Urteilskopf
87 I 121
19. Arrêt du 1er mars 1961 dans la cause X. contre Neuchâtel et Bâle-Ville.
Regeste
Art. 46 Abs. 2 BV
.
Besteuerung durch zwei Kantone mit allgemeiner Reineinkommenssteuer. Verteilung der Schuldzinsen bei einer Person, die im einen Kanton für den Ertrag ihrer Liegenschaften und im andern für ihr übriges Einkommen steuerpflichtig ist.
A.-
X. est domicilié à Riehen, dans le canton de Bâle-Ville, où il exerce une activité dépendante. Il y est soumis à l'impôt sur le revenu et sur la fortune, sauf pour les biens-fonds qu'il possède dans le canton de Neuchâtel. Ces biens consistent tout d'abord dans deux parts de propriété, acquises par héritage: 3/16 sur un immeuble sis à Colombier et 1/8 sur un immeuble sis à Neuchâtel. La valeur cadastrale de ces parts est respectivement de 33 165 fr. et de 56 250 fr. De plus, en 1955, X. a acheté un second huitième de l'immeuble sis à Neuchâtel. Alors que la valeur cadastrale en était aussi de 56 250 fr., il l'a payé 225 000 fr., prix fixé par une expertise et qu'il a couvert par un emprunt du même montant.
Pour l'année fiscale 1959, le canton de Neuchâtel a estimé les biens-fonds à leur valeur cadastrale, soit 145 665 fr. et à 177 342 fr. les autres biens, imposables par le canton de Bâle-Ville. Ce dernier a fait de même, sauf pour le huitième d'immeuble acheté, à Neuchâtel, dont il a compté la valeur d'achat, 225 000 fr., et non la valeur cadastrale. De ce fait, la fortune brute se montait à 323 007 fr. d'après l'évaluation du premier et à 491 757 fr. d'après l'évaluation du second, tandis que leurs parts imposables représentaient respectivement 45,1 et 36,06% de ces sommes. Dans le calcul du revenu net, tenant compte des intérêts passifs, qui se montaient à 10 465 fr., chacun déduisit une somme correspondant auxdites parts, soit 4719 fr. pour Neuchâtel (45,1%) et 3774 fr. pour Bâle-Ville (36,06%). Le total des déductions ainsi admises (8493 fr.) demeurait donc inférieur au montant réel des intérêts passifs.
B.-
Estimant qu'il était soumis à une double imposition du fait que, dans le calcul de son revenu imposable à Neuchâtel et à Bâle-Ville, il n'avait pu déduire la totalité des intérêts passifs payés par lui, X. a formé un recours devant le chef du Département des finances du canton de Neuchâtel, puis, débouté, devant la Commission neuchâteloise de recours en matière fiscale; celle-ci a également
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rejeté le recours, le 25 novembre 1960, en bref par les motifs suivants:
La taxation, sur les points contestés, est conforme aux art. 43 et 40 de la loi neuchâteloise du 19 avril 1949, ainsi qu'à la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle, dans le calcul du revenu imposable, le contribuable peut défalquer une part des intérêts passifs correspondant à la proportion entre l'actif brut total et l'actif brut sis dans le canton. Même s'il avait appartenu à l'autorité bâloise d'estimer les immeubles sis dans le canton de Neuchâtel, sa décision, sur ce point, ne serait pas opposable aux autorités de ce canton. La double imposition dont se plaint le recourant n'est donc pas imputable auxdites autorités.
C.-
X. a formé un recours de droit public pour violation de l'art. 46 al. 2 Cst. Il demande au Tribunal fédéral de supprimer la double imposition dont il a fait l'objet.
D.-
Le canton de Neuchâtel conclut au rejet du recours en ce qui le concerne.
Le canton de Bâle-Ville conclut au déboutement dans la mesure où c'est sa taxation qui est visée.
Considérant en droit:
1.
Bâle-Ville et Neuchâtel connaissent le système de l'imposition du revenu global et de la fortune. Dans un tel cas, le contribuable dont le domicile et le lieu de travail se trouvent dans un canton, mais qui possède des immeubles dans un autre, est soumis aux deux souverainetés fiscales: pour la fortune et le revenu immobiliers à celle du canton où se trouvent les immeubles, pour le surplus à celle de l'autre canton. Dans le calcul de sa fortune et de son revenu imposables, il a droit à la déduction du total de ses dettes et des intérêts passifs. A cet effet, chacun des cantons devra défalquer une part proportionnelle desdits intérêts, qui sera au total de la somme déductible comme sa part de fortune brute est au total de cette fortune (RO 74 I 460, 462).
Il est clair que, selon la règle ainsi formulée, la déduction des intérêts passifs dans le calcul du revenu imposable ne correspondra au total de ces intérêts que si chacun des cantons fait, de la fortune brute, une estimation identique. Aussi le Tribunal fédéral a-t-il jugé que l'art. 46 al. 2 obligeait les cantons à appliquer les mêmes principes d'estimation (RO 74 I 128). Dans la présente espèce, le désaccord, sur l'estimation des immeubles, entre Bâle-Ville et Neuchâtel entraîne une défalcation incomplète, d'où résulte - le recourant l'affirme à bon droit - une double imposition contraire à l'article constitutionnel précité.
Selon la loi de Bâle-Ville, il faut, pour estimer les immeubles, tenir compte équitablement de la valeur de rendement et de la valeur vénale; pour les bâtiments destinés à l'habitation et aux affaires, c'est en général la moyenne entre ces deux valeurs qui fait règle (§ 63 de la loi du 22 décembre 1949 sur les impôts directs et § 12 lit. b de l'ordonnance du 28 juillet 1950). En l'occurrence, l'autorité bâloise ne s'en est pas tenue à ces règles, puisqu'elle a admis, comme l'a fait le fisc neuchâtelois, la valeur cadastrale, sauf pour la part de propriété nouvellement acquise par X., qu'elle a portée en compte pour la valeur d'acquisition, telle que l'avait fixée une expertise. Dans sa réponse au recours, le Conseil d'Etat bâlois explique qu'une application stricte des principes de la loi cantonale aurait abouti, pour l'ensemble des immeubles, à une estimation supérieure à celle qu'a admise l'administration (391 000 fr. au lieu de 314 415 fr.), ce qui entraînerait une réduction de la part des intérêts passifs qu'il devrait déduire. Quoi qu'il en soit, du reste, il n'y a pas lieu de procéder à une revision de sa taxation dans ce sens, mais seulement d'examiner si elle doit avoir le pas sur celle qu'a adoptée l'autre canton.
Au titre de la fortune, la loi neuchâteloise compte pour leur valeur cadastrale les immeubles qui se trouvent sur son territoire (art. 43 al. 1 de la loi sur les contributions
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directes, du 19 avril 1949); cette estimation est essentiellement fondée sur le rendement normal des immeubles et tient aussi compte de leur situation, de leur valeur commerciale et, pour les bâtiments, du chiffre de l'assurance de base (art. 90 al. 1).
Cependant, si l'on compare les valeurs auxquelles les deux cantons intéressés se sont arrêtés pour l'ensemble des immeubles, soit 145 665 fr. pour Neuchâtel et 314 415 fr. pour Bâle-Ville, on voit que cette dernière, touchant la répartition des intérêts passifs, aboutit à un résultat plus équitable du point de vue pratique. Selon la jurisprudence constante, en matière de double imposition, même dans le système de l'impôt sur le revenu global, on ne saurait appliquer d'une façon absolue le principe de l'unité du revenu, ni ignorer absolument les rapports qui existent entre telle dette et tel élément de la fortune ou telle source de revenu. Ainsi, par exemple, le canton sur le territoire duquel un contribuable possède un établissement commercial constitutif d'un domicile fiscal doit admettre la défalcation du total des frais généraux; de même, les intérêts passifs doivent être en premier lieu déduits du rendement de la fortune; ils ne sont imputables sur le reste du revenu que dans la mesure où ils excèdent ce rendement (RO 63 I 70). Pour des raisons analogues, on ne saurait ignorer, en l'espèce, que les intérêts passifs payés par le recourant concernent un emprunt de 225 000 fr. contracté pour l'achat de la seconde part sur l'immeuble sis à Neuchâtel. En fixant à 56 250 fr. la valeur fiscale de cette part, payée 225 000 fr., le fisc neuchâtelois, dans le calcul du revenu imposable par lui, a réduit le montant des intérêts passifs qu'il était tenu de déduire et augmenté d'autant la part que devrait imputer le canton de Bâle-Ville. Or non seulement la dette grève spécialement un élément de l'actif soumis à sa souveraineté fiscale, mais encore son estimation de cet élément apparaît dépassée et peu conforme à la réalité économique, vu le prix d'achat payé en 1955.
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Par ces motifs, l'estimation bâloise, égale à la valeur d'achat déterminée par une expertise et qui correspond apparemment à la valeur vénale, est préférable; pour l'ensemble des immeubles en tout cas, elle aboutit à la fixation d'une valeur fiscale qui permet une répartition des intérêts passifs plus équitable que celle qu'a adoptée l'autorité neuchâteloise. Elle doit donc prévaloir du point de vue de l'art. 46 al. 2 Cst.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours en tant qu'il est dirigé contre le canton de Neuchâtel,
le rejette en tant qu'il est dirigé contre le canton de Bâle-Ville.