Urteilskopf
118 II 496
94. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 25 novembre 1992 dans la cause A. S.A. contre N. et consorts (recours en réforme)
Regeste
Aktiengesellschaft. Beschluss über die Entlastung der Verwaltung (Art. 695 Abs. 1 aOR).
Weder die Erben eines Verwaltungsrates (E. 5a) noch eine Erbengemeinschaft, die ein Mitglied im Verwaltungsrat hat (E. 5b), dürfen am Beschluss der Generalversammlung über die Entlastung des Verwaltungsrates mitwirken.
Le 23 novembre 1988, l'assemblée générale de la société A. S.A. a, par 497 voix contre 378, voté la décharge à l'administration pour les exercices 1985 et 1987. Ont, notamment, pris part à ces décisions l'hoirie S. avec 147 actions, dont un membre avait été administrateur de la société pendant les deux exercices en question, ainsi que dames G. et R. avec respectivement 46 et 47 actions, toutes deux héritières de T., administrateur de la société jusqu'en février 1987.
N. et consorts, qui n'avaient pas voté les décharges, ont attaqué les décisions en ouvrant deux actions distinctes. Par jugement du
BGE 118 II 496 S. 497
6 juillet 1992, la Cour civile a, après avoir ordonné la jonction des causes, admis les deux demandes et annulé les deux décisions de décharge, la majorité nécessaire n'étant ainsi plus atteinte.
Par arrêt du 25 novembre 1992, le Tribunal fédéral a rejeté un recours en réforme déposé par A. S.A. contre le jugement cantonal précité.
Extrait des considérants:
5.
Aux termes de l'art. 695 al. 1 aCO, applicable au cas particulier en vertu du droit transitoire - le nouveau droit ne contient d'ailleurs que des modifications d'ordre rédactionnel -, les personnes qui ont coopéré d'une manière quelconque à la gestion des affaires sociales ne peuvent prendre part aux décisions qui donnent ou refusent décharge à l'administration.
a) Dames G. et R. sont les héritières de T., membre du conseil d'administration de la défenderesse jusqu'en février 1987. Elles ont voté la décharge aux administrateurs et, par conséquent, au de cujus pour les exercices 1985 et 1987. Reste, dès lors, à savoir si leurs voix tombaient sous le coup de l'exclusion prévue à l'art. 695 al. 1 aCO.
La cour cantonale ne constate pas que les deux héritières auraient personnellement participé d'une quelconque manière à la gestion de la défenderesse. Dans cette mesure au moins, elles ne sont pas touchées, selon le texte même de la loi, par l'exclusion du droit de voter. Pour une partie de la doctrine, les héritiers d'un administrateur concerné par la décharge ne sont pas privés de participer à la décision donnant décharge (BÜRGI, n. 11 ad art. 695 et n. 94 ad
art. 698 CO
et les renvois; RENO PICENONI, Der Entlastungsbeschluss (Décharge) im Recht der Handelsgesellschaften und der Korporationen auf Grund des deutschen, französischen, italienischen und besonders des schweizerischen Rechts, thèse Zurich 1943, p. 76 s.; HARALD SIEGERT, Die Entlastung in der Aktiengesellschaft nach deutschem Recht im Vergleich mit dem französischen und schweizerischen Recht, thèse Genève 1965, p. 34 et les renvois contenus à la note de pied 93). Pour l'essentiel, cette conception se fonde sur le fait que le droit suisse de la société anonyme ne connaît pas l'exclusion générale du droit de vote en cas de conflit d'intérêts (PICENONI, eod.loc.; SIEGERT, eod.loc.). D'autres auteurs veulent, au contraire, exclure les héritiers d'un administrateur du vote de décharge (FORSTMOSER, Die
BGE 118 II 496 S. 498
Aktienrechtliche Verantwortlichkeit, p. 143, n. 423; ANDRÉ E. BARBEY, La décharge en droit suisse, thèse Genève 1947, p. 42 ss); non seulement ces derniers ne peuvent posséder davantage de droits que n'en avait le de cujus (BARBEY, eod.loc.), mais encore, de par l'universalité de la succession, ils doivent éventuellement supporter les conséquences financières de la responsabilité de l'administrateur décédé. La cour cantonale s'est ralliée à cette dernière conception. La doctrine allemande va, d'ailleurs, dans le même sens lorsqu'elle soumet à l'interdiction de vote au sens du § 136 al. 1 DAktG également les héritiers de l'actionnaire concerné, dans la mesure où la décision influence leur position patrimoniale (ECKARDT in Gessler/Hefermehl/Eckardt/Kropf, Aktiengesetz § 136 n. 28; BARZ in Grosskomm. AktG § 136 n. 3). En revanche, le droit français ne connaît aucune exclusion de vote à propos des décisions de décharge (RIPERT/ROBLOT, Traité élémentaire de droit commercial, 10e éd., vol. I, p. 802 n. 1243; voir aussi F. VON STEIGER, Das Recht der Aktiengesellschaft in der Schweiz, 4e éd., p. 271 et le renvoi à Houpin/Bosvieux).
Certes, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'interprétation de la loi doit d'abord être dégagée de sa lettre, le juge chargé de l'appliquer étant, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n'est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d'une norme ne corresponde pas à son sens véritable (
ATF 116 II 578
et les références). Aussi, dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a-t-il toujours admis que le but d'une disposition puisse justifier une interprétation allant à l'encontre ou s'écartant de sa lettre (
ATF 117 II 137
consid. 4).
Valant reconnaissance négative de dette ou renonciation à une prétention, la décision donnant décharge est de nature pécuniaire. De manière évidente, l'exclusion du droit de vote vise à empêcher que les actionnaires concernés par la gestion puissent imposer la décharge contre la volonté des actionnaires qui ne le sont pas. Finalement, cette exclusion tend, d'une certaine façon, à la protection des minorités (MEIER-HAYOZ/FORSTMOSER, Einführung in das schweizerische Aktienrecht, 2e éd., p. 146 n. 21). Selon le sens et le but de l'art. 695 al. 1 aCO, un actionnaire doit être exclu du vote de décharge lorsque, par ce biais, il peut décider d'une dette propre éventuelle, de l'abandon de celle-ci notamment. Par conséquent, dès lors que, en raison de l'universalité de la succession, ils sont solidairement responsables des dettes du défunt (art. 560 al. 2 et 603 al. 1 CC), les héritiers d'un membre du conseil d'administration doivent être exclus du vote donnant décharge à ce dernier.
b) Avec ses 147 actions, la communauté héréditaire de S. a également voté la décharge alors qu'un membre de cette hoirie appartenait au conseil d'administration au cours des deux exercices litigieux. Selon la cour cantonale, ces actions sont aussi visées par l'exclusion du vote prévu à l'art. 695 al. 1 aCO.
Selon la doctrine dominante, les sociétés de personnes dont un membre a, avec une responsabilité illimitée, participé à la gestion d'une autre société ne peuvent voter la décharge (SCHUCANY, n. 2 ad
art. 695 CO
; F. VON STEIGER, op.cit., p. 52, note de pied 53; SIEGERT, op.cit., p. 33/34; incertain BÜRGI, n. 12 ad
art. 695 CO
; FORSTMOSER, op.cit., p. 142, note de pied 802 et les renvois). Pour une majorité de la doctrine, une personne morale, qui détient des actions d'une société anonyme, doit être exclue du vote de décharge si elle est dominée par une personne demandant la décharge (Handelsgericht Zürich in ZR 75/1976 n. 22 et les renvois aux différentes conceptions présentes en doctrine; FORSTMOSER, op.cit., p. 142, n. 420; pour le droit allemand BARZ, eod.loc.; ECKARDT, op.cit., § 136 Rem. 29). Il ne doit pas en aller différemment lorsque la personne morale délègue au conseil d'administration d'une société anonyme un représentant, qui exerce son mandat dans ses intérêts; l'exclusion se justifie car, en pareille situation, la personne morale s'engage, en règle générale, à libérer ce délégué de ses obligations éventuelles d'administrateur (SCHUCANY, n. 2 ad
art. 695 CO
; PETER BÖCKLI, Das Aktienstimmrecht und seine Ausübung durch Stellvertreter, thèse Bâle 1961, p. 37 ss; FORSTMOSER, op.cit., p. 142 n. 420, p. 225 ss, n. 716 ss).
Dès l'instant où une société de personnes ou une personne morale répond des engagements de son représentant en qualité de gérant d'une société anonyme, l'exclusion de son droit de vote découle directement du but visé par l'art. 695 al. 1 aCO. Cela s'applique à la communauté héréditaire qui, au cas où la décharge n'est pas donnée, s'expose au recours du membre de l'hoirie visé par l'exclusion. Ensuite, dans le cas où le représentant occupe une position dominante chez l'actionnaire, l'exclusion résulte déjà de l'interdiction d'éluder la loi. Pas plus que l'actionnaire exclu du droit de vote ne peut se faire représenter au scrutin de décharge ou même se faire passer comme un représentant d'un autre actionnaire (BÜRGI, n. 11 ad
art. 695 CO
; SCHUCANY, n. 3 ad
art. 695 CO
; FORSTMOSER, op.cit., p. 143 n. 422 et 425 avec les renvois), il ne peut davantage se prévaloir de l'indépendance juridique d'une société de personnes ou d'une personne morale qui, en raison même de sa position dominante de fait ou de droit, était soumise à sa volonté. Il faut cependant concéder
BGE 118 II 496 S. 500
que le critère de position dominante au sein d'une société de personnes est souvent mal reconnaissable et difficilement jugeable (BÜRGI, n. 13 ad
art. 695 CO
; BARZ, eod.loc.). Cela l'est à plus forte raison s'il s'agit d'une communauté héréditaire.
Pour un autre motif cependant, les actions détenues par une hoirie ne doivent pas être admises à voter la décharge d'un de ses membres. Cette exclusion découle déjà de la titularité commune des droits et s'impose indépendamment de l'influence effective de l'intéressé au sein de la communauté héréditaire. Etant propriétaire en commun des biens dépendant de la succession (
art. 602 al. 2 CC
), les héritiers ne peuvent exercer leurs droits qu'en commun, en vertu d'une décision unanime (
art. 653 al. 2 CC
); cela ne vaut pas seulement pour les actes de disposition portant sur les biens et droits détenus en main commune, mais aussi pour leur utilisation, administration et représentation (
art. 602 al. 2 CC
; d'une façon générale, voir LIVER, SPR V/1, p. 108 ss). Si la communauté héréditaire est titulaire d'une action, les héritiers ne peuvent en exercer les droits que par l'intermédiaire d'un représentant commun (
art. 690 al. 1 CO
). Sans déroger au principe de la communauté, la procuration doit être conférée à l'unanimité au représentant de l'hoirie et peut, en tout temps, être révoquée par un seul (ESCHER, n. 70 ad
art. 602 CC
; PIOTET, SPR IV/2, p. 661; ZÄCH, n. 32/33 ad
art. 34 CO
). Par conséquent, le représentant des actions en main commune est le représentant de tous les propriétaires indivis. A ce titre, il exerce aussi les droits de tous les cohéritiers; mais il doit alors se laisser imposer des limites. En d'autres termes, le représentant ne peut exercer plus ou d'autres droits que ceux conférés par les représentés. Est-il exclu du droit de vote au sens de l'
art. 695 al. 1 CO
que, par voie de conséquence, les autres le sont aussi. A cet égard, peu importe que l'empêchement ne touche que la personne d'un des représentés. Apparaît aussi peu décisif de savoir si l'héritier représentant la communauté agit en tant que simple représentant ou pour son propre compte (BÜRGI, n. 3 ss ad
art. 690 CO
; VON GREYERZ, SPR VIII/2, p. 132). D'une manière ou d'une autre, la titularité des droits reste indivisible et indivisée. Le fait d'agir pour son propre compte suppose la renonciation des autres ayants droit à l'exercice de leurs prérogatives en faveur de la personne qui agit et, par définition, une telle renonciation n'est possible que s'il y a eu attribution. La déchéance du droit de vote à l'égard d'un des propriétaires indivis s'étend également aux autres. Autrement dit, le droit de vote est exclu lorsque plusieurs personnes possèdent des droits sur des actions, mais que l'une d'elles ne peut l'exercer pour un motif
BGE 118 II 496 S. 501
ou un autre (voir ECKARDT, op.cit., § 136 Remarque 38). En conséquence, le Tribunal cantonal a, à juste titre, exclu la communauté héréditaire du vote donnant décharge aux administrateurs de la défenderesse.
c) Dès lors que ni dame G., ni dame R., ni même l'hoirie S. ne pouvait participer au vote de décharge, celle-ci n'a pu être donnée faute d'une majorité.