Urteilskopf
85 II 359
57. Arrêt de la Ie Cour civile du 19 octobre 1959 dans la cause N. V. Koninklijke Nederlandsche Petroleum Maatschappij (Royal Dutch) contre Dana.
Regeste
1. Der Gerichtsstand der Arrestprosequierungsklage (
Art. 278 Abs. 2 SchKG
) bestimmt sich ausschliesslich nach kantonalem Recht (Erw. 1).
2. Verwendung von Begriffen des Bundesrechts in einem kantonalen Gesetz; Überprüfungsbefugnis des Bundesgerichts (Erw. 2).
3. Sachliche Zuständigkeit zur Überprüfung der Rechtsmässigkeit des Arrestes (Erw. 3).
A.-
Au début de 1958, la société N. V. Koninklijke Nederlandsche Petroleum Maatschappij (Royal Dutch), dont le siège est à La Haye, offrit en souscription 7 602 285 actions à ses actionnaires suisses. Les souscriptions étaient reçues, du 20 janvier au 10 février 1958, par le siège, les succursales et les agences suisses du Crédit suisse, de la Société de banque suisse, de l'Union de banques suisses, de la banque Leu et Cie et de la banque Pictet et Cie.
Félix Dana, ressortissant français et domicilié en France, prétend avoir contre la Royal Dutch une créance de 38 305 fr. 90. Le 22 janvier 1958, il obtint de l'autorité genevoise une ordonnance en vertu de laquelle les avoirs suivants de la Royal Dutch devaient être séquestrés, à concurrence de la créance qu'il faisait valoir, en mains de la banque Pictet et Cie et des succursales de Genève du Crédit suisse, de la Société de banque suisse et de l'Union de banques suisses:
"1. Créances et autres biens; Valeurs mobilières. -
2. Une créance, montant inconnu, notamment toutes sommes d'argent, valeurs mobilières, créances et autres biens, toutes sommes provenant de la souscription publique émise par la débitrice du 20.1.58 au 10.2.1958, toutes créances de la débitrice contre les tiers séquestrés dérivant de ladite souscription et de leur garantie à son égard, toutes sommes se trouvant sur les comptes particuliers des souscripteurs dans votre établissement à concurrence du montant de leurs souscriptions ou toutes créances en dérivant ..."
Ce séquestre fut effectivement exécuté.
B.-
La Royal Dutch a porté plainte contre cette mesure, qu'elle taxait d'irrégulière. L'Autorité de surveillance des offices de poursuite pour dettes et de faillite du canton de Genève a rejeté la plainte par décision du 11 avril 1958.
C.-
Entre temps, Dana a, le 6 mars 1958, fait notifier un commandement de payer à la Royal Dutch pour valider le séquestre conformément à l'art. 278 al. 1 LP. La Royal Dutch ayant fait opposition, il lui a intenté
BGE 85 II 359 S. 361
devant le Tribunal de première instance de Genève, selon l'art. 278 al. 2 LP, une action en paiement de 38 305 fr. 90 avec intérêt à 5% dès le 13 septembre 1957.
La Royal Dutch a élevé un déclinatoire. Elle alléguait que les autorités genevoises étaient incompétentes à raison du lieu, parce que le séquestre était irrégulier, tendait à créer abusivement un for en Suisse et que les biens séquestrés étaient inexistants, les banques en cause n'étant pas ses débitrices.
Par jugement du 8 janvier 1959, le Tribunal de première instance a rejeté le déclinatoire et s'est déclaré compétent. Sur appel de la Royal Dutch, la Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt du 16 juin 1959, confirmé le jugement attaqué. Elle a considéré en substance que les banques chez lesquelles le séquestre avait été opéré étaient bien débitrices de la Royal Dutch pour le montant des souscriptions et que, partant, ces créances pouvaient être l'objet d'un séquestre. Quant à la prétendue irrégularité du séquestre, a-t-elle ajouté, c'est là une question qui ressortit à la compétence exclusive des autorités de surveillance en matière de poursuite, qui ont du reste été saisies de ce moyen et qui ont rejeté la plainte.
D.-
La Royal Dutch recourt en réforme au Tribunal fédéral, en concluant à ce que les tribunaux genevois soient déclarés incompétents pour connaître de l'action intentée par Dana. Elle reprend les moyens tirés de l'inexistence de biens séquestrables et de l'irrégularité du séquestre.
L'intimé soutient que le recours est fondé sur une prétendue violation d'une règle de la procédure cantonale et il conclut dès lors à ce qu'il soit déclaré irrecevable. Subsidiairement, il en propose le rejet.
Considérant en droit:
1.
Selon le système de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite, le fait qu'une créance est incertaine n'empêche pas sa saisie ni même sa réalisation. Elle peut
BGE 85 II 359 S. 362
être vendue comme droit litigieux ou cédée au créancier saisissant, soit en paiement soit à charge de la faire valoir contre le tiers débiteur (art. 131 LP). Ainsi, le débat relatif à la créance contestée se vide entre le débiteur présumé, d'une part, et l'acquéreur ou le cessionnaire, d'autre part. De même, en cas de faillite, les droits litigieux du débiteur tombent dans la masse et il appartient à l'administration de la faillite ou aux créanciers cessionnaires de les faire valoir en justice (art. 260 al. 1 LP). Or l'exécution du séquestre a lieu, d'après l'art. 275 LP, suivant les formes prescrites pour la saisie et, lorsque l'opposition du débiteur séquestré est définitivement écartée, la poursuite est continuée par voie de saisie ou de faillite (art. 280 LP). Ainsi, il ne ressort pas de la loi fédérale que, si l'objet du séquestre est une créance contestée, le litige rela;tif à l'existence de ce droit doive être vidé avant que le séquestre soit définitif ni, par conséquent, que l'action en reconnaissance de dette prévue par l'art. 278 al. 2 LP ne puisse être intentée au for du séquestre qu'au cas où la créance séquestrée est établie.
Se fondant sur l'arrêt Banque Nationale de Bulgarie (RO 63 III 39), FRITZSCHE (Schuldbetreibung, Konkurs und Sanierung, II, p. 225) expose cependant que, d'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'existence de biens séquestrés est une condition du for spécial du lieu du séquestre pour l'action au fond de l'art. 278 LP. Cette opinion est erronée. Dans l'arrêt en question, la Chambre des poursuites et des faillites du Tribunal fédéral a simplement considéré comme possible que, dans le canton du séquestre, l'action en reconnaissance de dette ne pût être intentée au for du séquestre que si cette dernière mesure portait sur des biens existant réellement. Elle a d'ailleurs ajouté qu'il ne lui appartenait pas de dire si et par quel moyen le débiteur pouvait empêcher l'action en reconnaissance de dette lorsque le séquestre n'avait pas d'objet réel. Ainsi, le Tribunal fédéral n'a établi aucune règle sur ce point.
Il n'est du reste pas nécessaire de le faire. Le système de la loi est clair et complet: la question de l'existence de la créance séquestrée est résolue après l'exécution du séquestre et, le cas échéant, après le jugement des actions prévues par les art. 278 et 279 LP. Au demeurant, si l'on voulait trancher cette question dans l'action en reconnaissance de dette ou dans l'action en contestation du cas de séquestre, le débat ne se déroulerait pas entre les légitimes contradicteurs, puisque le débiteur de la créance cédée n'est point partie dans ces procès. Celui-ci ne serait donc pas lié par le jugement.
On doit en conclure que le droit fédéral n'a pas institué de règle spéciale relative au for de l'action au fond de l'art. 278 LP. Les cantons peuvent donc régler librement cette question, sous réserve de l'art. 59 Cst. et des traités. Dans les cas où ils prescrivent que l'action doit être intentée au for du séquestre, il leur est loisible de statuer que ce for suppose l'existence de biens séquestrés.
2.
L'art. 57 de la loi genevoise sur l'organisation judiciaire (OJ gen.) dispose notamment ce qui suit:
"En matière civile et sous réserve des dispositions de la Constitution fédérale, des lois fédérales et des traités internationaux, sont justiciables des tribunaux du canton: ...
5o Les personnes domiciliées à l'étranger et contre lesquelles un séquestre aura été pratiqué sur des biens se trouvant dans le canton pour autant qu'il s'agit de l'action au fond prévue par l'article 279, loi fédérale sur la poursuite pour dettes."
C'est en vertu de cette réglementation cantonale, parfaitement compatible avec le droit fédéral, que la Cour de justice a affirmé la compétence des tribunaux genevois pour statuer sur l'action intentée par Dana. Cette décision est, selon l'art. 43 OJ, soustraite à la connaissance de la juridiction fédérale de réforme. Celle-ci ne peut donc vérifier si le for prévu à l'art. 57 ch. 5 OJ gen. exige - comme l'arrêt déféré l'admet implicitement - que des biens aient effectivement été séquestrés, ni s'il dépend de la régularité du séquestre.
Sans doute, pour déterminer l'existence des créances
BGE 85 II 359 S. 364
séquestrées, les juges genevois ont appliqué le droit fédéral, analysant à la lumière des règles du mandat les relations juridiques entre la Royal Dutch et les banques auprès desquelles le séquestre avait été opéré. Mais, ce faisant, la Cour de justice a vérifié l'existence d'une des conditions exigées selon elle par la loi cantonale pour que l'action pût être intentée à Genève. Or l'application du droit fédéral dans les motifs d'un jugement portant sur une question de droit cantonal ne peut être l'objet d'un recours en réforme que si, sur le point considéré, le législateur cantonal a l'obligation de tenir compte de la loi fédérale. C'est dans ce cas seulement que le contrôle de la juridiction fédérale de réforme se justifie, puisqu'il est destiné à garantir les résultats que le législateur fédéral a voulu atteindre (RO 80 II 183, 84 II 133). Cette condition n'est pas remplie en l'espèce. Du point de vue du droit fédéral, il importe peu que le for du séquestre soit conditionné par l'existence de biens séquestrés et le législateur cantonal peut choisir librement les critères selon lesquels cette existence doit être déterminée.
La solution ne serait différente que si le droit fédéral ou un traité international garantissait un autre for à la recourante. Mais ce n'est pas le cas.
3.
La recourante invoque d'autre part une prétendue irrégularité du séquestre. Cependant, comme la juridiction cantonale l'a relevé, cette question est du ressort exclusif des autorités de poursuite, qui en ont d'ailleurs été saisies et ont statué définitivement.
Enfin, la Royal Dutch prétend que l'intimé, étranger domicilié hors de Suisse, a recouru au séquestre pour se créer artificiellement un for à Genève; elle voit là un abus de droit. Cette critique vise toutefois l'ordonnance de séquestre, dont le juge de l'action en reconnaissance de dette ne peut vérifier la régularité. Du reste, elle n'est pas fondée, car le droit de requérir un séquestre ne dépend pas du domicile ou de la nationalité du créancier.
Ces deux derniers arguments de la recourante relèvent
BGE 85 II 359 S. 365
d'ailleurs du droit cantonal, car ils reviennent à contester la façon dont a été appliquée une règle genevoise de compétence juridictionnelle.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
Déclare le recours irrecevable.