc.) et, pour l'une d'entre elles, selon le droit australien. Ce groupe de sociétés, qui se présente comme un cabinet juridique mondial ("global law firm"), exerce ses activités non seulement dans certaines villes des Etats-Unis d'Amérique (dont aucune n'est sise au Delaware), mais également dans plusieurs pays d'Asie, en Australie et en Europe.
Les associés ("partners") de A. LLP et de A. Holding LLP sont tous des avocats admis personnellement à exercer leur activité professionnelle dans les Etats où ils pratiquent le barreau; la Suisse n'en fait pas partie. Les statuts de A. Holding LLP n'excluent toutefois pas que des personnes exerçant une autre profession que celle d'avocat deviennent associés.
En mai 2002, A. LLP a ouvert un bureau d'avocats à Genève.
X., citoyenne allemande, est titulaire d'un brevet d'avocat zurichois délivré en 2007. En juillet 2011, elle a été engagée comme employée par A. LLP, pour pratiquer le métier d'avocat au sein du bureau genevois de cette société. Le 18 juillet 2011, elle a requis son inscription au registre cantonal des avocats.
Par décision du 7 août 2012, la Commission du barreau du canton de Genève (ci-après: la Commission) a rejeté la requête de X. Elle a considéré notamment que l'inscription de X. au registre genevois des avocats ne satisfaisait pas à l'exigence d'indépendance.
B.
A l'encontre de cette décision, X. a recouru à la chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice), qui l'a déboutée par arrêt du 19 mars 2013.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, X. demande au Tribunal fédéral, principalement, d'annuler l'arrêt du 19 mars 2013, de constater qu'elle remplit toutes les conditions en vue de son inscription au registre genevois des avocats et, en conséquence,
BGE 140 II 102 S. 104
d'ordonner à la Commission de procéder à ladite inscription; subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour qu'elle rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(résumé)
Extrait des considérants:
4.
Sous l'angle de l'indépendance institutionnelle, deux situations doivent être distinguées: d'une part, celle de l'avocat qui pratique ce métier à côté d'une activité salariée (cf. consid. 4.1 ci-après) et, d'autre part, celle de l'avocat qui exerce sa profession comme employé (avocat salarié; cf. consid. 4.2).
4.1
La première situation a fait l'objet de l'
ATF 130 II 87
, où il s'agissait d'un titulaire du brevet d'avocat, employé dans le service juridique d'une banque, qui requérait son inscription dans le registre cantonal des avocats, afin d'exercer cette profession à côté de son activité salariée. Selon cet arrêt, l'
art. 8 al. 1 let
. d 2
e
phrase de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (LLCA; RS 935.61), aux termes duquel l'avocat ne peut être employé que par des personnes elles-mêmes inscrites dans un registre cantonal, ne signifie pas nécessairement que, dans la situation en cause, l'intéressé ne soit pas en mesure de pratiquer en toute indépendance et ne puisse dès lors se faire inscrire au registre. En effet, le texte de l'
art. 8 al. 1 let
. d LLCA n'est clair qu'au premier abord. A une interprétation littérale, il faut préférer celle qui se fonde sur le sens de la norme et la volonté du législateur. Or, l'intention du législateur n'était pas d'exclure l'inscription au registre - faute d'indépendance institutionnelle - dans tous les cas où l'avocat requérant est employé par une personne qui n'est elle-même pas inscrite, mais de le faire seulement dans la mesure où un tel engagement comporte le risque que l'intéressé subisse des influences extérieures dans l'exercice de sa profession (
ATF 130 II 87
consid. 4.3.3 p. 97, consid. 5.2 p. 102 s.; cf. aussi
ATF 138 II 440
consid. 6 p. 446, consid. 14 p. 453, consid. 15 p. 455, consid. 17 p. 456).
Ainsi, l'
art. 8 al. 2 2
e
phrase LLCA crée (seulement) une présomption que l'indépendance fait défaut s'agissant de mandats présentant un lien quelconque avec l'engagement, comme lorsque l'avocat défend les intérêts de son employeur ou de clients de ce dernier (
ATF 130 II 87
consid. 5.1.1 p. 100,
BGE 140 II 102 S. 105
consid. 5.2 p. 103; cf. aussi
ATF 138 II 440
consid. 14 p. 453 s.). L'intéressé peut renverser la présomption en donnant toutes les informations utiles sur son engagement, de nature à établir clairement que son employeur ne peut exercer aucune influence sur la gestion des mandats (
ATF 130 II 87
consid. 6.1 et 6.2 p. 104 s.; arrêt 2A.124/2005 du 25 octobre 2005 consid. 2.2 et les références). Tel est le cas lorsque son activité d'avocat est à tous points de vue séparée de celle qu'il exerce comme employé, de sorte que l'engagement n'interfère pas avec l'exercice de la profession d'avocat (
ATF 130 II 87
consid. 5.2 p. 103, consid. 6.3.2 p. 107;
ATF 138 II 440
consid. 6 p. 446).
4.2.1
Autre est la situation de l'avocat qui exerce cette activité dans le cadre de rapports de travail (
art. 319 ss CO
). En effet, l'avocat qui est l'employé d'une étude doit, conformément à ses obligations contractuelles (
art. 321a CO
: devoir de diligence et de fidélité), sauvegarder les intérêts de son employeur, ainsi que des clients de ce dernier. Il se trouve dans une relation de subordination vis-à-vis de son employeur et est en principe tenu d'observer les directives et instructions particulières de celui-ci (cf.
art. 321d CO
), pour autant qu'elles n'entrent pas en conflit avec les règles professionnelles que l'avocat doit respecter, notamment l'exigence d'indépendance de l'
art. 12 let. b LLCA
(cf. arrêt 5C.116/2005 du 29 novembre 2005 consid. 3.3.3). Il peut même sembler approprié que l'avocat employeur donne des instructions à son collaborateur, lorsqu'il dispose d'une plus grande expérience que ce dernier et que c'est pour cette raison que le client lui a confié le mandat (WALTER FELLMANN, Anwaltsrecht, 2010, n. 282).
Ainsi, l'avocat salarié n'est pas seulement censé dépendre de son employeur, mais il est par définition dans une relation de subordination vis-à-vis de lui. La règle de l'
art. 8 al. 1 let
. d 2
e
phrase LLCA prend ici tout son sens: en exigeant que l'employeur de l'avocat requérant son inscription soit lui-même inscrit dans un registre cantonal, elle fait en sorte que le premier étant soumis à la LLCA et à la surveillance disciplinaire, il ne mésuse pas de sa position hiérarchique pour influencer son collaborateur dans un sens contraire aux intérêts du client. En vertu de la LLCA, l'employeur de l'avocat est en particulier tenu de résilier le mandat en cas de conflit d'intérêts (cf.
ATF 138 II 440
consid. 7 p. 447). C'est ainsi le statut de son employeur qui garantit l'indépendance de l'avocat employé.
BGE 140 II 102 S. 106
4.2.2
L'
art. 8 al. 1 let
. d 2
e
phrase LLCA envisage le cas où l'avocat salarié est employé par une étude organisée sous la forme traditionnelle d'une entreprise individuelle ou d'une société de personnes, dont respectivement l'exploitant et les associés sont eux-mêmes inscrits au registre des avocats.
Une évolution plus récente a conduit à ce que des avocats s'associent pour la pratique du barreau, en constituant une personne morale dont ils sont les employés. Cette situation a fait l'objet de l'
ATF 138 II 440
.
Dans cette affaire, il s'agissait de onze avocats associés au sein d'un bureau de Saint-Gall, qui envisageaient de poursuivre leur activité en intégrant une étude dont le support juridique était une société anonyme de droit suisse. Ces avocats demandaient qu'il soit constaté qu'ils pouvaient demeurer inscrits au registre cantonal avec cette nouvelle organisation. Le Tribunal de céans a fait droit à cette conclusion, en considérant que la question de l'indépendance requise ne devait pas dépendre de la forme juridique adoptée, mais de l'organisation mise en place dans le cas concret. Le choix de la société anonyme ou d'une autre forme juridique comme support d'une étude d'avocats n'empêchait pas les avocats concernés de se faire inscrire dans un registre cantonal - même si la personne morale n'y figurait pas elle-même -, pour autant que leur indépendance soit garantie de la même manière que s'ils étaient engagés par des avocats inscrits. Lorsque la société anonyme était entièrement contrôlée par des avocats inscrits, les garanties sous l'angle de l'indépendance institutionnelle étaient les mêmes que lorsqu'un avocat était engagé par un autre avocat lui-même inscrit. En l'occurrence, la société anonyme était et resterait entièrement contrôlée par des avocats inscrits dans un registre cantonal: seuls des avocats inscrits pouvaient devenir associés et les actions étaient soumises à des restrictions de transmissibilité; le conseil d'administration était composé uniquement d'actionnaires; outre le but de la société, les statuts ainsi qu'une convention d'actionnaires garantissaient que la direction de celle-ci soit assurée par des avocats inscrits. Dans ces conditions, les exigences d'indépendance posées par l'
art. 8 al. 1 let
. d LLCA étaient satisfaites (consid. 17 p. 457, consid. 18 p. 458, consid. 22 p. 462, consid. 23 p. 463). Le Tribunal de céans ne s'est en revanche pas prononcé sur la question de savoir si et, le cas échéant, à quelles conditions le fait que des personnes autres que des avocats inscrits détiennent des droits de participation dans la
BGE 140 II 102 S. 107
personne morale (dont l'activité peut être pluridisciplinaire, "Multidisciplinary Partnership") est conciliable avec la règle d'indépendance de l'
art. 8 al. 1 let
. d LLCA (consid. 23 p. 463).
Par ailleurs, l'arrêt en question ne fait pas de distinction selon que les avocats requérant leur inscription au registre sont titulaires de droits de participation (avec le statut d'associés) dans la société qui les emploie - ce qui, en l'espèce, allait apparemment être le cas après l'opération envisagée - ou qu'ils n'en disposent pas (ayant le statut de collaborateurs).
4.3
Le projet de loi fédérale sur la profession d'avocat, daté du 15 février 2012 et élaboré par la Fédération suisse des avocats (disponible sur le site Internet de cette dernière, à l'adresse
www.sav-fsa.ch
), prévoit la création d'un registre central des avocats autorisés par les autorités cantonales de surveillance à exercer leur profession (art. 15). Afin d'être inscrit dans ce registre, l'intéressé doit notamment "être en mesure d'exercer la profession d'avocat en toute indépendance; il ne peut être employé que par des personnes elles-mêmes inscrites au registre ou par une société d'avocats au sens des art. 38 ss" (
art. 17 let
. c). Aux termes de l'art. 38, intitulé "Société d'avocats", l'exercice collectif de la profession d'avocat est admis sous toute forme juridique prévue par le droit suisse. La société d'avocats doit remplir certaines conditions, tendant notamment à garantir qu'elle soit contrôlée par des avocats inscrits (cf.
art. 39 al. 1 let
. c, d et e), auxquels sont assimilés les confrères étrangers inscrits au tableau public des avocats étrangers habilités à exercer la profession en Suisse à titre permanent sous leur titre professionnel d'origine, ainsi que les notaires exerçant dans l'économie privée (art. 39 al. 2).
5.1
La recourante fait valoir que si la présomption d'absence d'indépendance de l'
art. 8 al. 1 let
. d LLCA peut être renversée dans le cas d'un avocat employé par un non-avocat, cela doit être a fortiori possible s'agissant d'un avocat engagé par un autre avocat, même étranger. Elle s'attache à démontrer que, dans son cas, toutes les exigences d'indépendance au sens de cette disposition sont respectées: tous les associés de A. LLP sont des avocats habilités à exercer la profession par l'autorité compétente de leur juridiction respective, l'association avec des non-avocats étant prohibée par les règles professionnelles et codes de conduite des barreaux respectifs; A. LLP a émis des règlements internes relatifs aux règles professionnelles et
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déontologiques et notamment aux risques de conflits d'intérêts; les avocats de A. LLP doivent s'assurer du respect par la recourante des règles professionnelles et s'abstenir de tout comportement de nature à conduire celle-ci à contrevenir aux règles professionnelles suisses. Ainsi, les associés de A. LLP répondraient à des exigences professionnelles extrêmement élevées et à tout le moins équivalentes à celles posées par la LLCA. La recourante fait valoir que l'ensemble des associés de A. LLP forme un "partenariat global unique" et que si elle est inscrite au registre cantonal, "toute exigence d'indépendance du droit suisse [...] sera inévitablement respectée globalement par les avocats de A. LPP afin de permettre le maintien de l'activité à Genève des avocats inscrits au Registre genevois". Toutes les garanties en matière d'indépendance seraient ainsi données.
Selon la recourante, le fait que les associés de A. LLP ne sont pas soumis aux règles professionnelles suisses n'empêche pas son inscription au registre. La Suisse permet en effet aux avocats européens de pratiquer la représentation en justice sur son territoire (cf.
art. 21 LLCA
), alors que les Etats européens connaissent des règles professionnelles différentes des siennes. Les avocats travaillant dans un bureau européen de A. LLP peuvent ainsi pratiquer la représentation en justice en Suisse comme prestataires de services et il serait paradoxal que la recourante, titulaire d'un brevet d'avocat suisse et établie à Genève, ne puisse le faire.
5.2.1
La recourante est employée par A. LLP, "limited liability partnership" constituée selon le droit de l'Etat du Delaware et qui fait partie d'un groupe de sociétés se présentant comme un cabinet juridique mondial. La "limited liability partnership" est un genre de "general partnership", forme juridique qui correspond à une société de personnes du droit européen continental, mais qui constitue une personne (morale) distincte de ses associés en vertu du
Uniform Partnership Act
de 1997 (cf. MERKT/GÖTHEL, US-amerikanisches Gesellschaftsrecht, 2
e
éd. 2006, n. 121-123, 132).
Le cas d'espèce a ceci de commun avec l'affaire à la base de l'
ATF 138 II 440
que la recourante exerce la profession d'avocat en étant employée par une personne morale. Il s'en distingue par le fait que cette dernière n'est pas régie par le droit suisse, mais par le droit américain. En outre, la recourante a apparemment un statut de collaboratrice (il ne ressort en effet pas de l'état de fait déterminant qu'elle
BGE 140 II 102 S. 109
détiendrait des droits de participation dans A. LLP), alors que, dans l'affaire précitée, les avocats qui requéraient leur inscription allaient semble-t-il devenir associés de l'étude qu'ils envisageaient de rejoindre. Cette dernière différence ne joue toutefois pas de rôle, puisque seule importe la façon dont la personne morale - en tant qu'employeur - est organisée (cf. consid. 4.2.2 ci-dessus). Il est dès lors permis en l'espèce de se référer à l'
ATF 138 II 440
.
Selon cette jurisprudence, le seul fait que l'avocat requérant son inscription est engagé par une personne morale qui n'est pas elle-même inscrite dans un registre cantonal, ne conduit pas nécessairement au rejet de la requête pour défaut d'indépendance. En s'écartant d'une interprétation purement littérale de l'
art. 8 al. 1 let
. d 2
e
phrase LLCA, le Tribunal de céans a en effet considéré que l'exigence que l'intéressé soit employé par des personnes elles-mêmes inscrites dans un registre cantonal ne doit pas s'entendre formellement, mais matériellement; elle est satisfaite aussi lorsque l'organisation mise en place dans le cas particulier présente les mêmes garanties sous l'angle de l'indépendance qu'un engagement par un ou plusieurs avocat(s) inscrit(s) (
ATF 138 II 440
consid. 17 p. 157, consid. 18 p. 458). Le point déterminant en l'espèce est donc de savoir si l'engagement de la recourante par A. LLP présente les mêmes garanties en termes d'indépendance que si elle était employée par un ou plusieurs avocat(s) inscrit(s) dans un registre cantonal, ce qu'il y a lieu d'examiner à présent.
5.2.2
Il est constant qu'aucun des associés de A. LLP n'est admis à pratiquer le barreau en Suisse et n'est, partant, inscrit dans un registre cantonal ni dans le tableau public des avocats des Etats membres de l'UE ou de l'AELE autorisés à exercer la représentation en justice en Suisse de manière permanente sous leur titre d'origine, au sens de l'
art. 28 al. 1 LLCA
.
Du moment qu'ils ne pratiquent pas la représentation en justice en Suisse, les associés de A. LLP ne sont pas soumis à la LLCA (cf.
art. 2 al. 1 LLCA
a contrario). Ils ne sont en particulier pas tenus d'observer les règles professionnelles de l'
art. 12 LLCA
. Sans doute doivent-ils respecter les règles professionnelles de leurs barreaux respectifs, qui peuvent être analogues à celles de l'
art. 12 LLCA
, même si des différences existent, notamment aussi sous l'angle du principe d'indépendance (cf.
ATF 138 II 440
consid. 5 p. 445 s.). La recourante fait par ailleurs valoir que les règles des différentes juridictions dans lesquelles A. LLP a des bureaux s'imposent à
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l'ensemble des avocats travaillant pour cette dernière, en raison de l'organisation sous la forme d'une étude active au plan mondial, dirigée par un "partenariat global unique" au sein de A. Holding LLP. En s'astreignant à respecter des règles professionnelles pour des questions d'organisation et, selon toute vraisemblance, de responsabilité, les associés de A. LLP ne se trouvent toutefois pas dans la même situation que s'ils étaient légalement tenus de les observer. En outre, n'étant pas inscrits dans un registre cantonal, ils ne sont pas soumis à la surveillance disciplinaire d'une autorité (cantonale) suisse, surveillance qui doit garantir le respect de la LLCA, notamment des règles professionnelles de l'art. 12. Dans ces conditions, on ne saurait dire que l'engagement de la recourante par A. LLP présente les mêmes garanties en termes d'indépendance que si elle était employée par un ou plusieurs avocat(s) inscrit(s) dans un registre cantonal. Partant, la condition dont l'
art. 8 al. 1 let
. d 2
e
phrase LLCA fait dépendre l'inscription au registre d'un avocat salarié n'est pas remplie dans le cas de la recourante.
5.2.3
Quant au fait que d'autres avocats employés par A. LLP dans ses bureaux européens pourraient, en dépit de la diversité des règles professionnelles, pratiquer le barreau en Suisse comme prestataires de services en vertu de l'
art. 21 LLCA
, alors que la recourante n'est pas admise à le faire, cela peut effectivement constituer une discrimination à rebours. Le risque d'une telle discrimination a été évoqué lors des débats parlementaires relatifs à la LLCA (BO 1999 CN 1557 s., interventions Hochreutener et Nabholz; BO 1999 CN 1560, intervention Bosshard). Il a été objecté que le droit européen permet à un Etat membre, à l'art. 6 de la directive du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (JO L 78 du 26 mars 1977 p. 17; Directive 77/249/CEE, à laquelle renvoie l'art. 19 de l'annexe I en relation avec l'annexe III de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes [ALCP; RS 0.142.112.681]), d'exclure les avocats salariés par une entreprise de la représentation en justice de leur employeur, pour autant que les avocats établis dans cet Etat n'y soient pas non plus autorisés (BO 1999 CN 1560, intervention Baader; cf. aussi
ATF 130 II 87
consid. 5.1.2 p. 101). Cette règle ne vise toutefois que la situation où l'avocat représente en justice son employeur; a priori, elle n'empêche pas l'avocat salarié de défendre les intérêts de tiers. Par ailleurs, l'avocat européen qui fournit
BGE 140 II 102 S. 111
des services en Suisse est soumis à la plupart des règles professionnelles de l'
art. 12 LLCA
(
art. 25, 27 al. 2 LLCA
), dont celle d'indépendance de la lettre b, mais non à l'
art. 8 al. 1 let
. d LLCA. Lorsque le droit de son Etat de provenance lui permet d'exercer le métier d'avocat comme salarié, sans que son employeur soit lui-même un avocat soumis aux règles professionnelles et à la surveillance disciplinaire, il peut en découler une discrimination à rebours, dans la mesure où il est admis à pratiquer la représentation en justice en Suisse, alors qu'un confrère établi dans le pays n'y est pas autorisé dans les mêmes conditions (cf. KASPAR SCHILLER, Schweizerisches Anwaltsrecht, 2009, n. 1133).
L'admissibilité de cette éventuelle discrimination ne doit pas être examinée à la lumière de l'ALCP, mais du droit interne (cf. KADDOUS/GRISEL, Libre circulation des personnes et des services, 2012, p. 26 et les références). Or, du point de vue du droit suisse, elle trouve une justification dans l'importance que revêt l'indépendance de l'avocat, qui est d'intérêt public (cf. consid. 7.2 non publié). L'invocation de la discrimination à rebours n'est ainsi d'aucune aide à la recourante, qui ne peut en déduire un droit d'être traitée autrement que ne le prévoit l'
art. 8 al. 1 let
. d 2
e
phrase LLCA.