Urteilskopf
144 IV 377
44. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Ministère public du canton de Vaud, Le Procureur général contre A. (recours en matière pénale)
1B_401/2018 du 10 décembre 2018
Regeste
Art. 93 Abs. 1 lit. a BGG
, 136 und 299 Abs. 1 StPO; Zulässigkeit der Beschwerde der Staatsanwaltschaft gegen einen die unentgeltliche Rechtspflege gewährenden Entscheid; Recht der Privatklägerschaft auf unentgeltliche Rechtspflege im Vorverfahren.
Hebt eine kantonale Behörde eine Verfügung der Staatsanwaltschaft auf und weist sie die Sache zum neuen Entscheid an die Staatsanwaltschaft zurück, führt das bei dieser im Allgemeinen zu einem nicht wieder gutzumachenden Nachteil, da sie sich gezwungen sieht, einen Entscheid zu treffen, den sie als rechtswidrig erachtet, ohne diesen in der Folge in Frage stellen zu können. So verhält es sich insbesondere, wenn die kantonale Behörde in der Sache gestützt auf eine Begründung - hier: das Verfahrensstadium - entscheidet, welche die Staatsanwaltschaft endgültig bindet (E. 1).
Die Privatklägerschaft hat das Recht auf unentgeltliche Rechtspflege im Vorverfahren während der - späteren - staatsanwaltschaftlichen Untersuchung (Art. 299 Abs. 1 in fine StPO; Bestätigung der Rechtsprechung). Dieses Recht hat die Privatklägerschaft auch im - vorherigen - polizeilichen Ermittlungsverfahren (
Art. 299 Abs. 1 StPO
; E. 2).
A.
Le 22 novembre 2017, A. s'est présentée à la police, à Genève, et a déposé plainte pénale contre son ancien ami pour contrainte sexuelle (
art. 189 CP
), usure (
art. 157 CP
) et traite d'êtres humains (
art. 182 CP
). Elle lui reprochait de l'avoir fait venir du Brésil en lui faisant miroiter un mariage, de l'avoir placée dans un état de dépendance psychologique et de l'avoir contrainte à subir des pratiques sexuelles, notamment dans un cadre échangiste, de l'avoir fait travailler à son service pour un salaire démesurément bas (200 fr. par mois) et d'avoir pratiqué de la sorte avec d'autres personnes.
Par ordonnance du 15 janvier 2018, rendue à la suite d'une demande de fixation de for intercantonal, le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois s'est saisi de la cause. Le 16 suivant, il a transmis cette plainte à la police pour investigations avant ouverture d'instruction. Le conseil de la partie plaignante s'est adressé, le 19 février 2018, au Ministère public pour savoir à quel stade se trouvaient les investigations policières, mentionnant que la plainte avait été déposée il y avait près de trois mois. Dans sa réponse du 20 février 2018, la Procureure a indiqué que les investigations étaient toujours en cours et que la partie plaignante serait informée en temps utile des suites qui seraient données aux résultats de celles-ci.
Le 21 mars 2018, A. a complété sa plainte pénale. Parallèlement, elle a requis auprès du Ministère public l'octroi de l'assistance judiciaire et la désignation de son conseil en tant qu'avocate d'office avec effet au 20 décembre 2017. Dans son courrier du 13 avril 2018, la
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Procureure a informé la requérante que, faute d'ouverture d'instruction pénale à ce stade, il n'y avait pas matière à désigner un avocat d'office. A. lui a demandé de reconsidérer sa position ou de rendre une décision formelle sujette à recours. Le 30 avril 2018, le Ministère public a maintenu sa position, courrier qui valait, le cas échéant, décision sujette à recours.
B.
Le 8 juin 2018, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours formé par A. contre cette ordonnance et désigné l'avocate Ana Rita Perez en tant que conseil juridique gratuit de la partie plaignante.
C.
Par acte du 30 août 2018, le Procureur général du Ministère public vaudois a formé un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant à sa réforme en ce sens que l'ordonnance du 30 avril 2018 soit confirmée, que les frais de la procédure de recours soient mis à la charge de A. et qu'aucune indemnité ne lui soit allouée pour la procédure de recours.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(extrait)
Extrait des considérants:
1.
L'arrêt attaqué, relatif à l'assistance judiciaire, est une décision rendue en matière pénale par une autorité de dernière instance cantonale (
art. 80 al. 1 LTF
). Le recours en matière pénale au sens des
art. 78 ss LTF
est donc en principe ouvert. Il a été déposé en temps utile (art. 45 al. 1, 46 al. 1 let. b et 100 al. 1 LTF) et les conclusions qui y sont prises sont recevables (
art. 107 al. 2 LTF
).
Le Ministère public, agissant par son Procureur général (art. 27 al. 2 de la loi vaudoise du 19 mai 2009 sur le Ministère public [LMPu; RSV 173.21];
ATF 142 IV 196
consid. 1 p. 197 ss), a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, dès lors qu'il conteste le droit de la partie plaignante à l'octroi de l'assistance judiciaire pour le stade des investigations de police (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 3 LTF).
Lorsqu'une autorité cantonale annule une ordonnance du Ministère public et lui renvoie la cause pour nouvelle décision, cette situation induit généralement un préjudice irréparable au second puisque ce dernier se voit contraint de rendre une décision qu'il considère comme contraire au droit sans pouvoir ensuite la remettre en cause devant
BGE 144 IV 377 S. 380
l'autorité de recours, respectivement devant le Tribunal fédéral (
ATF 142 V 26
consid. 1.2 p. 28 s.; arrêt 1B_341/2013 du 14 février 2014 consid. 1.2). En l'espèce, l'autorité précédente a annulé l'ordonnance du Ministère public et a statué sur le fond. La cour cantonale a ainsi reconnu à la partie plaignante le droit d'obtenir l'assistance judiciaire déjà au stade des investigations policières, ce que conteste le Ministère public. Si ce dernier peut révoquer le mandat d'office accordé en cas de changement des circonstances (cf.
art. 134 et 137 CPP
), il ne peut en revanche plus invoquer le motif du défaut d'ouverture d'une instruction formelle pour ce faire, étant lié par le prononcé de l'autorité de recours sur cette question. Il subit dès lors un préjudice irréparable au sens de l'
art. 93 al. 1 let. a LTF
.
Partant, il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Le Procureur général reproche tout d'abord à l'autorité précédente d'avoir considéré que la partie plaignante pourrait obtenir l'assistance judiciaire alors même qu'aucune instruction formelle au sens de l'
art. 309 CPP
n'avait été ouverte et que seules des investigations policières étaient en cours (
art. 299 al. 1 CPP
). Le recourant se prévaut à cet égard d'un arrêt de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral rendu le 18 avril 2018 (arrêt 6B_990/2017).
La phase de la procédure en cause dans cet arrêt est certes également celle des investigations policières au cours de la procédure préliminaire (
art. 299 al. 1 CPP
). Le droit de la partie plaignante à un défenseur
d'office
(
art. 136 CPP
) n'y est cependant pas examiné puisque cet arrêt a trait à la détermination du moment à partir duquel les autorités pénales - dont fait partie la police (
art. 12 let. a CPP
) - ont l'obligation de considérer que les conditions de la défense
obligatoire
au sens de l'
art. 130 CPP
("Notwendige Verteidigung", "Difesa obbligatoria") sont réunies (cf. l'arrêt précité consid. 2.3.3). Cette problématique étant manifestement différente de celle examinée dans la présente procédure, cet arrêt ne saurait ainsi concerner la partie plaignante.
En tout état de cause, l'arrêt 6B_990/2017 rappelle que le prévenu a le droit de se faire assister à n'importe quel stade d'une procédure pénale par un avocat de choix (
art. 127 al. 1 et 129 CPP
; cf. consid. 2.3.3 in fine); or, celui-ci peut, respectivement doit, si les conditions sont réalisées, demander sa désignation en tant qu'avocat
d'office
au sens de l'
art. 132 al. 1 let. b CPP
("Amtliche Verteidigung", "Difensore d'ufficio"). Un tel droit pour le prévenu ressort d'ailleurs
BGE 144 IV 377 S. 381
également expressément de l'
art. 158 al. 1 let
. c CPP, disposition que la police doit appliquer lors des auditions qu'elle met en oeuvre dans le cadre de ses investigations autonomes (MOREILLON/PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale, 2
e
éd. 2016, n° 6 ad
art. 158 CPP
; GUNHILD GODENZI, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], Donatsch/Hansjakob/Lieber [éd.], 2
e
éd. 2014, n
os
9 et 27 ad
art. 158 CPP
); selon cet article, le prévenu "a le droit de faire appel à un défenseur ou de demander un défenseur d'office" (die beschuldigte Person ist berechtigt, "eine Verteidigung zu bestellen oder gegebenenfalls eine amtliche Verteidigung zu beantragen"; l'imputato "ha il diritto di designare un difensore o di chiedere se del caso un difensore d'ufficio"; pour un exemple, arrêt 1B_66/2015 du 12 août 2015 consid. 2, in Pra 2015 n. 107 p. 872). Contrairement ainsi à ce que semble soutenir le Procureur général, un prévenu n'est pas privé de tout droit en matière de défense au stade des investigations de la police et il ne peut donc être tiré argument de sa situation pour refuser un avocat d'office à la partie plaignante durant cette même phase.
S'agissant de la partie plaignante, le Tribunal fédéral a déjà constaté qu'un droit à l'assistance d'un avocat d'office au sens de l'
art. 136 CPP
existe au cours de la procédure préliminaire dans la phase - ultérieure - d'instruction conduite par le Ministère public (art. 299 al. 1 in fine CPP), la partie plaignante n'ayant pas à attendre un prononcé de classement, une ordonnance pénale ou un renvoi en jugement pour déposer une telle requête (arrêts 1B_450/2015 du 22 avril 2016 consid. 2.2; 1B_341/2013 du 14 février 2014 consid. 2.2, in SJ 2014 I p. 397). Aucun motif - notamment eu égard aux réflexions susmentionnées en lien avec le prévenu - ne permet d'avoir une autre approche en ce qui concerne la phase - antérieure - des investigations de la police au cours de la procédure préliminaire (
art. 299 al. 1 et 306 CPP
). Cela vaut d'autant plus que l'
art. 127 al. 1 CPP
autorise la partie plaignante à se faire assister par un conseil juridique pour défendre ses intérêts dans toutes les phases de la procédure (arrêt 6B_741/2017 du 14 décembre 2017 consid. 7.2.1); tel peut être le cas dès le dépôt d'une plainte pénale, acte qui peut être effectué auprès de la police (
art. 304 al. 1 CPP
). Dans la mesure où la partie plaignante remplirait alors déjà les conditions de l'
art. 136 CPP
, son mandataire doit pouvoir immédiatement déposer une requête d'assistance judiciaire, sauf à violer ses obligations professionnelles, à engager sa responsabilité et/ou à encourir le risque de se voir refuser la couverture de ses premières interventions.
BGE 144 IV 377 S. 382
En outre, contrairement à ce que paraît craindre le Procureur général, la désignation d'un avocat d'office ne conduit pas à étendre les droits des parties et à passer outre les limites prévues par le code en fonction des différents stades de la procédure, soit notamment, lors des investigations policières autonomes, par rapport au droit d'accès au dossier (
art. 101 al. 1 CPP
; SCHMID/JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung [StPO], Praxiskommentar, 3
e
éd. 2018, n
os
3 et 6 ad
art. 101 CPP
; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, op. cit., n° 11 ad
art. 101 CPP
; DANIELA BRÜSCHWEILER, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], Donatsch/Hansjakob/Lieber [éd.], 2
e
éd. 2014, n° 7 ad
art. 101 CPP
) ou de participation à l'administration des preuves (art. 147 al. 1 a contrario CPP;
ATF 143 IV 397
consid. 3.3.2 p. 403;
ATF 139 IV 25
consid. 5.4.3 p. 35; SCHMID/JOSITSCH, op. cit., n° 7 ad
art. 306 CPP
; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, op. cit., n° 4 ad
art. 147 CPP
et n° 7 ad
art. 306 CPP
; WOLFGANG WOHLERS, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], Donatsch/Hansjakob/Lieber [éd.], 2
e
éd. 2014, n° 2 ad
art. 147 CPP
; LANDSHUT/BOSSHARD, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], Donatsch/Hansjakob/Lieber [éd.], 2
e
éd. 2014, n° 12 ad
art. 306 CPP
); l'indépendance en matière d'investigations de la police ne semble ainsi pas compromise (cf.
art. 4 al. 1 CPP
; SCHMID/JOSITSCH, op. cit., n° 2 ad
art. 306 CPP
; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, op. cit., n° 4 ad
art. 306 CPP
). On peine aussi à voir en quoi le prononcé relatif à la désignation d'un mandataire d'office ou le refus de celle-ci - qui entre manifestement dans la compétence du Ministère public à ce stade de la procédure (cf.
art. 61 let. a CPP
) - influencerait les constatations de la police ou l'appréciation du Ministère public quant aux suites à donner aux premières investigations effectuées.
Enfin, on rappellera que l'
art. 134 al. 1 CPP
- applicable par renvoi de l'art. 137 s'agissant de la partie plaignante - permet à la direction de la procédure de révoquer un mandat d'office si les motifs à l'origine de celui-ci disparaissent.
Au regard de ces considérations, une partie plaignante peut solliciter l'assistance judiciaire durant la phase des investigations policières au cours de la procédure préliminaire, n'ayant pas à attendre l'ouverture formelle d'une instruction pénale par le Ministère public. Partant, ce grief peut être écarté.