Urteilskopf
115 II 149
26. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 13 avril 1989 dans la cause Caisse d'épargne et de crédit S.A. contre G. (recours en réforme)
Regeste
Art. 854, 859 Abs. 2 und 901 ZGB
.
1. Verpfändung eines Inhaberschuldbriefes. Übersicht über Lehre und Rechtsprechung zur Frage des Gegenstandes dieses Pfandrechts (E. 2).
2. Erwerb eines Inhaberschuldbriefes, der zur Sicherung einer Kontokorrentforderung als Faustpfand hingegeben wurde, durch den Pfandgläubiger im Rahmen des Faustpfandverwertungsverfahrens. Anschliessende Betreibung auf Grundpfandverwertung für den im Titel ausgewiesenen Forderungsbetrag.
Obwohl es stossend anmutet, steht die Weigerung des Gläubigers, den Erlös aus der Grundpfandverwertung auf seine ursprüngliche Forderung anzurechnen, in Einklang mit dem geltenden Recht, welches von der Abstraktheit der im Schuldbrief ausgewiesenen Forderung ausgeht. Im vorliegenden Fall hat indessen der Pfandgläubiger sein Einverständnis zur Anrechnung mit seinem Verhalten frühzeitig und unwiderruflich bekundet, weshalb seine spätere Weigerung unbeachtlich bleibt (E. 3-6).
A.-
Le 12 novembre 1969, la Caisse d'épargne et de crédit S.A. a accordé à G. un crédit en compte courant d'un montant maximum de 475'000 francs. Le prêt était notamment garanti par le nantissement d'une cédule hypothécaire au porteur de 260'000 francs, grevant en deuxième rang un immeuble dont le débiteur était propriétaire. Cette cédule a été réalisée le 30 janvier 1976 dans une poursuite en réalisation de gage mobilier; elle a été acquise aux enchères pour la somme de 1'000 francs par la Caisse d'épargne et de crédit S.A. qui a dès lors dénoncé, sans succès, la cédule au remboursement. Une poursuite en réalisation de gage immobilier a entraîné, le 3 décembre 1981, la vente de l'immeuble grevé. Pour la propriétaire de la cédule, le produit de la vente s'est élevé à 290'818 francs 95.
B.-
Le 20 juin 1983, la Caisse d'épargne et de crédit S.A. a ouvert action devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois à l'encontre de G., réclamant notamment au défendeur le remboursement du compte courant à concurrence de 403'140 francs avec intérêts à 7% dès le 1er juin 1982.
La cour cantonale a mis en oeuvre une expertise aux fins de déterminer le montant du solde du compte courant. Selon l'expert, le solde au 30 juin 1977 s'élevait à 395'565 francs 45 et au 31 mai 1982 à 194'444 francs 50. Pour aboutir à ce dernier résultat, l'expert a déduit différents montants de la créance alléguée par la demanderesse, et notamment la somme obtenue (290'818 francs 95) dans la vente de l'immeuble ensuite de la poursuite en réalisation du gage immobilier.
Par jugement du 12 février 1988, la Cour civile vaudoise a arrêté à 45'059 francs 45, créance assortie d'intérêts et de commissions trimestrielles, le montant du solde du compte courant en faveur de la demanderesse. La cour cantonale s'est écartée des conclusions de l'expert s'agissant d'une somme de 135'135 francs 05 a titre d'intérêts dont elle a nié l'existence pour la période antérieure au 31 janvier 1982. Elle a en outre déduit une somme de 14'250 francs provenant d'un livret d'épargne appartenant à l'épouse du défendeur.
C.-
La Caisse d'épargne et de crédit S.A. exerce en temps utile un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à la réforme du jugement entrepris en ce sens que le défendeur est
BGE 115 II 149 S. 151
condamné à lui payer la somme de 304'420 francs 40, plus intérêts et commissions. Le recours s'en prend uniquement à l'imputation du produit de la vente de l'immeuble sur le solde du compte courant.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des considérants:
2.
L'
art. 859 al. 2 CC
autorise la création de cédules hypothécaires (nominatives ou au porteur) au nom du propriétaire lui-même et la jurisprudence admet le nantissement d'une telle cédule (
ATF 38 III 160
,
ATF 41 III 266
,
ATF 52 III 159
,
ATF 93 II 85
,
ATF 104 III 35
), qui s'opère par la seule remise du titre (au porteur) au créancier gagiste (
art. 901 al. 1 CC
;
ATF 93 II 87
consid. 5).
L'objet du droit de gage demeure toutefois controversé. Une partie de la jurisprudence considère comme objet du gage la créance incorporée dans le titre (
ATF 68 II 87
;
ATF 93 II 86
consid. 3 et les citations;
ATF 107 III 135
consid. 6c et les citations). Le dernier de ces arrêts (
ATF 107 III 134
) voit en revanche l'objet du gage dans la quote-part de l'immeuble qui correspond au montant de la cédule et à la case hypothécaire qu'elle occupe. Il rejoint ainsi l'opinion déjà exprimée par le Tribunal fédéral dans l'arrêt
ATF 41 III 266
.
Il est certain que le titulaire du droit de gage ne l'est pas aussi de la créance incorporée dans le titre, puisqu'il ne bénéficie précisément que d'un droit de gage. Au demeurant, l'existence de la créance n'est que formelle, car elle ne peut prendre naissance aussi longtemps que le propriétaire du fonds et de la cédule détient simultanément la double qualité de créancier et de débiteur (
ATF 107 III 133
consid. 4, 134 consid. 5). Ce sont la réalisation du droit de gage, qui s'opère selon les règles des
art. 151 ss LP
(
ATF 52 III 160
,
ATF 89 III 45
), ou le transfert de la propriété du titre qui donnent naissance à la créance (
ATF 107 III 135
consid. 6b). Or le créancier gagiste peut se porter acquéreur de la créance au terme de la procédure de réalisation, ce qui lui permet, par la suite, de faire aussi réaliser la créance (
ATF 107 III 134
; HUBER, Die Ansprüche der Faustpfandgläubiger von Eigentümerschuldbriefen im Konkurs des Pfandeigentümers, RNRF 1979 p. 330-332). Le dernier arrêt cité a toutefois fait l'objet d'une critique sévère d'une partie de la doctrine (AMONN, RJB 1983 p. 339) et la Chambre des poursuites et des faillites du Tribunal fédéral, dans une récente décision (
ATF 113 III 147
consid. 4c), ne s'y est pas référée.
BGE 115 II 149 S. 152
Les théories de la doctrine majoritaire admettant la possibilité d'un vrai gage mobilier sur la cédule hypothécaire appartenant au propriétaire font l'objet de critiques depuis longtemps. En 1926 déjà, GUISAN (Le nantissement et la saisie des cédules hypothécaires et lettres de rente appartenant au propriétaire même de l'immeuble grevé, Lausanne 1926 p. 26 ss), bientôt suivi par GAUTSCHI (Beitrag zur Theorie des Eigentümergrundpfandes nach schweizerischem ZGB, thèse Zurich 1928, p. 213 ss) et PAYOT (Le nantissement des cédules hypothécaires au porteur, thèse Neuchâtel 1934, p. 63 ss), considérait que le créancier auquel la cédule avait été remise en nantissement ne disposait que d'un droit de gage immobilier. Il rejetait les opinions, soutenues par EUGEN HUBER et GUHL, qui, fondées sur les théories de la création ou de l'individualisation des droits réels, voyaient l'objet du gage dans le droit incorporé dans la cédule, droit qui prendrait naissance au moment même de l'inscription du titre au registre foncier, soit avant même la remise du titre à un tiers. Selon GUISAN, ces théories étaient incompatibles avec les principes de l'extinction des droits par la consolidation ou la confusion (
art. 118 CO
). La théorie de l'émission (Begebungstheorie), pour laquelle s'était prononcé le Tribunal fédéral (cf.
ATF 38 II 156
;
ATF 41 III 224
), n'a pas non plus trouvé grâce aux yeux de GUISAN qui considère que le titre ne peut acquérir la qualité de papier-valeur tant que le propriétaire du fonds l'est encore de la cédule, ce qui exclut un vrai acte de nantissement; si, en revanche, le créancier gagiste est devenu propriétaire de la cédule, il n'y a pas de nantissement, ce qui exclut la poursuite en réalisation d'un gage mobilier.
3.
En l'espèce, il n'est pas nécessaire de procéder à un nouvel examen des différentes théories en présence (cf. l'exposé de ZOBL, Probleme bei der Verpfändung von Eigentümerschuldbriefen, RNRF 1978 p. 193 ss). On doit en effet constater que la recourante a acquis la propriété, au terme d'une poursuite en réalisation de gage mobilier dont la validité n'a pas été contestée, de la cédule hypothécaire qui lui avait été remise en nantissement. Elle est donc devenue titulaire de la créance incorporée dans le titre, garantie par un gage immobilier ordinaire.
La question se pose toutefois de savoir si le produit de la réalisation subséquente du gage immobilier doit être imputé sur la créance en garantie de laquelle le gage mobilier sur (la quote-part de la valeur de) la cédule avait été constitué. La solution donnée à cette question revêt une importance considérable, car, en règle
BGE 115 II 149 S. 153
générale, le produit de la vente d'un gage mobilier sur une créance contre un débiteur en demeure ne suffira pas à désintéresser le créancier. Celui-ci, après en être devenu propriétaire dans la poursuite en réalisation de gage mobilier et avoir dénoncé la cédule au remboursement, sera donc amené, comme tel a été le cas en l'espèce, à requérir une poursuite en réalisation du gage immobilier pour la valeur nominale du titre.
La jurisprudence s'est déjà prononcée sur ce point. Elle considère que la créance garantie par le gage immobilier, que peut faire valoir celui qui a acquis la propriété de la cédule lors de la réalisation du gage mobilier, est indépendante de la créance qui résulterait d'un autre rapport juridique, celle d'un prêt en garantie duquel la cédule hypothécaire avait été remise en gage, par exemple (
ATF 89 III 43
). Toutefois, cette même jurisprudence et la doctrine ont été obligées de reconnaître que l'indépendance des deux créances peut entraîner, le cas échéant, un "préjudice" pour le débiteur (
ATF 52 III 160
), un gain disproportionné pour le créancier (
ATF 89 III 46
), des résultats inéquitables (ZOBL, loc.cit. p. 211) ou extrêmement choquants (OFTINGER, n. 141a ad
art. 901 CC
). Plus simplement, et d'ailleurs non sans raisons, GUISAN (loc. cit. p. 15) parle de "gains vraiment scandaleux". La présente espèce en constitue un exemple frappant: la recourante a acquis pour 1'000 francs la cédule qu'elle avait reçue en nantissement et a obtenu, dans la réalisation du gage immobilier subséquente, la somme de 290'818 francs 95; elle s'oppose toutefois à imputer ce montant sur la créance résultant du prêt accordé à l'intimé.
4.
La situation est différente quand l'immeuble grevé fait l'objet d'une saisie et d'une procédure de réalisation forcée ou lorsque le débiteur tombe en faillite - avant que la créance incorporée dans la cédule hypothécaire mise en gage ne soit réalisée.
Les art. 35 al. 2, 102 et 126 ORI (RS 281.42) prohibent en effet la vente séparée des titres de gage créés au nom du propriétaire et donnés en nantissement. Ces titres doivent figurer à l'état des charges selon leur rang et pour leur montant nominal ou, si elle est inférieure, pour la somme pour laquelle ils ont été remis en nantissement. Dans la procédure de faillite, les créances garanties par le nantissement sont colloquées comme garanties par gage mobilier, alors que les titres eux-mêmes sont inscrits comme créances garanties par gage immobilier à concurrence du montant pour lequel la créance garantie par le nantissement a été colloquée, mention étant faite de la collocation du gage mobilier. L'art. 76
BGE 115 II 149 S. 154
OOF (RS 281.32), ordonnance antérieure à l'ORI, prévoyait déjà l'interdiction d'une vente aux enchères séparée des titres de gage ayant trait à des créances garanties par les immeubles du failli et que celui-ci a mis en gage. Le but de ces dispositions est d'éviter que les autres créanciers ne subissent un préjudice si le créancier gagiste auquel une cédule hypothécaire a été remise en nantissement est colloqué en cinquième classe pour le découvert de sa créance garantie par gage, et si ensuite l'adjudicataire du titre (qui peut être le créancier gagiste lui-même) doit encore être admis pour le découvert de sa créance lorsque la réalisation de l'immeuble ne le satisfait pas entièrement (
ATF 52 III 170
consid. 1;
ATF 106 III 73
consid. 4 et les références;
ATF 107 III 129
consid. 1 et 134; HUBER, Die Ansprüche des Faustpfandgläubigers von Eigentümerschuldbriefen im Konkurs des Pfandeigentümers, RNRF 1979 p. 329 ss). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a rejeté l'opinion exprimée par ZOBL (loc.cit. p. 214), selon lequel les art. 76 OOF et 126 ORI tendraient à placer le créancier gagiste mobilier dans la même situation que s'il était devenu propriétaire du titre avant le prononcé de la faillite. Ils ne le pourraient du reste pas, puisque cela reviendrait à modifier la situation de droit matériel du créancier qui se trouverait ainsi assimilé à celui qui aurait obtenu la réalisation du gage avant la déclaration de faillite (
ATF 102 III 94
;
107 III 134
/135 consid. 5 in fine). Le créancier gagiste n'a donc que les droits qui existaient au moment de l'ouverture de la faillite sur la base des accords de droit privé passés avec le débiteur.
5.
a) La cour cantonale a estimé que la demanderesse devait imputer sur la créance résultant du compte courant le montant obtenu dans la réalisation de l'immeuble en considérant que, en remettant en gage une cédule hypothécaire au porteur, le propriétaire du titre transfère au créancier un papier-valeur incorporant une créance abstraite dont tout propriétaire de l'immeuble répond. Le créancier devient titulaire de la créance garantie par gage immobilier et il est légitimé à faire valoir cette créance du fait qu'il détient le titre. Le créancier ne peut pas avoir de gage sur sa propre créance, ce qui reviendrait à dire qu'il est son propre créancier gagiste. Selon la cour cantonale, il s'agit donc en l'occurrence d'une cession fiduciaire à fin de garantie (
art. 164 CO
), le produit de la réalisation de la créance garantie par gage immobilier éteignant la créance. Comme la fiducie a pour but l'extinction de la créance de base, il est nécessaire de procéder à l'imputation du produit obtenu
BGE 115 II 149 S. 155
lors de la réalisation. Le créancier gagiste est donc dans ce cas un créancier immobilier, la créance abstraite garantie doublant la créance causale. Il ne peut donc requérir qu'une poursuite en réalisation de gage immobilier, et non mobilier.
b) Les arguments développés par la cour cantonale, qui se recoupent avec ceux avancés par GILLIÉRON (JT 1981 II p. 122 ss, 1984 II p. 12, 1986 II p. 147, 1988 II p. 71), sont inexacts dans leurs prémisses. D'une part, dans la mesure où la cédule hypothécaire du propriétaire est uniquement constituée en gage et n'est pas transférée au créancier, celui-ci ne devient pas titulaire de la créance garantie par gage immobilier. D'autre part, rien ne permet d'affirmer, à défaut de constatations de la cour cantonale sur la volonté interne des parties, que celles-ci soient convenues d'une remise à titre fiduciaire. Cette forme de garantie est certes pratiquée (cf. ZOBL, Zur Sicherungsübereignung von Schuldbriefen, RNRF 1987 p. 281 ss), mais elle suppose une convention spéciale des parties et n'est pas inhérente au nantissement d'une cédule hypothécaire du propriétaire. En l'espèce, d'ailleurs, le fait que la demanderesse ait acquis aux enchères la cédule dans la poursuite en réalisation du gage mobilier irait à l'encontre d'une convention de remise du papier-valeur à titre fiduciaire.
6.
a) Les critiques soulevées par la doctrine et la jurisprudence à l'encontre du résultat choquant que constitue d'une manière générale la possibilité pour le créancier de refuser l'imputation du produit de la réalisation du gage immobilier sur la créance de base ne peuvent cependant trouver de correctif dans l'interprétation des dispositions légales en vigueur. On ne saurait en effet considérer que la loi souffre d'une lacune (improprement dite) en s'en tenant dans tous les cas au principe du caractère abstrait de la créance constatée dans la cédule hypothécaire. C'est au législateur qu'il appartient de remédier, s'il l'estime nécessaire, à ces inconvénients (cf.
ATF 111 II 132
consid. b;
ATF 111 Ib 229
consid. 2a). La recourante, dont les moyens se fondent pour l'essentiel sur l'application stricte des règles qui régissent les droits découlant de la propriété de la cédule hypothécaire, a donc raison dans le principe.
b) En l'espèce, toutefois, et comme l'a retenu la cour cantonale à titre subsidiaire, on doit constater que, par le comportement qu'elle a adopté, soit en portant à deux reprises dans ses décomptes le montant du produit de la vente au crédit du compte courant, la demanderesse avait accepté le principe de l'imputation.