Urteilskopf
128 II 231
29. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public dans la cause Etat de Genève contre A. et Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement (recours de droit administratif)
1E.25/2001 du 28 mai 2002
Regeste
Formelle Enteignung von Nachbarrechten (
Art. 5 EntG
).
Voraussetzung der Unvorhersehbarkeit: Übersicht über die Rechtsprechung, namentlich zu übermässigen Immissionen, die sich aus dem Betrieb eines Flughafens ergeben (E. 2.1 und 2.2).
Die Voraussetzung der Unvorhersehbarkeit ist erfülllt, wenn der Enteignete das lärmbelastete Grundstück nach dem massgeblichen Stichtag durch Erbnachfolge erworben hat; dies ist namentlich beim Erbvorempfang zu bejahen (E. 2.3). Prüfung der Umstände einer Grundstücksübertragung innerhalb einer Familie unter Beachtung dieser Grundsätze (E. 2.4).
A. est propriétaire à Vernier d'une parcelle de 2'216 m2, avec une maison d'habitation construite avant 1960. Elle se situe à environ 500 m de l'extrémité sud-ouest de la piste de l'Aéroport international de Genève. Le 31 août 1992, A. a écrit au Département des travaux publics de la République et canton de Genève pour demander une indemnité d'expropriation, en relation avec les nuisances causées par l'exploitation de l'aéroport. L'instruction de cette affaire a été suspendue jusqu'au mois de mai 1999.
Le 11 mai 1999, A. a adressé à la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement une demande en indemnisation, dans laquelle elle a précisé et complété ses prétentions à l'encontre de l'Etat de Genève, déjà annoncées en 1992. A. conclut, en substance, au versement d'une somme de 625'000 fr., avec intérêts dès le 1er janvier 1985, et à la réalisation, par l'Etat de Genève, de mesures d'isolation acoustique de sa villa. Le 1er septembre 1999, le Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC) a octroyé à l'Etat de Genève le droit d'expropriation, sur la base de la loi fédérale du 21 décembre 1948 sur l'aviation (LA; RS 748.0), afin qu'il puisse faire ouvrir, par le Président de la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, une procédure dans laquelle il serait statué sur les prétentions de A.
A. a fourni à la Commission fédérale d'estimation des indications au sujet des propriétaires successifs du bien-fonds litigieux. Celui-ci a été acquis le 14 avril 1942 par son père X., qui l'a vendu le 24 juin 1960 à son épouse Y., au prix de 50'000 fr. X. est décédé le 20 mai 1964. Sa succession a été partagée entre ses trois héritiers: son épouse Y., leur fille A. et Z., fils adoptif du de cujus n'ayant pas de lien de filiation avec Y. Cette dernière a conclu le 27 juin 1970 avec sa fille A. un contrat de vente portant sur l'immeuble précité, dont le prix a été fixé à 150'000 fr. Selon l'acte authentique, une partie du prix, soit 24'229 fr. 30, a été payée avant la vente; A. s'est engagée à payer le solde du prix, soit 125'770 fr. 70, en versant à sa mère une rente mensuelle et viagère de 650 fr., une hypothèque légale étant inscrite en garantie du paiement de cette rente. A la date de la conclusion de ce contrat, Y. avait 54 ans et sa fille A. 19 ans; elle était devenue majeure peu auparavant par mariage.
La Commission fédérale d'estimation a décidé, en accord avec les parties, que l'instruction porterait en premier lieu sur les faits déterminants au regard de la condition de l'imprévisibilité (l'une des conditions, avec celles de la spécialité et de la gravité, auxquelles la
BGE 128 II 231 S. 233
jurisprudence subordonne l'octroi d'une indemnité pour l'expropriation des droits de voisinage à cause des immissions de bruit de l'aéroport). Les parties ont déposé des observations à ce sujet. A. a joint à ses observations du 15 novembre 1999 une déclaration écrite de sa mère Y., signée le 30 juillet 1999, contenant en substance les éléments suivants: A. est l'héritière légale et la fille unique de Y.; le transfert de la propriété litigieuse, le 27 juin 1970, "s'insère dans un cadre successoral et d'avancement d'hoirie"; la mère devait encore une soulte à sa fille après le partage de la succession de X., et elle souhaitait l'aider à s'établir, puisqu'elle venait de se marier; la rente viagère prévue dans l'acte de vente constituait pour Y. "essentiellement une sécurité, mais n'ayant pas eu spécialement besoin de cet argent, [elle] en [avait] rarement demandé le paiement"; le notaire ayant instrumenté l'acte avait "suggéré de procéder de la sorte, en proposant même le prix et le montant de la vente à indiquer"; dans l'esprit de Y., "il s'agissait d'un avancement d'hoirie à la suite du mariage de [sa] fille".
La Commission fédérale d'estimation a rendu le 16 novembre 2001 une décision partielle, reconnaissant que "les conditions d'octroi d'une indemnité pour l'expropriation formelle des droits de voisinage attachés à la parcelle [...] appartenant à Madame A., en particulier la condition d'imprévisibilité, sont satisfaites". La Commission a dès lors ordonné "l'estimation des bâtiments sis sur la parcelle", la suite de l'instruction et le sort des frais et dépens étant réservés.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'Etat de Genève a demandé au Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement et de rejeter la demande d'indemnité de A. Selon le recourant, la condition de l'imprévisibilité ne serait pas satisfaite.
Le Tribunal fédéral a admis le recours de droit administratif; il a annulé la décision prise le 16 novembre 2001 par la Commission fédérale d'estimation et il a renvoyé l'affaire à cette autorité pour la suite de l'instruction.
Extrait des considérants:
2.
Le recourant conteste qu'une indemnité d'expropriation soit due au titre des immissions de bruit, la condition de l'imprévisibilité n'étant selon lui pas satisfaite.
2.1
D'après la jurisprudence, développée sur la base des art. 5 de la loi fédérale du 20 juin 1930 sur l'expropriation (LEx; RS 711) et
BGE 128 II 231 S. 234
684 CC, la collectivité publique, en sa qualité d'expropriante, peut être tenue d'indemniser le propriétaire foncier voisin d'une route nationale, d'une voie de chemin de fer ou d'un aéroport s'il subit, à cause des immissions de bruit, un dommage spécial, imprévisible et grave (cf.
ATF 124 II 543
consid. 3a p. 548 et 5a p. 551, et les arrêts cités). Seule la condition de l'imprévisibilité est en l'espèce litigieuse, d'après l'argumentation du recours et les motifs de la décision attaquée.
2.2
S'agissant des nuisances du trafic aérien sur l'un des aéroports nationaux, le Tribunal fédéral a posé la règle selon laquelle on ne tient pas compte de la condition de l'imprévisibilité quand le bien-fonds exposé au bruit a été acquis par l'exproprié avant le 1er janvier 1961 (
ATF 121 II 317
consid. 6b p. 334 ss). En revanche, si l'exproprié a acquis son bien-fonds à partir du 1er janvier 1961, on doit considérer que les effets de l'exploitation de l'aéroport, avec le développement du trafic aérien, étaient prévisibles voire connus, ce qui exclut l'octroi d'une indemnité d'expropriation fondée sur l'
art. 5 LEx
(
ATF 121 II 317
consid. 6c p. 337 s.). Cette règle n'est pas critiquée par les parties à la présente procédure.
2.3
En posant la règle ci-dessus, le Tribunal fédéral a d'emblée précisé le point suivant: la date d'acquisition de l'immeuble par le précédent propriétaire est déterminante quand la demande d'indemnité d'expropriation est présentée par son héritier, actuel propriétaire - à savoir lorsque celui-ci a acquis l'immeuble après le 1er janvier 1961 par la dévolution de la succession -, ou encore lorsque le transfert de propriété à celui qui prétend à une indemnité d'expropriation résulte d'une libéralité entre vifs faite à titre d'avancement d'hoirie (
ATF 121 II 317
consid. 6c p. 337). On peut en d'autres termes, pour l'examen de la condition de l'imprévisibilité, se fonder selon les circonstances sur la situation du prédécesseur de l'exproprié. Le Tribunal fédéral avait auparavant, dans une affaire d'expropriation concernant le bruit d'une route nationale, également considéré que, lorsque les immissions se produisaient sur un bien-fonds que le propriétaire actuel avait acquis à titre d'avancement d'hoirie, il ne fallait pas examiner si les immissions étaient prévisibles pour celui-ci mais si elles l'étaient pour son prédécesseur. Dans ce contexte, d'après la jurisprudence, il n'y a aucun motif de traiter différemment le bénéficiaire d'une telle libéralité, d'une part, et l'héritier auquel la succession est dévolue au décès du de cujus, d'autre part. Comme l'héritier à l'ouverture de la succession, le bénéficiaire de l'avancement d'hoirie se retrouve, du seul fait de
BGE 128 II 231 S. 235
l'attribution, dans la position juridique du précédent titulaire des droits sur l'immeuble; il n'a pas d'autres possibilités d'éviter le dommage que celles dont disposait son prédécesseur. Le cas de l'acquisition par avancement d'hoirie doit être traité de la même manière que celui de l'acquisition par voie successorale, et non pas comme celui d'un transfert de propriété en vertu d'un contrat de vente (
ATF 111 Ib 233
consid. 2a p. 235). Cette précision de la jurisprudence au sujet de l'avancement d'hoirie a été confirmée peu après (
ATF 112 Ib 526
consid. 1 p. 529; cf. aussi
ATF 119 Ib 348
consid. 5a p. 356). La règle ainsi définie a été appliquée dans deux arrêts concernant les immissions de bruit de l'Aéroport international de Genève (arrêt 1E.10/1998 du 28 septembre 1998, traduit in Pra 88/1999 no 20 p. 103, consid. 3a/bb; arrêt 1E.4/2000 du 3 mai 2000, consid. 4a).
Si la jurisprudence considère que la date de l'acquisition de l'immeuble concerné par le de cujus est déterminante lorsque cet immeuble est transmis dans le cadre de la succession à cause de mort, c'est parce que, en pareil cas, les héritiers remplacent le de cujus en raison de son décès et reprennent sa position juridique globale. Le cas de l'avancement d'hoirie est comparable: il s'agit en effet d'une libéralité entre vifs, faite par le de cujus à son héritier - le plus souvent sous la forme d'une donation au sens des
art. 239 ss CO
(cf. notamment JEAN-NICOLAS DRUEY, Grundriss des Erbrechts, 5e éd., Berne 2002, p. 87) -, dans le but de réaliser, en vertu de la loi ou de la volonté du de cujus, une sorte de succession anticipée représentant une fraction de la part successorale du bénéficiaire (cf. en particulier ERIC STOUDMANN, L'avancement d'hoirie et sa réduction, thèse Lausanne 1962, p. 22). Les libéralités faites "à titre d'avancement d'hoirie" (
art. 626 al. 1 CC
), ou en acompte sur la part héréditaire (texte allemand de l'
art. 626 al. 1 CC
: "auf Anrechnung an ihren Erbanteil"), sont assorties d'une ordonnance de rapport, de par la loi (rapport légal; cf.
art. 626 al. 2 CC
) ou selon la volonté du de cujus, généralement par un acte de disposition pour cause de mort unilatéral (cf. notamment LUC VOLLERY, Les relations entre rapports et réunions en droit successoral, thèse Fribourg 1994, p. 67); en conséquence, le bénéficiaire de la libéralité entre vifs, quand il vient à la succession, est tenu de rapporter en nature ou de se laisser imputer la valeur de l'avancement d'hoirie sur sa part héréditaire (
art. 628 al. 1 CC
). Seuls les héritiers - légaux ou, le cas échéant, institués - peuvent être les bénéficiaires d'un avancement d'hoirie (cf.
ATF 124 III 102
consid. 4a p. 104 et les références).
2.4.1
Dans la présente affaire, l'immeuble concerné n'est pas resté en mains de la personne qui en était la propriétaire avant le 1er janvier 1961, à savoir Y. Cette dernière n'a pas demandé, ni personne en son nom, une indemnité d'expropriation. La question à résoudre est celle de savoir si en demandant une indemnité d'expropriation le 31 août 1992, la propriétaire de la parcelle no ..., A., pouvait se prévaloir de la position juridique qui était celle de sa mère Y. avant le 1er janvier 1961, parce que celle-ci aurait été son prédécesseur au sens de la jurisprudence précitée. Pour résoudre cette question, le Tribunal fédéral peut revoir librement les constatations de fait de la Commission fédérale d'estimation (
ATF 119 Ib 447
consid. 1b p. 451).
2.4.2
Le transfert de la propriété à l'intimée a fait l'objet d'un contrat de vente, du 27 juin 1970, par lequel l'intimée s'est engagée à payer à sa mère le prix convenu, soit 150'000 fr. Dans son recours de droit administratif, l'Etat de Genève fait valoir en substance que cette forme juridique correspondait bel et bien à la volonté des parties au contrat, et que l'intimée n'avait en conséquence pas bénéficié d'un avancement d'hoirie.
2.4.2.1 Dans ses écritures à la Commission fédérale d'estimation, l'intimée a prétendu que cette vente devait en réalité être considérée comme une donation mixte, sans toutefois évaluer elle-même la différence entre la valeur vénale et la valeur fixée contractuellement; elle invitait la Commission à faire porter l'instruction sur cette question. Comme le transfert de la propriété de l'immeuble a été opéré entre une mère et sa fille, peu après le mariage de cette dernière, on pourrait en effet, le cas échéant, qualifier cet acte - pour autant qu'il s'agisse d'une libéralité - de "dotation", destinée à créer, assurer ou améliorer l'établissement d'un descendant dans l'existence; pareilles libéralités, ou avancements d'hoirie, font l'objet d'une réglementation particulière à l'
art. 626 al. 2 CC
, qui les assujettit au rapport sauf disposition contraire du de cujus (
ATF 124 III 102
consid. 4a et la jurisprudence citée; cf. également arrêt 1E.4/2000 du 3 mai 2000, consid. 4b). Il ne s'agit alors d'avancements d'hoirie que pour autant que l'attribution soit gratuite ou partiellement gratuite: sont donc visées non seulement les donations pures, sans aucune contre-prestation du donataire, mais aussi les donations mixtes, avec une contre-prestation du donataire inférieure en valeur à la prestation du donateur, la différence de valeur constituant la libéralité (cf. notamment ROLANDO FORNI/GIORGIO PIATTI, Commentaire
BGE 128 II 231 S. 237
bâlois [Honsell/Vogt/Geiser éd.], Bâle 1998, n. 9 ad
art. 626 CC
; PAUL PIOTET, Traité de droit privé suisse, Droit successoral, 2e éd., Fribourg 1988, p. 282; DRUEY, op. cit., p. 86; cf. également
ATF 126 III 171
consid. 3a p. 173 et la jurisprudence citée). Pour qu'il y ait donation mixte, l'accord des parties doit porter sur la différence de valeur des prestations échangées et sur la libéralité faite par l'un des cocontractants à l'autre; prouver cet élément subjectif ("animus donandi") peut être problématique car la vente à un prix de faveur ou à un "prix d'ami" ne constitue pas encore une donation mixte (cf. notamment DRUEY, op. cit., p. 87; PAUL PIOTET, Nature et objet du rapport successoral, Berne 1996, p. 40;
ATF 126 III 171
consid. 3a p. 173).
2.4.2.2 La Commission fédérale d'estimation n'a pas examiné, dans sa décision partielle, si la vente immobilière conclue en 1970 pouvait être qualifiée de donation mixte; elle n'avait pas non plus, préalablement, ordonné de mesures d'instruction à ce sujet. Elle a en effet vu dans ce transfert de propriété un avancement d'hoirie en se fondant sur d'autres motifs que la comparaison entre la valeur des prestations promises respectivement par les deux parties au contrat: elle a retenu que ce transfert était intervenu entre une mère et sa fille; que cette dernière aurait aussi pu être tenue de contribuer à l'entretien de sa mère, même en l'absence de contrat de rente viagère; qu'elle aurait de toute manière - aussi sans ce "montage complexe" - hérité de la maison de la famille; que cette opération avait enfin pour but de lui conférer un "droit de propriété indiscutable", non susceptible d'être contesté par Z. (héritier de X., mais pas de Y.). Or ces motifs ne sont, à l'évidence, pas propres à établir l'existence d'une attribution (partiellement) gratuite de l'immeuble et partant d'un avancement d'hoirie. Lorsque, même dans un contexte familial (contrat passé entre une personne et son descendant, à un prix favorable), les intéressés choisissent pour le transfert d'un immeuble la solution juridique de la vente et non pas une solution de caractère successoral, le juge de l'expropriation doit en principe s'en tenir à ce qui a été voulu et réalisé par les parties. Si l'immeuble est vendu et que l'on n'établit pas l'existence d'une libéralité répondant à la définition de l'avancement d'hoirie, l'acquéreur n'est pas censé se trouver dans la situation de l'héritier remplaçant son prédécesseur. Il importe peu qu'on eusse pu atteindre à terme un résultat semblable, pour le sort du patrimoine familial, en renonçant à la vente et en attendant la liquidation de la succession du de cujus, voire en prévoyant une véritable attribution anticipée d'une part de cette
BGE 128 II 231 S. 238
succession, car il s'agit là d'une simple hypothèse. En effet, l'ancienne propriétaire aurait également pu, par hypothèse, vendre l'immeuble à un tiers, ni descendant ni héritier. Les éléments retenus par la Commission fédérale ne démontrent en définitive l'existence ni d'un avancement d'hoirie, ni d'un transfert de propriété assimilable, par le juge de l'expropriation, à un avancement d'hoirie. Aussi le recours de droit administratif est-il fondé en tant qu'il critique la décision attaquée qui admet sur cette base la réalisation de la condition de l'imprévisibilité. Cela justifie l'annulation de cette décision, pour violation du droit fédéral (
art. 104 let. a OJ
).
2.4.2.3 Cela étant, en assimilant ainsi d'emblée l'"attribution" de l'immeuble par le contrat de vente de 1970 à un avancement d'hoirie, la Commission fédérale d'estimation a omis d'examiner une question pertinente, celle de l'existence d'une éventuelle libéralité au cas où ce contrat constituerait en réalité une donation mixte (cf. supra, consid. 2.4.2.1). Cet argument a été soulevé par l'intimée (l'expropriée) dans ses écritures. Comme la décision attaquée avait pour objet de résoudre préalablement une question juridique sans mettre fin à la procédure d'estimation - le Tribunal fédéral ne statuant du reste pas non plus définitivement, dans le présent arrêt, sur le sort des prétentions de l'expropriée ni sur la réalisation des conditions de l'imprévisibilité, de la spécialité et de la gravité -, la Commission fédérale peut réexaminer, sur d'autres bases, le transfert de propriété de l'immeuble litigieux. En vertu de la maxime inquisitoriale applicable dans cette procédure, il lui appartient de définir les faits pertinents puis d'ordonner l'administration des preuves (
art. 72 al. 1 LEx
). Dans le cas particulier, la Commission devra donc se prononcer sur la question de l'éventuelle donation mixte, après avoir ordonné les mesures d'instruction nécessaires. Elle pourra exiger des parties, notamment de l'expropriée, qu'elles collaborent à la constatation des faits (
art. 13 al. 1 PA
[RS 172.021] par renvoi de l'art. 3 de l'ordonnance du 24 avril 1972 concernant les commissions fédérales d'estimation [RS 711.1]). D'après la jurisprudence, il incombe en effet à celui qui demande une indemnité d'expropriation fondée sur l'
art. 5 LEx
d'alléguer et d'offrir la preuve des éléments établissant son préjudice (cf.
ATF 106 Ib 241
consid. 5 p. 251; cf. PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. II, 2e éd., Berne 2002, p. 260; cf. également BENOÎT BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 182/183).
2.4.2.4 Un autre élément pourrait être examiné dans ce contexte pour apprécier de façon globale, ou en quelque sorte sous
BGE 128 II 231 S. 239
l'angle économique, l'existence d'une libéralité en faveur de l'intimée, qui serait liée indirectement au transfert de la propriété de l'immeuble.
On peut comprendre, à la lecture de la décision attaquée, que le versement de la rente mensuelle prévue dans le contrat de vente était lié à l'évolution de la situation financière de la crédirentière Y. D'après les allégations de l'expropriée, cette rente était destinée à permettre à sa mère de compléter ses revenus de professeur privé "en cas de nécessité" ou "si elle était dans le besoin", pour autant que cela ne mette pas sa fille en difficulté financière. Dans sa déclaration écrite du 30 juillet 1999, Y. a fait valoir que cette rente constituait pour elle "essentiellement une sécurité" et qu'elle en avait "rarement demandé le paiement", en l'absence de besoin. Aussi la Commission fédérale a-t-elle retenu, en se prononçant sur la réalisation de la condition de l'imprévisibilité, que la rente n'était due en définitive qu'au cas où Y. ne pourrait pas faire face à ses besoins.
Pour le juge de l'expropriation, ces circonstances ne sont pas de nature à mettre en doute la validité du contrat de vente de 1970, combiné à un contrat de rente viagère. Il n'y a pas à interpréter, dans la présente procédure, l'intention des parties lors de la conclusion de ce contrat pour déterminer si elles entendaient réellement faire de la rente viagère une forme de paiement du prix; cela a été convenu ainsi dans l'acte authentique, présumé exact. En revanche, on pourrait déduire de ces circonstances que la crédirentière a ensuite consenti à la débirentière une remise de dette (
art. 115 CO
), en renonçant durablement ou occasionnellement au versement de la rente mensuelle, avec l'objectif de l'aider à s'établir dans l'existence. Une dotation de descendant au sens de l'
art. 626 al. 2 CC
peut d'après le texte légal prendre la forme d'une remise de dette; le de cujus peut ainsi arriver exactement au même résultat que par un transfert de biens à titre gratuit (cf. notamment PIOTET, Traité de droit privé suisse, op. cit., p. 285). Certes, l'abandon, ou la réduction, de la créance de Y. serait le cas échéant juridiquement indépendant du transfert de la propriété de l'immeuble, après l'exécution du contrat de vente. Néanmoins, si cette remise de dette a été consentie en quelque sorte parallèlement à la vente, dans le même contexte de transmission du patrimoine immobilier familial, il pourrait s'agir d'un élément à prendre en considération pour déterminer si l'"attribution" de l'immeuble est susceptible d'être assimilée à un avancement d'hoirie (de même que dans l'arrêt 1E.4/2000 du 3 mai 2000, le Tribunal fédéral a assimilé à un avancement d'hoirie, pour
BGE 128 II 231 S. 240
l'examen de la condition de l'imprévisibilité, l'attribution gratuite d'un immeuble à un descendant avec dispense de rapport, compte tenu des particularités de la situation familiale). Il n'y a pas lieu toutefois de se prononcer plus avant sur cette question car le dossier de la présente cause ne contient aucune preuve de pareille libéralité, les déclarations de l'expropriée et de sa mère - qui se borne à évoquer le fait que la rente aurait été "rarement" versée - n'étant, à elles seules et en ces termes, pas probantes. Il appartiendra donc à la Commission fédérale d'estimation de compléter l'instruction sur ce point, le fardeau de la preuve de la libéralité incombant à l'expropriée (cf. supra, consid. 2.4.2.3).