Urteilskopf
150 III 262
28. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A. contre B. SA (recours en matière civile)
5A_122/2024 du 2 avril 2024
Regeste
Art. 191 SchKG
; Konkurseröffnung auf Antrag des Schuldners; Beschwerderecht von Drittgläubigern zur Geltendmachung eines Rechtsmissbrauchs des Schuldners.
Die Beschwerdelegitimation von Gläubigern gegen ein auf Verlangen des Schuldners ergangenes Konkurseröffnungsurteil zwecks Geltendmachung einer Verletzung von Regeln über die Zuständigkeit, wie in
BGE 149 III 186
anerkannt, muss auf Fälle erstreckt werden, in denen die Gläubiger sich über einen offensichtlichen Rechtsmissbrauch des Schuldners beschweren wollen (E. 3 und 4).
A.a
Par décision du 14 septembre 2022, le Président du Tribunal d'arrondissement de Lausanne (ci-après: le Président) a prononcé la faillite de A., à la demande de celui-ci.
A.b
Un recours a été exercé contre cette décision par B. SA, créancière du failli, par acte du 3 octobre 2022. Par arrêt du 30 décembre 2022, la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: Cour des poursuites et faillites) a admis le recours de B. SA, annulé le jugement de faillite et renvoyé la cause au premier juge pour nouvelle décision dans le sens des considérants, savoir qu'il motive en fait et en droit la décision qu'il avait rendue et, en particulier, qu'il expose en quoi les conditions de l'
art. 191 al. 1 LP
étaient remplies et, le cas échéant, en quoi le débiteur ne commettait pas d'abus de droit vis-à-vis des créanciers, et pour qu'il notifie cette décision à la recourante.
A.c
Par jugement du 2 mai 2023, le Président a notamment prononcé la faillite de A., le jour même à 10 heures (ch. I du dispositif), et ordonné la liquidation sommaire de cette faillite (ch. II).
A.d
Statuant par arrêt du 7 février 2024 sur le recours formé le 15 mai 2023 par B. SA, la Cour des poursuites et faillites l'a admis et a en conséquence réformé le jugement attaqué au chiffre I de son dispositif en ce sens que la faillite de A. n'est pas prononcée, le chiffre Il du dispositif étant supprimé.
BGE 150 III 262 S. 264
La Cour des poursuites et faillites a confirmé sa pratique permettant au tiers créancier de contester l'ouverture de la faillite selon l'
art. 191 LP
, aux fins notamment de dénoncer un abus de droit, considérant que l'
ATF 149 III 186
ne la remettait pas en cause. Sur le fond, la cour cantonale a, en substance, jugé que la requête de faillite personnelle du débiteur était abusive aussi bien dans son dessein que par le fait qu'il ne disposait pas d'actif réalisable au profit de la créancière.
B.
Par acte posté le 19 février 2024, A. exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 7 février 2024. Il conclut à sa réforme en ce sens que le recours déposé par B. SA le 15 mai 2023 est déclaré irrecevable, subsidiairement rejeté. Plus subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à la Cour des poursuites et faillites pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
(...)
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours, dans la mesure de sa recevabilité.
(
extrait
)
Extrait des considérants:
3.
Contrairement à ce que prétend le recourant, dans son arrêt publié in
ATF 149 III 186
, le Tribunal fédéral n'a pas limité la qualité pour recourir des créanciers non parties à la procédure de faillite initiée par le débiteur (
art. 191 LP
) à la seule hypothèse d'une éventuelle violation des règles de compétence. L'arrêt doit être lu à la lumière de l'objet du litige, lequel est circonscrit par les griefs valablement soulevés devant le Tribunal de céans. En l'occurrence, la question de savoir si le créancier a qualité pour recourir contre un jugement prononçant la faillite à la demande du débiteur dans la mesure où il invoque un abus de droit manifeste n'avait alors pas à être traitée. Au demeurant, cette question a expressément été laissée indécise dans l'arrêt considéré (consid. 3.4.3; cf. JAKOB/HUNSPERGER, Beschwerdelegitimation von Gläubigern gegen Konkurseröffnungs-entscheide infolge Insolvenzerklärung, PCEF 2023 p. 200 ss, 201). La présente affaire donne l'occasion d'y répondre et d'examiner si la pratique vaudoise (arrêt n° 184 de la Cour des poursuites et faillites du 11 septembre 2019, in JdT 2020 III p. 21) résumée au consid. 3.3.2 de l'
ATF 149 III 186
et fondant l'arrêt querellé est conforme au droit fédéral.
BGE 150 III 262 S. 265
4.
Le point de savoir si, pour dénier aux tiers créanciers la qualité pour recourir contre un jugement prononçant la faillite à la demande du débiteur (
art. 191 LP
), il est toujours justifié de se référer à un silence qualifié de la loi (
ATF 123 III 402
consid. 3a) est une question d'interprétation (cf.
ATF 150 III 137
consid. 3.4.1;
ATF 148 III 138
consid. 3.4;
ATF 125 V 8
consid. 3). Or, à cet égard, l'incidence de la modification de la LP du 21 juin 2013, entrée en vigueur le 1er janvier 2014 (nouveau droit de l'assainissement; FF 2013 4213; RO 2013 4111), doit être prise en compte.
4.1
Le nouveau droit de l'assainissement prévoit à l'
art. 295c al. 1 LP
que tant le débiteur que les créanciers peuvent attaquer la décision du juge du concordat par la voie du recours, conformément au CPC, que ceux-ci aient eux-mêmes été requérants ou qu'ils aient simplement été entendus par le juge. Le nouveau droit a considérablement renforcé la position des créanciers, dans la mesure où, auparavant, ces derniers ne pouvaient contester que la nomination du commissaire (cf. Message du 8 septembre 2010 concernant la modification de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite [droit de l'assainissement], FF 2010 5871, 5900 ch. 2.8; HUNKELER, in SchKG, Kurzkommentar, 2e éd. 2014, n° 2 ad
art. 295c LP
; STOFFEL/CHABLOZ, Voies d'exécution, 3e éd. 2016, § 12 n. 97).
4.2
La voie du recours prévu par l'
art. 295c LP
est ouverte aux créanciers pour contester non seulement la décision d'octroi ou de refus du sursis concordataire définitif, mais aussi, en vertu du renvoi de l'
art. 334 al. 4 LP
, celle octroyant ou refusant le sursis dans le cadre de la procédure de règlement amiable des dettes selon les
art. 333 ss LP
(arrêt 5A_1035/2019 du 12 mars 2020 consid. 6.1.2.3). La modification de la LP entrée en vigueur le 1er janvier 2014 a ainsi permis de clarifier la question controversée de savoir si le créancier dispose de la qualité pour recourir, bien qu'il ne soit pas partie à la procédure de première instance selon les
art. 333 ss LP
(arrêt 5A_ 1035/2019 précité loc. cit.; ANDRES/NYFFELER, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, Bd. II, 3e éd. 2021, n° 36 ad
art. 334 LP
). Il suit de là que la position du créancier a également été renforcée dans le cadre de la procédure de règlement amiable des dettes.
4.3
L'
art. 191 al. 2 LP
indique expressément que la faillite sur déclaration d'insolvabilité présuppose qu'il n'existe aucune possibilité de règlement amiable des dettes au sens des
art. 333 ss LP
. Le juge
BGE 150 III 262 S. 266
peut ainsi refuser l'ouverture de la faillite s'il existe une perspective d'assainissement et que, de manière abusive, le débiteur ne forme aucune requête en règlement amiable des dettes (TALBOT, in Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs SchKG, 4e éd. 2017, n° 11 ad
art. 191 LP
; RONCORONI, in SchKG, Kurzkommentar, 2e éd. 2014, n° 10 ad
art. 191 LP
; KGer SG, in GVP 2007 p. 286 ss [287 s.]; KGer BL, in RSJ n° 103/2007 p. 444 s. n. 25; voir également BRUNNER/BOLLER/FRITSCHI, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, Bd. II, 3e éd. 2021, n° 21b ad
art. 191 LP
; FRITSCHI, Verfahrensfragen bei der Konkurseröffnung, 2010, p. 176; KGer SH, in BlSchIK 2003, p. 176 ss [177] pour qui la perspective d'assainissement doit être "manifeste" [
offensichtliche Sanierungsaussicht]
). De manière générale, la déclaration d'insolvabilité est soumise à la réserve de l'abus de droit (
ATF 145 III 26
consid. 2.1); l'
art. 191 al. 2 LP
n'en fait que concrétiser le principe (MEIER, Konkursrecht, Neuerungen des revidierten Rechts und aktuelle Fragen aus Lehre und Praxis, RDS I 1996 p. 283 s.; FLÜCKIGER, Droit de recours des créanciers contre un jugement de faillite déclaré à la requête du débiteur?, RSJ n° 95/1999 p. 293 ss).
Le fait que, depuis la modification de la LP entrée en vigueur le 1
er
janvier 2014, tout créancier est légitimé à recourir contre une décision de sursis rendue dans le cadre d'une procédure de règlement amiable des dettes selon les
art. 333 ss LP
pour en faire contrôler la légalité rend caduc le principe selon lequel le tiers créancier ne peut pas contester une faillite qui serait prononcée à la demande du débiteur selon l'
art. 191 LP
, même si une telle demande participe d'un abus de droit. Admettre le contraire signifierait que, dans un cas, le tiers créancier est légitimé à se plaindre d'une violation de la loi, alors que, dans l'autre, il devrait accepter l'abus de droit. Or, dans les deux procédures concernées, ledit créancier ne dispose pas de la qualité de partie et la requête en règlement amiable des dettes joue un rôle. Par ailleurs, obtenir l'ouverture de la faillite selon l'
art. 191 LP
en omettant abusivement de former une telle requête n'apparaît pas moins dommageable qu'un sursis au sens de l'
art. 334 LP
octroyé ou refusé en violation de la loi. Le lien existant entre l'
art. 191 LP
et les
art. 333 ss LP
montre que la solution consistant à dénier au tiers créancier le droit de recourir contre un prononcé de faillite selon l'
art. 191 LP
, motif pris d'un silence qualifié de la loi (cf.
ATF 123 III 402
consid. 3a), ne se justifie plus au regard du nouveau droit de l'assainissement. Le sens et le but du renforcement
BGE 150 III 262 S. 267
de la position des créanciers, qui disposent du droit de recourir dans le cadre de la procédure de règlement amiable des dettes, impliquent que le tiers créancier a désormais la possibilité de se plaindre du fait que l'ouverture de la faillite à la demande du débiteur est constitutive d'un abus de droit, comme la pratique vaudoise le retient en définitive à juste titre.
Cela étant, le motif ayant conduit la Cour de céans à déjà reconnaître la qualité pour recourir aux tiers créanciers aux fins de dénoncer une violation des règles de compétence est également valable dans l'hypothèse où ceux-ci entendent dénoncer un abus de droit manifeste du débiteur qui requiert sa propre faillite. Tant les règles sur la compétence que l'interdiction de l'abus de droit sont de nature impérative et dans l'intérêt des tiers, en l'occurrence des créanciers. Or il est manifeste que les intérêts juridiquement protégés de ces derniers sont lésés ou exposés à l'être par suite d'un jugement de faillite qui aurait été abusivement obtenu par le débiteur (cf. GILLIÉRON, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5e éd. 2012, p. 368 n. 1565; FLÜCKIGER, op. cit., p. 297). Il n'y a donc pas de raison de traiter différemment ces deux hypothèses (dans ce sens: JAKOB/HUNSPERGER, op. cit., p. 203).
Infondé, le grief est rejeté.