Urteilskopf
135 I 130
16. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause HCC La Chaux-de-Fonds SA et Neuchâtel Xamax SA contre Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel (recours en matière de droit public)
2C_605/2008 du 24 février 2009
Regeste
Art. 8 Abs. 1,
Art. 27 und 127 Abs. 1 BV
; Verordnung des Kantons Neuenburg über die Erhebung eines Kostenbeitrags für die Gewährleistung der öffentlichen Sicherheit bei sportlichen Veranstaltungen mit Gewaltpotenzial.
Unterscheidung von Steuern und Kausalabgaben (E. 2). Gesetzliche Grundlage und Umsetzung der Verordnung, die den Organisatoren einen Anteil zwischen 60 und 80 % an den Kosten überwälzt, welche der Einsatz der Kantonspolizei für die Gewährleistung der Sicherheit bei sportlichen Veranstaltungen mit Gewaltpotenzial verursacht (E. 3). Vereinbarkeit der Verordnung mit der Wirtschaftsfreiheit (E. 4) und dem Rechtsgleichheitsprinzip (E. 6). Mit der Verordnung hat der Staatsrat den Rahmen der gesetzlichen Delegation nicht überschritten; auch der der Kantonspolizei übertragene Ermessensspielraum verstösst nicht gegen den Grundsatz der Gesetzmässigkeit öffentlicher Abgaben (E. 7).
Le 23 juin 2008, le Conseil d'Etat de la République et canton de Neuchâtel a adopté l'arrêté relatif à la facturation des frais de sécurité publique des manifestations sportives exposées à la violence (ci-après: l'arrêté), lequel a été publié dans la Feuille officielle neuchâteloise du 27 juin 2008.
Dans son préambule, l'arrêté se réfère à la loi fédérale du 21 mars 1997 instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI; RS 120) ainsi qu'à son ordonnance d'application, du 27 juin 2001 (OMSI; RS 120.2), à la loi cantonale du 20 février 2007 sur la police neuchâteloise (LPol; RSN 561.1) et à la loi cantonale du 10 novembre 1920 concernant les émoluments (RSN 152.150).
L'arrêté contient notamment les dispositions suivantes:
"Champ d'application
Article premier
.- Le présent arrêté s'applique aux manifestations sportives au cours desquelles des comportements violents ou actes de violence justifiant un important service de maintien de l'ordre, sont à craindre.
Principe
Art. 2.-
1
Les organisateurs de telles manifestations versent à l'Etat un émolument pour couvrir les frais engagés pour garantir la sécurité publique.
2
Cet émolument correspond à tout ou partie des frais engagés par la police neuchâteloise pour le renforcement de la sécurité.
Définitions
Art. 3.-
Dans le présent arrêté, on entend par:
a)
comportements violents ou actes de violence:
tout comportement ou actes de violence tels que ceux qui sont notamment définis à l'article 21a de l'ordonnance sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (OMSI), du 27 juin 2001, et qui se déroulent à l'occasion de manifestations sportives.
BGE 135 I 130 S. 132
b)
important service de maintien de l'ordre:
l'engagement des effectifs supplémentaires de la police conduisant notamment à la révocation des congés, à la suppression des vacances voire à l'appel de renforts provenant d'autres cantons, ceci en vue d'assurer la sécurité publique.
Participation des organisateurs
Art. 4.-
1
La participation des organisateurs est fixée à 80 % du coût effectif des frais engagés pour garantir la sécurité publique.
2
Le montant des frais peut être réduit en fonction des mesures prises par les organisateurs pour éviter les comportements violents ou les actes de violence.
3
La Police neuchâteloise définit les critères de réduction.
4
La participation minimale des organisateurs est fixée à 60 % du coût effectif des frais engagés.
Procédure
a) évaluation et information
Art. 5.-
1
La Police neuchâteloise procède à l'évaluation des risques et des frais de sécurité pour chacune des rencontres.
2
Elle informe les organisateurs du montant relatif à chaque manifestation.
b) établissement et transmission de la facture
Art. 6.-
Une facture est établie pour chaque manifestation et adressée directement aux organisateurs par la Police neuchâteloise.
c) titre exécutoire
Art. 7.
- Les factures établies par la Police neuchâteloise valent titre exécutoire en faveur de l'Etat, au sens de l'art. 80 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), du 11 avril 1889.
d) voies de recours
Art. 8.-
1
Les factures établies en vertu du présent arrêté peuvent faire l'objet d'un recours auprès du Département de la justice, de la sécurité et des finances (ci-après: le département).
2
Les décisions du département peuvent faire l'objet d'un recours au Tribunal administratif.
3
Au surplus, la loi sur la procédure et la juridiction administratives (LPJA), du 27 juin 1979, est applicable."
Par acte du 25 août 2008, les sociétés anonymes HCC La Chaux-de-Fonds SA, de siège à La Chaux-de-Fonds, et Neuchâtel Xamax SA, sise à Neuchâtel, ont interjeté un recours en matière de droit public à l'encontre de l'arrêté, dont elles demandent l'annulation. Elles se plaignent que cet arrêté porterait atteinte à leur liberté
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économique et aux principes de l'encouragement du sport, de l'égalité ainsi que de la légalité.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des considérants:
2.
Parmi les contributions publiques, la doctrine récente distingue entre les impôts, les contributions causales et les taxes d'orientation (BLUMENSTEIN/LOCHER, System des schweizerischen Steuerrechts, 6
e
éd. 2002, p. 5 s.; XAVIER OBERSON, Droit fiscal suisse, 3
e
éd., 2007, § 1 n. 3; RYSER/ROLLI, Précis de droit fiscal suisse, 4
e
éd., 2002, p. 3).
Les impôts représentent la participation des citoyens aux charges de la collectivité; ils sont dus indépendamment de toute contre-prestation spécifique de la part de l'Etat. Les contributions causales, en revanche, constituent la contrepartie d'une prestation spéciale ou d'un avantage particulier appréciable économiquement accordé par l'Etat. Elles reposent ainsi sur une contre-prestation étatique qui en constitue la cause (BLUMENSTEIN/LOCHER, op. cit., p. 2, 4 s.; HÖHN/WALDBURGER, Steuerrecht, vol. I, 9
e
éd., 2000, § 1 n. 3 s.; ADRIAN HUNGERBÜHLER, Grundsätze des Kausalabgabenrechts, ZBl 2003 p. 505 ss, 507; OBERSON, op. cit., § 1 n. 5, 6, 10).
Généralement, les contributions causales se subdivisent en trois sous-catégories: les émoluments, les charges de préférence et les taxes de remplacement (BLUMENSTEIN/LOCHER, op. cit., p. 2; OBERSON, op. cit., § 1 n. 6). L'émolument représente la contrepartie de la fourniture d'un service par l'Etat - émolument administratif - ou de l'utilisation d'une infrastructure publique - émolument d'utilisation. Il en existe d'autres sortes, telles que les taxes régaliennes (BLUMENSTEIN/LOCHER, op. cit., p. 2 s.; OBERSON, op. cit., § 1 n. 7).
Les différents types de contributions causales ont en commun d'obéir au principe de l'équivalence - qui est l'expression du principe de la proportionnalité en matière de contributions publiques -, selon lequel le montant de la contribution exigée d'une personne déterminée doit être en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie à celle-ci (rapport d'équivalence individuelle). En outre, la plupart des contributions causales - en particulier celles dépendant des coûts, à savoir celles qui servent à couvrir certaines dépenses de l'Etat, telles que les émoluments et les charges de préférence - doivent respecter le principe de la couverture des frais. Selon ce principe, le produit global des contributions ne doit pas dépasser, ou
BGE 135 I 130 S. 134
seulement de très peu, l'ensemble des coûts engendrés par la subdivision concernée de l'administration (BLUMENSTEIN/LOCHER, op. cit., p. 2 s.; HUNGERBÜHLER, op. cit., p. 512; cf. aussi
ATF 129 I 346
consid. 5.1 p. 354).
3.1
Intitulé "Remboursement de frais", l'art. 62 de la loi cantonale sur la police neuchâteloise dispose ce qui suit:
"
1
Les organisateurs et organisatrices de manifestations nécessitant un important service d'ordre ou de protection peuvent être tenu-e-s de verser un émolument dont le montant correspond à tout ou partie des frais engagés.
2
Les manifestations politiques autorisées sont exemptes d'émoluments.
3
Le Conseil d'Etat arrête les modalités d'exécution, sur préavis du Conseil cantonal de sécurité publique".
3.2
Dans ses déterminations des 22 octobre 2008 et 14 janvier 2009, le Conseil d'Etat a précisé comment l'arrêté est mis en oeuvre.
La police neuchâteloise détermine les effectifs à engager pour assurer la sécurité de telle manifestation sportive sur la base d'une évaluation du risque effectuée par le Service d'analyse et de prévention de l'Office fédéral de la police. Pour un match à "risque zéro", le dispositif de base, à savoir douze patrouilles de deux hommes, est considéré comme suffisant. Ces patrouilles assurent la sécurité sur les lieux de la rencontre, en plus d'assumer les tâches habituelles de maintien de l'ordre sur l'ensemble du territoire cantonal. Un effectif supplémentaire de 15 hommes est déployé pour un match à faible risque; cet effectif est porté à 30 hommes pour une rencontre à risque moyen et à 45 policiers pour un match à haut risque. Ces forces de police supplémentaires sont spécialement affectées au maintien de l'ordre durant le match. Les frais liés à leur engagement sont facturés aux organisateurs dans la proportion déterminée par l'arrêté, alors que ceux-ci n'ont pas à supporter de frais pour le dispositif de base.
4.1
Les recourantes soutiennent que l'arrêté porte atteinte à la liberté économique garantie par l'
art. 27 Cst.
et l'art. 26 de la Constitution neuchâteloise du 24 septembre 2000 (Cst./NE; RS 131.233). Elles font valoir que l'arrêté donne un "blanc-seing" à la police, qui aurait toute latitude quant au principe et aux modalités de son intervention et s'agissant de la quote-part des coûts pouvant être mis à
BGE 135 I 130 S. 135
leur charge. De leur côté, elles n'auraient "pratiquement aucune marge de manoeuvre" pour augmenter leurs recettes de manière à pouvoir assumer ces coûts supplémentaires. Leur survie économique serait ainsi menacée par l'arrêté. En outre, celui-ci aurait pour effet de les "pénaliser" sans présenter la "densité normative" requise pour qu'une restriction à un droit fondamental soit admissible et sans qu'il existe pour cela un intérêt public.
4.2
Il n'est ni allégué ni démontré que l'art. 26 de la Constitution neuchâteloise aurait une portée plus large que l'
art. 27 Cst.
, de sorte que le grief soulevé doit être examiné exclusivement à la lumière de cette dernière disposition.
Selon l'
art. 27 al. 1 Cst.
, la liberté économique est garantie. Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (
art. 27 al. 2 Cst.
). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (
ATF 128 I 19
consid. 4c/aa p. 29). Elle peut être invoquée tant par les personnes physiques que par les personnes morales (
ATF 131 I 223
consid. 4.1 p. 230 s.).
Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de se prononcer sur la question de savoir si des mesures fiscales constituent une restriction de la liberté économique. A la différence de l'interdiction d'exercer une activité économique ou du fait de la soumettre à autorisation, le prélèvement de contributions ne constitue pas une restriction juridique, mais il peut de fait influer sur l'exercice de la liberté économique. Toute mesure ayant une incidence sur la liberté en question ne constitue toutefois pas une limitation de celle-ci et il y a lieu de se montrer restrictif pour admettre l'existence d'une telle limitation (
ATF 125 I 182
consid. 5b p. 198). Il faut au demeurant distinguer selon le type de contribution en cause. Les impôts spéciaux (
Gewerbesteuern
) ne sont admissibles au regard de la liberté économique que pour autant qu'ils ne soient pas prohibitifs. Une telle contribution est prohibitive si son montant "empêche la réalisation d'un bénéfice convenable dans le commerce ou la branche en question, en rendant impossible ou excessivement difficile l'exercice de la profession" (
ATF 87 I 29
consid. 3 p. 32;
ATF 128 I 102
consid. 6b p. 110). Tel n'est pas le cas si "elle peut être transférée à l'acheteur, c'est-à-dire si, ajoutée au prix de vente, elle n'empêche pas l'entreprise de soutenir la concurrence" (
ATF 87 I 29
consid. 4 p. 36). A la
BGE 135 I 130 S. 136
différence des impôts spéciaux, les impôts généraux n'interfèrent pas avec la liberté économique. Il en va de même des contributions causales telles que les émoluments d'utilisation ou d'administration, pour autant qu'elles respectent le principe de la couverture des coûts. Une taxe causale d'orientation dépendant des coûts - il s'agissait en l'occurrence d'une redevance d'atterrissage comportant une surtaxe sur les émissions - ne constitue pas davantage une restriction de la liberté économique (
ATF 125 I 182
consid. 5b p. 198 s. et les arrêts cités; cf. aussi arrêt 2P.224/1998 du 27 juillet 1999 consid. 3c/bb, in RDAT 2000 I n. 50 p. 484).
En doctrine, GRISEL considère que la question de savoir si une contribution publique est admissible au regard de la liberté économique dépend en premier lieu de son rapport avec l'activité économique considérée: c'est seulement lorsque la contribution frappe directement cette activité qu'elle entre dans le champ d'application de l'
art. 27 Cst.
et doit se concilier avec lui. Il en irait ainsi, d'une part, des impôts spéciaux et, d'autre part, des contributions causales qui touchent particulièrement une activité lucrative en tant que telle, comme la taxe pour l'admission au stage d'avocat ou la taxe de surveillance des films et des séances de cinéma. En revanche, les impôts généraux et les contributions causales qui ne portent pas spécifiquement sur une activité économique seraient licites sans égard à la liberté économique (ETIENNE GRISEL, Liberté économique, 2006, n
os
934 ss). OBERSON estime au contraire que le champ d'application de la liberté économique s'étend à l'ensemble des contributions. A cet égard, le critère déterminant ne serait pas la nature de la contribution, mais le but et les effets de l'imposition, examinée d'ailleurs de façon globale, c'est-à-dire en prenant en compte l'ensemble des charges de l'entreprise (XAVIER OBERSON, Fiscalité et liberté économique, in Problèmes actuels de droit économique, Mélanges en l'honneur du Professeur Charles-André Junod, 1997, p. 343 ss, spécialement 350, 352;
le même
, Droit fiscal suisse, 3
e
éd. 2007, § 3 n° 47).
4.3
En l'occurrence, il n'est pas contesté que les recourantes exercent une activité économique leur permettant de se prévaloir de la liberté économique. L'émolument litigieux étant une contribution causale, plus précisément un émolument administratif (cf. STEFAN LEUTERT, Polizeikostentragung bei Grossveranstaltungen, 2005, p. 108; STEFAN WEHRENBERG, Polizeieinsätze bei Sportgrossveranstaltungen, in Sport und Recht, 2006, p. 183 ss, 233; arrêt du Tribunal fédéral 5A_45/2007 du 6 décembre 2007 consid. 5.2.3), il ne
BGE 135 I 130 S. 137
constitue pas une restriction de ce droit fondamental, selon la jurisprudence exposée ci-dessus. Si, compte tenu du fait que cet émolument peut représenter des sommes relativement importantes, l'on devait tout de même admettre l'existence d'une restriction (dans ce sens: LEUTERT, op. cit., p. 127), la question de sa compatibilité avec l'
art. 27 Cst.
dépendrait du point de savoir s'il est prohibitif, au sens de la jurisprudence relative aux impôts spéciaux, applicable par analogie à l'émolument litigieux. Les recourantes l'affirment en substance, lorsqu'elles prétendent que l'arrêté compromet leur survie économique, mais cela n'est pas établi. Le caractère prohibitif d'un tel émolument apparaît d'ailleurs d'autant moins probable qu'en Suisse certaines collectivités publiques répercutent déjà, depuis plusieurs années, tout ou partie des coûts de l'engagement de la police sur les organisateurs de manifestations sportives (LEUTERT, op. cit., p. 104 ss, cite notamment le canton de Genève, la ville de St-Gall [où la part des coûts de l'engagement supplémentaire de la police mis à la charge du FC St-Gall durant les années 2003 et 2004 ne se montait il est vrai qu'à 20 % en moyenne] et la ville de Zurich; concernant la pratique de cette dernière, voir aussi l'arrêt 5A_45/2007, précité). Ainsi, à supposer même que l'émolument litigieux représente une restriction de la liberté économique, il n'apparaît pas inconciliable avec celle-ci. Le grief de violation de ce droit fondamental doit ainsi être rejeté.
(...)
6.1
Les recourantes se plaignent d'inégalité, en faisant valoir que l'arrêté met les coûts de l'intervention de la police à la charge des organisateurs des seules manifestations sportives, alors que des actes de violence peuvent survenir à l'occasion d'autres rassemblements, tels que des événements musicaux ou festifs - comme la Fête des Vendanges de Neuchâtel, la Braderie de La Chaux-de-Fonds ou les Promos du Locle -, des manifestations à caractère politique ou encore des
rave parties
,
gay pride
ou
techno parades
. Le fait de traiter les manifestations sportives différemment des autres rassemblements ne serait pas justifié et constituerait une "violation grossière" du principe d'égalité.
6.2
Un arrêté de portée générale viole le principe de l'égalité de traitement lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'il omet de faire des distinctions qui
BGE 135 I 130 S. 138
s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente; cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (
ATF 131 I 377
consid. 3 p. 382-383;
ATF 130 V 18
consid. 5.2 p. 31;
ATF 129 I 1
consid. 3 p. 3). La question de savoir s'il existe un motif raisonnable pour une distinction peut recevoir des réponses différentes suivant les époques et les idées dominantes. Le législateur dispose toutefois d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de ces principes et de l'interdiction de l'arbitraire (
ATF 131 I 1
consid. 4.2 p. 6,
ATF 131 I 313
consid. 3.2 p. 317;
ATF 127 I 185
consid. 5 p. 192).
6.3
L'arrêté s'applique aux manifestations sportives lors desquelles peuvent se produire des comportements violents ou actes de violence - tels que ceux définis à l'art. 21a OMSI - justifiant un important service de maintien de l'ordre, ce qui nécessite l'engagement d'effectifs supplémentaires de la police (art. 1 en relation avec l'art. 3). Les organisateurs de telles manifestations sont tenus de prendre à leur charge, sous la forme d'un émolument, 80 % des coûts effectifs de l'engagement de la police neuchâteloise pour le renforcement de la sécurité, part qui peut être réduite jusqu'à 60 % en fonction des mesures prises à titre préventif (art. 2 et 4). S'agissant d'autres manifestations sportives ou d'événements d'un autre genre - à l'exception des manifestations politiques autorisées -, les frais occasionnés par l'engagement de la police peuvent également être mis à la charge des organisateurs en vertu de l'art. 62 LPol et de l'arrêté d'exécution de la loi du 10 novembre 1920 concernant les émoluments du 7 janvier 1921 (RSN 152.150.10). Sous la rubrique "Mise à disposition de personnel pour des activités spécifiques facturées à l'heure", l'art. 2b de l'arrêté en question prévoit en effet un tarif de 80 fr. par heure/homme notamment pour des "services spéciaux effectués pour circulation, manifestations à caractère intercantonal (sportives, festives, etc.)" et pour des "services spéciaux exécutés sur demande, pour des manifestations cantonales, notamment circulation, surveillances, compétitions sportives, autres manifestations". Selon le Conseil d'Etat, les organisateurs de manifestations telles que le Tour de Romandie, le Tour de Suisse, la Brocante du Landeron, Trans VTT, Méga Bike ou des courses cyclistes régionales sur routes se sont vu facturer "la totalité des charges sécuritaires" sur la base de ces dispositions.
BGE 135 I 130 S. 139
L'arrêté institue toutefois un régime particulier, différent de celui qui découle de l'art. 62 LPol et de l'arrêté d'exécution de la loi concernant les émoluments. C'est ainsi, notamment, qu'il prévoit le versement d'un émolument par les organisateurs, alors que l'art. 62 LPol énonce seulement qu'ils peuvent y être tenus. En outre, l'arrêté dispose que l'émolument représente une part comprise entre 80 et 60 % des coûts effectifs, alors que l'art. 62 LPol et l'arrêté d'exécution ne fixent pas de proportion. L'arrêté contient donc une réglementation particulière pour les manifestations sportives "à risques", telles que définies ci-dessus. Cette inégalité de traitement se justifie par le fait que les actes de violence commis dans le cadre de manifestations sportives (hooliganisme) posent des problèmes particuliers qui appellent des solutions spécifiques. Il est notoire que certaines rencontres sportives - notamment dans le domaine du football et du hockey sur glace - présentent un risque important d'actes de violence en raison de la dynamique de groupe qui s'instaure au sein des supporters des deux équipes. Ce phénomène d'antagonisme entre les deux groupes de supporters, accentué par la consommation d'alcool ou d'autres substances psychotropes et par l'utilisation d'objets produisant du bruit ou d'engins pyrotechniques (LEUTERT, op. cit., p. 18), et le risque de débordements qui en résulte, sont propres aux rencontres sportives, notamment dans les sports précités. Les genres de manifestations cités par les recourantes ne présentent généralement pas un risque de violence comparable et nécessitent par conséquent des mesures de sécurité moindres. Dans ces conditions, un traitement différencié des manifestations sportives "à risques", comme cela découle de l'arrêté, apparaît justifié. D'ailleurs, au plan fédéral, la loi instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure - à laquelle l'arrêté se réfère dans son préambule - contient des dispositions particulières destinées à combattre la violence lors de manifestations sportives (Section 5a,
art. 24a ss LMSI
, dispositions en vigueur depuis le 1
er
janvier 2007).
Au vu de ce qui précède, le grief de violation du principe d'égalité est mal fondé et doit être rejeté.
7.1
Les recourantes se plaignent d'une violation du principe de la légalité. Elles n'auraient, en effet, aucune emprise sur les effectifs policiers engagés ni sur le mode de calcul de l'émolument, la police neuchâteloise ayant à cet égard toute latitude. En outre, en adoptant l'arrêté, le Conseil d'Etat aurait excédé à plusieurs égards les limites
BGE 135 I 130 S. 140
de la délégation contenue à l'art. 62 LPol: d'une part, l'arrêté définirait le cercle des personnes appelées à verser un émolument différemment de la loi; d'autre part, il prévoirait de manière systématique la perception de l'émolument, alors que, selon la formulation potestative de la base légale, il s'agirait seulement d'une possibilité.
7.2
Le principe de la légalité gouverne l'ensemble de l'activité de l'Etat (cf.
art. 36 al. 1 Cst.
). Il revêt une importance particulière en droit fiscal où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l'
art. 127 al. 1 Cst.
Cette norme - qui s'applique à toutes les contributions publiques, tant fédérales que cantonales ou communales - prévoit en effet que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l'objet de l'impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi. Si cette dernière délègue à l'organe exécutif la compétence d'établir une contribution, la norme de délégation ne peut constituer un blanc-seing en faveur de cette autorité; elle doit indiquer, au moins dans les grandes lignes, le cercle des contribuables, l'objet et la base de calcul de cette contribution. Sur ces points, la norme de délégation doit être suffisamment précise (exigence de la densité normative;
ATF 131 II 271
consid. 6.1 p. 278). Il importe en effet que l'autorité exécutive ne dispose pas d'une marge de manoeuvre excessive et que les citoyens puissent cerner les contours de la contribution qui pourra être prélevée sur cette base (
ATF 126 I 180
consid. 2a/bb p. 183). Ces exigences valent en principe pour les impôts (cf. art. 127 al. 1 et 164 al. 1 let. d Cst.) comme pour les contributions causales. La jurisprudence les a cependant assouplies en ce qui concerne la fixation de certaines contributions causales. La compétence d'en fixer le montant peut être déléguée plus facilement à l'exécutif, lorsqu'il s'agit d'une contribution dont la quotité est limitée par des principes constitutionnels contrôlables, tels que ceux de la couverture des frais et de l'équivalence. Le principe de la légalité ne doit toutefois pas être vidé de sa substance ni, inversement, être appliqué avec une exagération telle qu'il entre en contradiction irréductible avec la réalité juridique et les exigences de la pratique (
ATF 126 I 180
consid. 2a/bb p. 183;
ATF 128 II 112
consid. 5a p. 117;
ATF 129 I 346
consid. 5.1 p. 354; HUNGERBÜHLER, op. cit., p. 516). Le Tribunal fédéral examine librement si la norme de délégation en cause satisfait aux exigences précitées (
ATF 122 I 305
consid. 5a p. 311 et les références).
7.3
Les recourantes ne s'en prennent pas à la base légale constituée par l'art. 62 LPol en tant que telle, mais soutiennent que l'arrêté
BGE 135 I 130 S. 141
excède les limites de celle-ci. S'agissant du cercle des personnes appelées à verser un émolument, elles relèvent que l'arrêté introduit deux notions ne figurant pas dans la base légale, à savoir celles de manifestations sportives et de comportements violents (ou actes de violence).
Les deux notions en cause concrétisent l'expression "organisateurs et organisatrices de manifestations nécessitant un important service d'ordre ou de protection" de l'art. 62 al. 1 LPol de manière restrictive, de sorte qu'à cet égard, on ne saurait dire que l'arrêté excède les limites de sa base légale. S'agissant en particulier de la limitation aux seuls organisateurs de manifestations sportives, il peut pour le reste être renvoyé à ce qui a été dit ci-dessus en relation avec le principe d'égalité (consid. 6.3).
Au demeurant, la notion d'"important service d'ordre", qui est commune à l'art. 62 al. 1 LPol et à l'art. 1 de l'arrêté, est définie comme un service d'ordre nécessitant "l'engagement des effectifs supplémentaires de la police conduisant notamment à la révocation des congés, à la suppression des vacances voire à l'appel de renforts provenant d'autres cantons" (art. 3 let. b de l'arrêté). Il s'agit là d'une autre définition restrictive, qui indique bien que seuls les engagements de la police sortant de l'ordinaire doivent être mis à la charge des organisateurs, alors que ses activités ordinaires doivent être financées par l'impôt. En cela, l'arrêté paraît conforme à la volonté du législateur, telle qu'elle ressort des travaux préparatoires de la loi sur la police neuchâteloise, auxquels les recourantes se réfèrent.
Quant au fait que l'art. 62 al. 1 LPol dispose seulement que les organisateurs de manifestations nécessitant un important service d'ordre
peuvent
être tenus de verser un émolument, il aurait certes empêché le Conseil d'Etat d'introduire, dans les dispositions d'exécution, une règle prévoyant de mettre, de manière systématique, les coûts de l'engagement de la police à la charge du même cercle de personnes. En revanche, cela ne l'empêchait pas de définir, à l'intérieur de ce cercle, une catégorie de personnes à qui il se justifie de manière particulière de faire supporter les coûts en question et de mettre ceux-ci de manière systématique à la charge des personnes en question. En procédant de la sorte, le Conseil d'Etat a fait usage lui-même, en adoptant les dispositions (générales et abstraites) d'exécution, de la liberté d'appréciation accordée par l'art. 62 al. 1 LPol. Cette disposition ne devant pas nécessairement être interprétée en
BGE 135 I 130 S. 142
ce sens qu'il appartient à la police d'apprécier, dans chaque cas particulier, s'il y a lieu de répercuter les frais d'engagement sur les organisateurs, l'arrêté ne sort pas non plus, à cet égard, du cadre de sa base légale.
S'agissant du manque d'"emprise" des recourantes sur les effectifs policiers engagés et, en définitive, sur le montant de l'émolument mis à leur charge, il faut relever que la police doit, préalablement à chaque manifestation, procéder à une évaluation des risques et des frais de sécurité et en informer les organisateurs (art. 5 de l'arrêté). On peut partir de l'idée que cette évaluation se fera en collaboration avec les organisateurs - même si elle a lieu sur la base de l'évaluation des risques par le Service d'analyse et de prévention de l'Office fédéral de la police -, de sorte que ceux-ci seront consultés au préalable. Il leur sera de toute manière loisible de contester la facture établie par la police en formant un recours au Département de la justice, de la sécurité et des finances puis au Tribunal administratif cantonal (art. 8 de l'arrêté). A cet égard, il conviendra d'ailleurs que la facture revête une transparence suffisante quant au mode de calcul.
Au demeurant, il ressort de l'art. 4 al. 1 et 4 de l'arrêté que l'émolument correspond à une part comprise entre 60 et 80 % des coûts
effectifs
de l'engagement de la police. L'arrêté ne pourra donc servir au canton de Neuchâtel à réaliser un bénéfice en se procurant des recettes supplémentaires; il lui permettra tout au plus de reporter, d'ailleurs seulement de manière partielle, ses charges liées à la sécurité lors de manifestations sportives "à risques" sur les organisateurs de celles-ci. La situation n'est donc pas comparable à la multiplication des contrôles de stationnement ou à l'engagement accru des radars de circulation - activités permettant de dégager des bénéfices - aux fins de se procurer des recettes supplémentaires. Au demeurant, les problèmes notoires posés par l'engagement des forces de police en dehors des horaires ordinaires devraient conduire à éviter que la police neuchâteloise fasse un usage abusif de la liberté d'appréciation que l'arrêté lui accorde. Les craintes que les recourantes expriment à cet égard sont ainsi largement infondées.
Au vu de ce qui précède, le grief de violation du principe de la légalité est mal fondé et doit être rejeté.