Urteilskopf
150 I 93
11. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause A. et B. contre Service de la population et des migrants du canton de Fribourg (recours en matière de droit public)
2C_198/2023 du 7 février 2024
Regeste
Art. 8 Ziff. 1 EMRK
;
Art. 13 BV
;
Art. 3 KRK
; Umwandlung des Status der vorläufigen Aufnahme in eine Aufenthaltsbewilligung.
Die Nachteile, die mit dem Status der vorläufigen Aufnahme im Vergleich zur Aufenthaltsbewilligung für Kinder im Alter von 10 und 12 Jahren verbunden sind, erreichen nicht die erforderliche Schwere, um den Anspruch auf Achtung des Privatlebens im Sinne von
Art. 8 EMRK
zu berühren (E. 6).
Der Status der vorläufigen Aufnahme ermöglicht unter den vorliegenden Umständen auch die Wahrung der übergeordneten Interessen der Beschwerdeführer, wie sie sich aus der Kinderrechtskonvention ergeben (E. 6.7.1).
A.
D. et son épouse C., tous deux ressortissants syriens, sont arrivés en Suisse le 1
er
février 2014 avec leurs enfants, A., née en 2013 et
BGE 150 I 93 S. 94
B., né en 2012, munis d'un visa humanitaire. Le couple et leurs deux enfants ont été mis au bénéfice d'une admission provisoire, par décision du Secrétariat d'État aux migrations du 18 mars 2014.
Les époux ont divorcé le 2 juillet 2018. La garde des enfants a été confiée à leur mère. Les parents disposent de l'autorité parentale conjointe sur ceux-ci.
Par décision du 19 juillet 2019, D. a obtenu une autorisation de séjour pour cas de rigueur.
B.
Le 9 juillet 2021, C. a déposé une demande d'autorisation de séjour pour ses enfants, A. et B., en invoquant le regroupement familial avec leur père et leur bonne intégration.
Par décision du 7 juillet 2022, le Service de la population et des migrants du canton de Fribourg (ci-après: le Service cantonal) a rejeté cette demande.
Par arrêt du 1
er
mars 2023, la 1
ère
Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Fribourg (ci-après: le Tribunal cantonal) a rejeté le recours formé par les intéressés contre la décision précitée du 7 juillet 2022. Elle a également rejeté la requête d'assistance judiciaire complète déposée par les intéressés, faute de chance de succès, tout en renonçant à percevoir des frais de procédure.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public et du recours constitutionnel subsidiaire, A. et B. demandent au Tribunal fédéral, à titre principal, l'annulation de l'arrêt du 1
er
mars 2023, et l'octroi d'une autorisation de séjour. Subsidiairement, ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Les recourants requièrent également l'assistance judiciaire complète.
(...)
(extrait)
Extrait des considérants:
6.1
Les recourants, s'appuyant sur les
art. 8 par. 1 CEDH
et 13 Cst. (lequel a une portée identique à celle de l'
art. 8 CEDH
[cf.
ATF 146 I 20
consid. 5.1]), font valoir que le refus de leur accorder une autorisation de séjour et leur maintien dans le statut de personnes admises à titre provisoire représente une atteinte à leur droit à la vie privée et familiale qui ne respecte pas le principe de la proportionnalité. Ils
BGE 150 I 93 S. 95
reprochent en particulier à l'autorité précédente d'avoir considéré, en s'appuyant sur les directives du Secrétariat d'État aux migrations, qu'ils devaient obtenir le statut du parent avec lequel ils faisaient ménage commun, soit celui de leur mère, alors qu'ils allèguent entretenir des relations étroites avec leur père. En outre, ils mettent en avant le caractère précaire d'une admission provisoire, qui limite leur possibilité de voyager et de poursuivre graduellement leur intégration. Selon eux, leur intérêt supérieur (art. 3 Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant [CDE; RS 0.107]) n'a pas été suffisamment pris en compte et aucun intérêt public ne justifie le refus d'autorisation de séjour prononcé.
6.2
Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal cantonal retient qu'en principe, les recourants doivent avoir le statut de leur mère, qui est admise provisoirement en Suisse. Il écarte l'application de l'
art. 8 CEDH
en se référant à la protection de la vie familiale, mais sans examiner la question sous l'angle de la protection de la vie privée.
6.3
En l'occurrence, il y a tout d'abord lieu de rappeler que, dans le présent cas, la protection de l'
art. 8 CEDH
ne peut être invoquée qu'en lien avec la protection de la vie privée et non de la vie familiale (cf. consid. 1.1.3 non publié).
Ensuite, il faut relever que, contrairement à ce que soutient le Tribunal cantonal, les enfants mineurs peuvent avoir un statut de séjour différent de celui de leur mère (cf., pour ex., arrêts 2C_109/2023 du 4 juillet 2023; 2C_257/2020 du 18 mai 2020; ce qui ne s'oppose pas au fait, qu'en principe, ils devront la suivre en cas de départ à l'étranger si elle en a la garde [cf.
ATF 143 I 21
consid. 5.4; arrêt 2C_836/2022 du 22 mars 2023 consid. 4.2 et l'autre référence citée]). À cet égard, l'autorité précédente se réfère à mauvais escient aux directives LEI d'octobre 2013 établies par le Secrétariat d'État aux migrations (telles qu'actualisées le 1
er
mars 2022). En effet, le ch. 6.1.2 desdites directives, mentionné dans l'arrêt attaqué, précise le statut d'un enfant né hors mariage, ce qui n'est pas le cas des recourants. En outre, il ne ressort pas de celui-ci que l'enfant devrait par la suite conserver le même statut que le parent qui en a la garde. Dans le cas d'espèce, cette directive ne s'oppose donc pas à l'acquisition par les recourants d'un statut différent de celui de leur mère (cf. également le ch. 5.6.8 des directives précitées). Par ailleurs, il y a lieu de préciser que cette directive constitue une directive administrative qui n'a pas d'effets contraignants pour le juge (
ATF 141 II 338
consid. 6.1).
6.4
La présente cause ne porte pas sur une mesure mettant fin au séjour en Suisse. La jurisprudence développée en lien avec une telle situation et le droit au respect de la vie privée (cf.
ATF 144 I 266
) n'est donc pas pleinement transposable au cas d'espèce. Il convient bien plus d'examiner si les autorités fribourgeoises avaient l'obligation (positive) de délivrer une autorisation de séjour aux recourants pour leur permettre de garantir les éléments couverts par la vie privée.
La CourEDH a précisé que, dans le contexte des obligations positives comme dans celui des obligations négatives, l'État doit ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la communauté dans son ensemble, les objectifs visés au par. 2 de l'art. 8, à savoir le respect du principe de la proportionnalité, jouant un certain rôle. Dans ce cadre, l'État jouit d'une certaine marge d'appréciation (cf. arrêts CourEDH
Hämäläinen contre Finlande
du 16 juillet 2014 [requête n° 37359/09], § 65 ss;
Rodrigues Da Silva et Hoogkamer contre Pays-Bas
du 31 janvier 2006 [requête n° 50435/99], § 39; concernant la notion d'obligation positive, cf. également NATHANAËL PÉTERMANN, Les obligations positives de l'Etat dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, 2014, p. 41 ss et 49 s.). La CourEDH a également indiqué à plusieurs reprises que l'
art. 8 CEDH
ne garantissait pas à l'intéressé le droit à un type particulier de titre de séjour (permanent, temporaire ou autre), à condition que la solution proposée par les autorités lui permette d'exercer sans entrave ses droits au respect de la vie privée et familiale (arrêts CourEDH
B.A.C. contre Grèce
du 13 octobre 2016 [requête n° 11981/15], § 35;
Aristimuño Mendizabal contre France
du 17 janvier 2006 [requête n° 51431/99], § 66).
6.5
Selon la CourEDH, la notion de "vie privée" de l'
art. 8 CEDH
est une notion large qui ne peut pas faire l'objet d'une définition exhaustive. Cette disposition protège le droit à l'épanouissement personnel, que ce soit sous la forme du développement personnel ou sous celle de l'autonomie personnelle (cf. arrêts CourEDH
Barbulescu contre Roumanie
du 5 septembre 2017 [requête n° 61496/08], § 70et les références;
Nada contre Suisse
du 12 septembre 2012 [requêten° 10593/08], § 151 s.). L'
art. 8 CEDH
garantit à l'individu une sphèredans laquelle il peut poursuivre librement le développement et l'épanouissement de sa personnalité (arrêt CourEDH
A.-M.V. contre Finlande
du 23 mars 2017 [requête n° 53251/13], § 76 et les références).
BGE 150 I 93 S. 97
6.6
Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de se pencher sur les inconvénients que présentait le statut d'admis provisoire par rapport au bénéficiaire d'une autorisation de séjour et d'examiner si ceux-ci étaient propres à entraîner une ingérence dans la protection de la vie privée garantie par l'
art. 8 par. 1 CEDH
(cf.
ATF 147 I 268
). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a comparé, au regard du cas d'espèce (femme née en 1953, en Suisse depuis 1998 et au bénéfice d'une admission provisoire depuis un peu plus de dix ans), les caractéristiques de l'admission provisoire avec celles de l'autorisation de séjour. Il est arrivé à la conclusion que le statut d'admis provisoire comportait surtout des contraintes au niveau de la mobilité intercantonale et internationale (consid. 4.2 s.). Selon lui, l'atteinte au droit au respect de la vie privée qui pourrait découler de ce statut ne pouvait pas être qualifiée de grave (consid. 4.3). Constatant qu'en l'espèce, le refus d'une autorisation de séjour était de toutes les façons justifié en application de l'
art. 8 par. 2 CEDH
, le Tribunal fédéral a laissé cependant ouverte la question de savoir si les inconvénients liés à la présence précaire en Suisse de l'intéressée étaient graves au point de porter atteinte à la sphère de protection de l'
art. 8 par. 1 CEDH
(cf.
ATF 147 I 268
consid. 4.2 ss).
6.7
En l'espèce, il convient donc d'examiner si le statut de personnes admises à titre provisoire est contraire au droit des recourants au respect de leur vie privée. L'examen doit se faire en prenant en compte l'intérêt supérieur des enfants, indépendamment du statut de leur mère.
6.7.1
Les recourants ont certes un intérêt à pouvoir progressivement affirmer leur droit de présence en Suisse par l'obtention d'une autorisation de séjour, puis éventuellement d'établissement, voire par le biais d'une naturalisation, ce que leur statut de personne admise à titre provisoire ne leur permet pas de faire (cf. notamment
art. 34 al. 2 let. a et 4 LEI
[RS 142.20] et art. 9 al. 1 let. a de la loi fédérale du 20 juin 2014 sur la nationalité suisse [LN; RS 141.0]). Toutefois, dans les présentes circonstances, où les recourants ne sont pas exposés à un renvoi dans un avenir prévisible, on ne voit pas que ce désavantage entraînerait, au moment déterminant où l'arrêt attaqué a été rendu, une atteinte au respect de leur vie privée. À cet égard, on relèvera que leur statut actuel ne les empêche pas d'avoir en Suisse une vie sociale, d'y être scolarisés et d'y exercer des activités extra-scolaires. Compte tenu de leur âge, l'impossibilité d'aller à l'étranger avec leur classe, invoquée de manière théorique, ne constitue pas une limitation concrète de leur droit au respect de la vie
BGE 150 I 93 S. 98
privée. Ils peuvent en Suisse exercer sans entrave significative ledit droit et, au vu de leur âge, y poursuivre librement, avec leurs deux parents, le développement et l'épanouissement de leur personnalité. Ces éléments révèlent également que les intéressés peuvent concrètement s'intégrer en Suisse, étant par ailleurs précisé que la durée du séjour effectuée au titre d'une admission provisoire est prise en compte, de façon réduite, dans le cadre d'une naturalisation (
art. 33 al. 1 let. b LN
). Leurs intérêts supérieurs, tels qu'ils découlent de la CDE (à savoir notamment le droit au développement personnel, à ne pas être séparés de leurs parents et d'être élevés par eux, ainsi que le droit à l'éducation; cf. art. 3, 6, 7 al. 1, 9 al. 1 et 28 CDE) sont préservés, étant rappelé que l'
art. 3 CDE
ne fonde pas de prétention directe à l'octroi ou au maintien d'une autorisation (
ATF 144 I 91
consid. 5.2 et les arrêts cités; arrêt 2C_763/2021 du 25 juillet 2022 consid. 7.3.1).
Contrairement à ce que laisse entendre l'autorité précédente, les contraintes d'une personne admise provisoirement pour voyager à l'étranger dépassent le simple désagrément de devoir accomplir des démarches administratives. Le visa de retour que celle-ci doit acquérir n'est en effet délivré qu'à certaines conditions, notamment dans des cas d'urgence ou spéciaux ou pour des raisons humanitaires (cf. art. 9 al. 1 et 4 de l'ordonnance du 14 novembre 2012 sur l'établissement de documents de voyage pour étrangers [ODV; RS 143.5]) et le livret pour étranger F, remis à la personne admise provisoirement, ne lui permet pas de passer la frontière (art. 20 al. 2, phrase 3, de l'ordonnance du 11 août 1999 sur l'exécution du renvoi et de l'expulsion d'étrangers [OERE; RS 142.281]). Cette restriction dans la mobilité peut être considérée dans le cas d'un séjour de longue durée comme une atteinte au droit au respect de la vie privée. Au regard de l'âge des recourants, qui ont 10 et 12 ans, cette atteinte doit toutefois être qualifiée de légère. Elle ne permet pas de retenir, à elle seule, qu'elle serait grave au point de faire tomber la cause dans la sphère de protection de l'
art. 8 par. 1 CEDH
(cf.
ATF 147 I 268
consid. 4.2.3 et 4.4).
6.7.2
Il est par ailleurs indéniable qu'en dépit de la possibilité de travailler offerte aux personnes au bénéfice d'une admission provisoire depuis le
er
janvier 2019 (
art. 85a LEI
), un tel statut est propre à compliquer l'accès à une place d'apprentissage en comparaison avec une personne titulaire d'une autorisation de séjour (cf. arrêt du Tribunal administratif fédéral F-5147/2018 du 10 juin 2020
BGE 150 I 93 S. 99
consid. 6.5.2). En outre, après dix ans de séjour au titre d'une admission provisoire, durée encore non atteinte dans le cas d'espèce, seuls des motifs sérieux peuvent justifier le refus de l'autorisation requise (cf.
ATF 144 I 266
consid. 3.9). Cela étant, savoir si l'octroi d'un titre de séjour en lien avec une possibilité d'apprentissage s'imposerait, même si les recourants ne bénéficiaient pas d'une admission provisoire depuis dix ans, n'a toutefois pas à être tranchée, cette question étant hypothétique compte tenu de leur âge.
6.7.3
En conclusion, dans les présentes circonstances, le refus de l'autorisation en cause ne viole pas les obligations positives de l'État au regard du droit au respect de la vie privée. Le grief de violation de l'
art. 8 CEDH
est partant infondé.
6.7.4
Par ailleurs, ce qui précède ne préjuge en rien de l'issue d'une nouvelle demande d'autorisation de séjour fondée sur l'
art. 84 al. 5 LEI
, notamment lorsque les recourants seront en âge d'envisager un apprentissage.