Urteilskopf
147 III 166
18. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. SA (anciennement X.A. SA) contre Communauté B. et consorts (recours en matière civile)
4A_169/2020 du 8 mars 2021
Regeste
Art. 71 Abs. 1, 81 Abs. 1, 82 Abs. 1, Satz 2, 85 Abs. 1 ZPO
; 135 Ziff. 2 OR
.
Der Antrag auf Zulassung der Streitverkündungsklage muss Rechtsbegehren enthalten, die geeignet sind, die Verjährung zu unterbrechen, sowie eine Begründung, die den Streitgegenstand umschreibt und so dem Gericht erlaubt, den sachlichen Zusammenhang zur Hauptklage zu überprüfen. Anwendung dieser Voraussetzungen auf die Streitverkündungsklage gegen einfache Streitgenossen (E. 3).
A.a
Le 12 juin 2018, deux communautés de copropriétaires par étages, la communauté "B." et la communauté "C." (ci-après: les communautés ou les demanderesses ou les intimées) ont ouvert action en paiement contre A. SA (ci-après: la défenderesse ou la recourante) devant la Chambre patrimoniale du canton de Vaud. Elles ont conclu en substance à la condamnation de la défenderesse à leur payer un montant de 1'171'597 fr. 30 avec intérêts à 5 % l'an dès le 13 juin 2018, à titre de garantie pour les défauts et de dommages-intérêts pour mauvaise gestion du contrat.
BGE 147 III 166 S. 167
A.b
Le 15 novembre 2018, la défenderesse a conclu au rejet de la demande principale et a déposé une requête d'appel en cause contre cinq sociétés, à savoir: D. SA, E. SA + F. SA, I. SA, G. SA et H. SA. La défenderesse a pris contre chacune d'elles un chef de conclusions identique tendant à ce que chacune de celles-ci la relève du montant global réclamé par la demande principale, dans les termes suivants:
[L'appelée en cause] est tenue de relever [la défenderesse] de tous montants en capital, intérêts et dépens, que [elle] pourrait être condamnée à payer aux [demanderesses] du chef des conclusions qu'elles ont prises au pied de leur "demande [...], à savoir 1'171'597 fr. 30 avec intérêts à 5 % l'an du 13 juin 2018".
Les demanderesses et trois des appelées en cause s'en sont remises à justice quant à l'admission de l'appel en cause, alors que deux autres appelées en cause ont conclu à son rejet.
A.c
Par prononcé du 21 octobre 2019, le juge délégué de la Chambre patrimoniale cantonale vaudoise a déclaré irrecevable la requête d'appel en cause formée par la défenderesse. Il a constaté que la défenderesse, appelante en cause, a conclu à ce que chaque société appelée en cause la relève du montant global de 1'171'597 fr. 30 avec intérêts, sans préciser la somme exacte qu'elle entendait réclamer à chacune d'elles. Se référant à l'
ATF 139 III 67
, il a estimé que la défenderesse ne pouvait pas prendre des conclusions globales sans en expliquer la cause alors même que le dossier permet de constater que la responsabilité théorique invoquée par les demanderesses avait été chiffrée pour chacune des entreprises concernées. Il a donc déclaré la requête d'appel en cause irrecevable pour "défaut de motivation en l'absence de conclusions précisément chiffrées et ventilées à l'encontre de chacune des appelées en cause".
Statuant le 10 février 2020, la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours de la défenderesse et confirmé le jugement attaqué. En bref, elle a considéré que la défenderesse a pris des conclusions identiques pour un montant total à l'encontre de chacune des appelées en cause alors qu'elle a indiqué le rôle joué par chacune d'elles et qu'il lui aurait été possible de ventiler le montant global entre elles en fonction du dommage chiffré que les demanderesses faisaient valoir pour les trois défauts dont elles se plaignaient. En effet, elles ont fait valoir trois défauts et chiffré le dommage pour chacun d'eux: le système de chauffage, qui a nécessité des travaux importants qui ont coûté
BGE 147 III 166 S. 168
792'019 fr. 20, l'installation de ventilation dont les frais de mise à niveau se sont élevés à 290'900 fr., ainsi que la réfection des balcons qui a coûté 509'718 fr. 10, auxquels s'ajoutent les frais d'expertise de 28'950 fr.
B.
Contre cet arrêt, qui lui a été notifié le 4 mars 2020, la défenderesse et appelante a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 3 avril 2020, concluant en substance à sa réforme en ce sens que sa requête d'appel en cause est admise. Elle invoque la violation des art. 84 al. 2 et 81 al. 1 CPC. En substance, elle reproche à la cour cantonale d'avoir combiné l'exigence de prendre des conclusions et celle de les motiver, y ajoutant ainsi une condition supplémentaire, soit celle de ventiler les conclusions en articulant un montant propre à chaque appelée en cause.
Sur les cinq appelées en cause, quatre s'en sont remises à justice. Seule l'appelée en cause n° 5 a conclu au rejet du recours; selon elle, dès lors qu'il était possible à la défenderesse de ventiler le montant global, le fait qu'elle ne l'ait pas fait justifie de déclarer son appel en cause irrecevable.
Les demanderesses ont conclu au rejet du recours.
La chambre des recours cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
La recourante a encore déposé de brèves observations.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des considérants:
3.
Chaque partie au procès principal peut appeler en cause un tiers contre lequel elle estime avoir des prétentions pour le cas où elle succomberait sur la demande principale (
art. 81 al. 1 CPC
). Il peut ainsi être statué dans un seul procès sur les prétentions des diverses parties. Un seul procès offre maints avantages: la décision unique évite le risque de jugements contradictoires pouvant résulter de deux procès successifs, épargne aux parties les inconvénients liés à des fors différents et permet de procéder en même temps à l'administration des preuves pour les deux actions. En revanche, il présente l'inconvénient de retarder et de compliquer la procédure sur la demande principale (
ATF 139 III 67
consid. 2.1, avec référence au Message du 28 juin 2006 relatif au Code de procédure civil suisse [CPC], ad art. 79 et 90; arrêt 4A_51/2013 du 8 janvier 2014 consid. 3).
BGE 147 III 166 S. 169
3.1
Il résulte du texte même de l'
art. 81 al. 1 CPC
("estime avoir contre [le dénoncé], pour le cas où il succomberait") que la prétention revendiquée dans l'appel en cause doit présenter un lien de connexité matérielle (sachlicher Zusammenhang) avec la demande principale. Ainsi, seules les prétentions qui dépendent de l'existence de la demande principale peuvent être exercées dans l'appel en cause. Il s'agit notamment des prétentions en garantie contre un tiers, des prétentions récursoires ou en dommages-intérêts, ainsi que des droits de recours contractuels ou légaux (
ATF 139 III 67
consid. 2.4.3).
Selon la jurisprudence, il est également nécessaire que ces prétentions soient soumises à la même compétence matérielle et à la même procédure (
ATF 139 III 67
consid. 2.4.2).
3.2
Procéduralement, dans une première étape, l'appelant en cause dépose une requête d'admission de l'appel en cause (
art. 82 al. 1 CPC
; Zulassungsgesuch), qui doit être introduite avec la réponse (si l'appel en cause est formé par le défendeur) ou avec la réplique (si l'appel en cause est formé par le demandeur). Après avoir entendu la partie adverse et l'appelé en cause (
art. 82 al. 2 CPC
), le tribunal statue sur l'admissibilité de l'appel en cause, décision qui peut faire l'objet d'un recours limité au droit de l'
art. 319 let. b ch. 1 CPC
(
art. 82 al. 4 CPC
).
Ce n'est que dans une deuxième étape, en cas d'admission de l'appel en cause, que l'appelant déposera sa demande dans l'appel en cause (
art. 82 al. 3 CPC
; Streitverkündungsklage), laquelle, comme toute demande en justice, doit satisfaire aux conditions de recevabilité (
art. 59 CPC
;
ATF 142 III 102
consid. 3;
ATF 139 III 67
consid. 67) et doit contenir des conclusions (
art. 221 al. 1 let. b CPC
), des allégations de fait (
art. 221 al. 1 let
. d CPC), qui doivent être suffisamment motivées (
ATF 144 III 519
consid. 5.2.1.1), et les moyens de preuves proposés à l'appui de celles-ci (
art. 221 al. 1 let
. e CPC) (
ATF 144 III 519
consid. 5).
3.3
En ce qui concerne la première étape et, plus précisément, la requête d'admission de l'appel en cause (Zulassungsgesuch; "Antrag zur Zulassung der Streitverkündungsklage"), l'art. 82 al. 1, 2
e
phrase, CPC dispose qu'elle doit énoncer les conclusions que l'appelant en cause entend prendre contre l'appelé en cause et les motiver succinctement.
3.3.1
Le but de cette exigence est de permettre au juge de vérifier qu'est bien remplie la condition de la connexité matérielle (sachlicher Zusammenhang) entre la créance qui est l'objet de l'appel en
BGE 147 III 166 S. 170
cause et la demande principale. Il suffit donc que la motivation présentée par l'auteur de l'appel en cause fasse apparaître que sa propre prétention dépend de l'issue de la procédure principale et qu'il démontre ainsi son potentiel intérêt à l'appel en cause (
ATF 146 III 290
consid. 4.3.1;
ATF 139 III 69
consid. 2.4.3; arrêt 4A_51/2013 précité consid. 3). En effet, dans cette étape, le juge n'a pas à procéder à un examen sommaire de l'appel en cause, de sorte qu'il n'est pas nécessaire que l'appelant en cause rende vraisemblable la réalisation des conditions de la prétention qu'il invoque dans l'appel en cause; il n'a pas non plus à examiner si, dans l'hypothèse où l'auteur de l'appel en cause devait succomber au principal, ses prétentions envers le tiers seraient matériellement fondées (
ATF 146 III 290
consid. 4.3.1;
ATF 139 III 69
consid. 2.4.3; arrêt 4A_51/2013 précité consid. 3).
3.3.2
Les conclusions qui, selon l'art. 82 al. 1, 2
e
phrase, CPC, doivent être prises dans la requête d'appel en cause, sont les mêmes que celles que l'appelant fera valoir dans la demande d'appel en cause elle-même (
ATF 146 III 290
consid. 4.3.1). Comme pour toute action tendant au paiement d'une somme d'argent (
art. 84 al. 2 CPC
), les conclusions doivent être chiffrées. Si le Tribunal fédéral a imposé cette exigence de chiffrer les conclusions, c'est notamment parce que, sous réserve du cas de l'
art. 85 CPC
, seules des conclusions chiffrées sont susceptibles d'interrompre la prescription, et ce pour le montant qui y est réclamé (
art. 135 ch. 2 CO
;
ATF 133 III 675
consid. 2.3.2;
ATF 122 III 195
consid. 9c in fine). Cette exigence stricte de procédure est manifestement dans l'intérêt du créancier - appelant en cause -, dont les droits risquent sans cela de se prescrire (en particulier lorsque le délai est de courte durée) (
ATF 142 III 102
consid. 5.3.2 in fine), à moins qu'il n'ait interrompu la prescription par un autre moyen idoine. Il semble que cet avantage ait échappé à la doctrine, qui s'est focalisée sur les frais de l'appel en cause alors que les conclusions prises peuvent être réduites en tout temps en cours de procédure, notamment en fonction du résultat de l'administration des preuves (cf. projet d'art. 82 al. 1, 3
e
phrase, CPC et Message du 26 février 2020 relatif à la modification du Code de procédure civile [Amélioration de la praticabilité et de l'application du droit], FF 2020 2607 ss, p. 2645). Ce n'est que si la demande principale elle-même n'est pas chiffrée et n'a pas besoin de l'être en vertu de l'
art. 85 CPC
que l'appelant en cause est dispensé de chiffrer ses conclusions tant dans sa requête d'admission que dans sa
BGE 147 III 166 S. 171
demande dans l'appel en cause. Il en découle que l'appelant ne peut pas se prévaloir de l'
art. 85 CPC
et renoncer à chiffrer les conclusions de sa requête d'appel en cause au seul motif qu'il ignore s'il succombera dans la procédure principale et, le cas échéant, quel montant il sera condamné à payer (
ATF 142 III 102
consid. 3.3; arrêt 4A_235/2016 du 7 mars 2017 consid. 2.2).
3.3.3
Quant à la motivation "succincte" exigée par l'art. 82 al. 1, 2
e
phrase, CPC, il suffit qu'elle délimite l'objet du litige (Streitgegenstand) et fasse apparaître que la prétention de l'appelant contre l'appelé dépend de l'issue de la procédure principale (
ATF 139 III 69
consid. 2.4.3; arrêt 4A_51/2013 précité consid. 3).
Selon la jurisprudence, ce sont les conclusions et le complexe de faits à l'appui de celles-ci qui permettent au juge de fixer l'objet du litige (Streitgegenstand;
ATF 142 III 210
consid. 2.1;
ATF 139 III 126
consid. 3.2.3;
ATF 136 III 123
consid. 4.3.1).
Lorsque l'appelant en cause entend faire valoir des prétentions contre plusieurs appelés en cause, comme consorts simples (
art. 71 al. 1 CPC
), il doit satisfaire à cette exigence de délimitation de l'objet du litige pour chacune de ses prétentions. Il doit ensuite indiquer avec quel objet spécifique de la demande principale celui-là est en relation et du sort duquel il dépend.
Si la requête ne satisfait pas à ces exigences, le juge doit déclarer la requête d'appel en cause irrecevable.
3.4
En l'espèce, la défenderesse et appelante en cause a indiqué que les demanderesses lui réclament des dommages-intérêts (de 1'171'597 fr. 30), en se plaignant de défauts qui affecteraient le chauffage de l'immeuble, le système de ventilation et les balcons. Elle n'a en revanche pas déterminé quel est l'objet du litige à l'égard de chacune des appelées en cause - qui sont des consorts simples -, ses conclusions à l'encontre de chacune portant sur le montant total pour lequel elle est recherchée par les demanderesses et alors même qu'elle indique que certaines des appelées ne répondent que d'un seul des défauts pour lesquels elle est actionnée par les demanderesses. Ce faisant, elle n'a pas individualisé l'objet de chacun des litiges contre les appelées en cause et elle n'a pas établi la connexité entre chacun de ces objets avec un objet précis de la demande principale au sort duquel chacun serait lié.
La requête d'appel en cause est donc irrecevable, comme l'a jugé la cour cantonale. Contrairement à ce que soutient la recourante,
BGE 147 III 166 S. 172
celle-ci n'a ainsi pas posé une condition supplémentaire qui ne résulterait pas de la loi.
Au surplus, on ne saurait voir dans la solution qui précède un quelconque formalisme excessif - qui n'est au demeurant pas invoqué - dès lors que c'est une exigence générale du droit de procédure que de devoir individualiser l'objet du litige (auquel s'attache l'autorité de la chose jugée) et que l'art. 82 al. 1, 2
e
phrase, CPC est destiné à permettre au juge de vérifier sa connexité matérielle avec l'objet ou une partie de l'objet de la demande principale.