Urteilskopf
97 V 178
43. Extrait de l'arrêt du 12 octobre 1971 dans la cause Caisse de compensation des arts et métiers suisses contre Gäumann et Commission cantonale genevoise de recours en matière d'assurance-vieillesse et survivants
Regeste
Eine Waise, die sich verheiratet, kann weder eine Hinterlassenenrente beanspruchen (
Art. 25 ff. AHVG
) noch Anrecht auf eine Zusatzrente für Kinder geben (
Art. 22bis Abs. 2 AHVG
, 35 IVG).
Considérant en droit:
1.
L'enfant a droit à une rente d'orphelin (art. 25 ss LAVS) ou ouvre droit à une rente complémentaire (art. 35 LAI, art. 22bis al. 2 LAVS) jusqu'à l'âge de 18 ans accomplis ou, s'il fait un apprentissage ou des études, jusqu'à la fin de cet apprentissage ou de ces études mais au plus tard jusqu'à l'âge de 25 ans révolus. Qu'en est-il en cas de mariage d'un tel enfant?
S'agissant d'une fille, la jurisprudence a reconnu que le mariage entramait l'extinction du droit à la rente d'orphelin (ATFA 1965 p. 22), ce qui met nécessairement aussi fin au droit à la rente complémentaire. Mais elle a laissé la question expressément indécise lorsqu'il s'agit d'un fils.
2.
En droit civil, le mariage d'un enfant non encore capable de subvenir lui-même à ses besoins crée un concours de devoirs d'entretien: celui des parents envers l'enfant, d'une part, et celui des époux entre eux, d'autre part.
Si le mariage rend majeur (art. 14 al. 2 CC), si la majorité met fin tant à la puissance paternelle (art. 273 CC) qu'au droit de jouissance des parents sur les biens et revenus de l'enfant (art. 292/293 et 295 CC), et si la doctrine en déduit que le devoir d'entretien aussi cesse en principe à la majorité de l'enfant (voir p.ex. HEGNAUER,
art. 272 N 66
ss), ce devoir peut néanmoins se prolonger au-delà de la majorité, soit aussi longtemps quel'éducation n'estpas achevée; une telle situation est fréquente lorsque l'enfant fait un apprentissage ou des études (v. p.ex.
BGE 97 V 178 S. 179
ROSSEL, tome I ch. 620; EGGER,
art. 272 N 3
; HEGNAUER,
art. 272 N 71
ss; FREY, Die Unterhaltspflicht der Eltern gegenüber ihren Kindern nach schweizerischem Recht, thèse Zurich 1948, p. 112 ss). A noter que, envers l'enfant durablement incapable de gagner sa vie, en raison d'une infirmité, le devoir d'entretien des parents prend fin à la majorité de l'enfant et que seule subsiste dès lors l'obligation d'assistance selon l'art. 328 CC (EGGER,
art. 272 N 5
; HEGNAUER,
art. 272 N 69
/70; FREY, p. 115).
Quant au devoir d'entretien entre époux, sa portée a subi l'influence de l'évolution sociale. Le devoir primaire incombe certes en principe au mari, qui "pourvoit convenablement à l'entretien de la femme et des enfants" (art. 160 al. 2 CC). Du fait que la femme "lui doit, dans la mesure de ses forces, aide et conseil en vue de la prospérité commune" (art. 161 al. 2 CC), les auteurs anciens tendaient à considérer que le devoir de la femme se bornait pour l'essentiel à s'occuper des affaires du mari et à contribuer aux frais du ménage dans le seul cadre du régime matrimonial (voir ROSSEL, tome I ch. 413; EGGER,
art. 160 N 8
, 161 N 15, 167 N 2, 192 N 3/4, 246 N 1/2). Mais les auteurs récents - et la jurisprudence - se réfèrent à l'art. 159 al. 2 CC, aux termes duquel les époux s'obligent mutuellement à assurer la prospérité de l'union conjugale. Des art. 161 al. 2 et 159 al. 2 CC, ils concluent que si le mari ne peut subvenir à l'entretien de la famille, le devoir d'entretien passe à la femme, qui peut être tenue à cette fin d'exercer une activité lucrative (v. p.ex. RO 79 II 140; LEMP,
art. 159 N 22
et 161 N 52); bien que subsidiaire, le devoir d'entretien de la femme envers son mari est donc entier (RO 85 I 5: "Die Pflicht des Ehegatten, das Wohl der Gemeinschaft zu wahren, trifft beide Gatten in gleicher Weise und soll bei der Anwendung aller Normen über die persönlichen Wirkungen der Ehe und das eheliche Güterrecht wegleitend sein"). Cette situation est fréquente dans les ménages d'apprentis ou étudiants - dont la prolongation de la durée de formation a fortement accru le nombre -, où l'épouse a ainsi le devoir d'entretenir son mari dans la mesure des nécessités et possibilités.
Les liens volontairement créés par l'union conjugale sont, dès celle-ci, à l'évidence plus étroits et intimes que ceux découlant encore de la filiation. Il est partant logique et conforme aux conceptions actuelles de la vie sociale que le devoir d'entretien
BGE 97 V 178 S. 180
réciproque des époux l'emporte sur celui des parents envers l'enfant émancipé. Autant qu'elle s'exprime, la doctrine admet même que le mariage de l'enfant met définitivement fin au devoir d'entretien des parents, à la charge desquels ne pourrait subsister qu'une éventuelle obligation d'assistance selon l'art. 328 CC (FREY, p. 127 et 169/170); expressément formulée dans le droit civil allemand, cette solution répond d'ailleurs à la règle voulant que le devoir d'entretien cesse en principe à la majorité de l'enfant. Or il est reconnu de longue date qu'une obligation d'assistance est subsidiaire à un devoir d'entretien (v. p.ex. RO 59 II 2 et 82 III 113; LAMP,
art. 160 N 15
; HEGNAUER,
art. 272 N 148
).
On peut donc dire en bref que, par son mariage, l'enfant devient certes débiteur mais aussi bénéficiaire d'une obligation d'entretien entre époux, qui relègue au second plan ou même écarte totalement le devoir d'entretien des parents; que, s'il est sans doute usuel de voir le mari fournir l'entretien à sa femme, celle-ci n'en a pas moins une obligation légale parallèle envers son mari incapable de gagner sa vie; que par conséquent l'égalité des sexes est à cet égard, en droit civil, une réalité non seulement juridique mais aussi sociale.
3.
Pour nier le droit à la rente de l'orpheline qui se marie, la jurisprudence (ATFA 1965 p. 22) n'a toutefois pas fait appel à ces règles du droit de famille, mais s'est fondée exclusivement sur le statut particulier de la femme mariée dans le droit de l'assurance-vieillesse et survivants. Elle a relevé que, par son mariage, la femme passait dans une catégorie d'assurés spécialement créée et qu'elle ne pouvait simultanément appartenir, du point de vue du droit de l'assurance-vieillesse et survivants, à un autre groupe familial.
Ce statut particulier de la femme mariée se manifeste dans le domaine des cotisations (art. 3 al. 2 lit. b LAVS), mais surtout dans celui des prestations. C'est ainsi que le décès du mari lui ouvrira droit à une rente ou allocation unique de veuve et, le cas échéant, à des rentes d'orphelins pour ses enfants (art. 23 ss et 25 ss LAVS); que le calcul de ces rentes - comme aussi celui des rentes de vieillesse leur succédant - subit l'influence de ce statut (art. 31 et 33 LAVS); que des rentes complémentaires seront allouées en cas d'invalidité du mari (art. 34 et 35 LAI); que la femme entre donc dans une catégorie protégée contre un risque nouveau et spécifique de perte de soutien.
BGE 97 V 178 S. 181
On ne trouve guère de parallèles à ce statut particulier de la femme mariée, si l'on examine la condition de l'homme dans le droit de l'assurance-vieillesse et survivants. Quel que soit son état civil, l'assuré de sexe masculin est soumis au même régime de cotisations. Ni le décès ni l'invalidité de l'épouse n'ouvre non plus droit à des prestations quelconques en faveur du mari personnellement, que ce soit rente de veuf (ignorée de la législation actuelle) ou rente complémentaire. Il n'y a pour le mari que protection tout au plus indirecte contre la perte du soutien de sa femme par le truchement des enfants, qui pourront toucher des rentes d'orphelins ou ouvrir droit à des rentes complémentaires, sous des conditions restrictives mais néanmoins régulièrement remplies dans des ménages d'apprentis ou d'étudiants où la femme subvient à l'entretien total ou partiel du ménage (art. 48 RAVS, art. 35 LAI). Et si l'homme marié bénéficie de certaines prestations sociales, c'est dans le cas de sa propre vieillesse (art. 22 LAVS) ou de sa propre invalidité (art. 33 et 35 LAI; la rente d'invalidité mettant par ailleurs fin au droit à la rente d'orphelin, art. 28bis LAVS).
Il est évident que ni la protection indirecte par le truchement des enfants ni le bénéfice de certaines prestations spéciales ne permettent de dire que, par son mariage, l'homme entre - à l'instar de la femme - dans une catégorie protégée contre un risque nouveau et spécifique de perte de soutien. De ce point de vue, la situation de l'orphelin qui se marie n'est aucunement assimilable à celle de l'orpheline. Cependant, on peut aborder le problème sous l'angle opposé et partir non pas de la couverture du risque de décès ou d'invalidité de l'épouse (couverture qui, comme exposé ci-dessus et contrairement à ce qui en est de l'épouse dans l'hypothèse inverse, n'existe pas en faveur du mari personnellement), mais de celle du risque de décès ou d'invalidité du mari. Se plaçant à ce point de vue, on constate que, par son mariage, l'homme crée une communauté dont les membres - femme et enfants - jouissent d'une protection spéciale dans le droit de l'assurance-vieillesse et survivants, lequel tend à garantir soit à ces membres directement la couverture de la perte de soutien (rentes de veuve et d'orphelins), soit au chef de famille la possibilité de satisfaire envers eux à son devoir d'entretien malgré l'invalidité ou la vieillesse (rentes complémentaires pour femme et enfants, rente de couple). La question qui se pose est alors la suivante: la protection que
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le droit de l'assurance-vieillesse et survivants accorde à cette communauté, créée par le mariage, contre le risque de perte (ou de diminution) du soutien de son chef est-elle encore compatible avec le maintien de ce chef dans la dépendance d'une autre communauté, au sein de laquelle il garderait - selon le droit de l'assurance-vieillesse et survivants - sa condition d'enfant protégé à titre individuel?
La logique du système légal paraît certes s'y opposer, mais les textes sont muets; l'énumération des causes d'extinction du droit à la rente d'orphelin (ou à la rente complémentaire pour enfant) ne cite pas le mariage de l'orphelin, et les arguments tirés par la jurisprudence du statut de la femme mariée ne valent pas pour l'enfant mâle. Si l'on considère le seul droit de l'assurance-vieillesse et survivants, la réponse n'est donc pas évidente, et des avis contradictoires peuvent être soutenus avec motifs pertinents à l'appui.
Pourtant si, pour interpréter le droit de l'assurance-vieillesse et survivants, on s'inspire en sus des règles du droit civil, une réponse négative s'impose. Sans doute le droit de l'assurancevieillesse et survivants ne fait-il pas appel direct, sur le point ici en question, aux règles du droit de famille; la rente d'orphelin (ou la rente complémentaire pour enfant) ne dépend pas de l'existence effective ni de l'étendue de l'obligation d'entretien assumée par les parents, et sa naissance découle du seul fait du décès ou de l'invalidité du père ou (sous certaines conditions) de la mère. Il n'en demeure pas moins que le fondement profond du droit aux prestations pour enfants est le devoir d'entretien des parents, découlant du droit de famille, et qu'il est dès lors juste de s'inspirer des règles de ce droit pour interpréter la signification et la portée du droit de l'assurance-vieillesse et survivants, lorsque celles-ci ne ressortent pas clairement du texte légal. Or, en droit civil, le devoir d'entretien des parents envers l'enfant est relégué au second plan ou même définitivement supprimé (seule subsistant une éventuelle obligation d'assistance selon l'art. 328 CC) dès que, par le mariage, l'enfant devenu ainsi majeur entre dans une nouvelle communauté familiale. On ne voit guère pour quels motifs le droit de l'assurance-vieillesse et survivants devrait s'écarter sur ce point des principes du droit civil, nonobstant la pratique administrative plus large jusqu'ici suivie à l'égard des orphelins de sexe masculin (voir RCC 1965 pp. 342 ss et Directives concernant
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les rentes, ch. 190 et 290). Une semblable dérogation, en soi pensable, devrait résulter de dispositions claires. L'orphelin qui se marie ne peut dès lors plus ni prétendre de rente de survivant, ni ouvrir droit à une rente complémentaire pour enfant.
Ces principes ont été soumis à la Cour plénière, qui les a approuvés.