Urteilskopf
87 I 262
45. Extrait de l'arrêt du 4 octobre 1961 dans la cause X. contre Vaud, Chambre des avocats.
Regeste
Art. 31 BV
; Recht auf Reklame; Grenzen dieses Rechts für Handel- und Gewerbetreibende einerseits und für Inhaber freier Berufe anderseits.
Darf dem Inhaber eines freien Berufes (hier: Rechtsanwalt) verboten werden, Zeitungsartikel, welche über die Ausübung seines Berufes in einem bestimmten Falle berichten, selber zu verfassen oder das Erscheinen solcher Artikel zu veranlassen? Welche Rechte haben die Handel- und Gewerbetreibenden in dieser Beziehung?
A.-
La loi vaudoise du 22 novembre 1944 sur le barreau (LB) contient notamment les deux dispositions suivantes:
Art. 16. - Avant d'inscrire le requérant au tableau des avocats, le Tribunal cantonal lui fait solemniser la promesse suivante:
"Je promets de m'acquitter de ma fonction avec dignité, en avocat loyal et probe, et de ne jamais employer des moyens qui pourraient blesser l'ordre public et les moeurs..."
Art. 29. - Il est interdit aux avocats de faire de la publicité directement ou par personne interposée.
Sont exceptés les avis que l'usage autorise en cas d'établissement, de changement de domicile ou d'association.
Le chiffre 9 des principales règles en usage dans le barreau vaudois, mises au net par le Conseil de l'Ordre des avocats
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et communiquées audit ordre à son assemblée générale du 2 mars 1935, dispose en particulier:
L'avocat ne doit pas se compromettre dans la recherche des affaires.
Toute publicité lui est interdite.
Le Conseil de l'Ordre rappelle qu'il ne serait pas admissible pour un avocat de rédiger des articles de journaux, ou des comptes rendus dans lesquels il se mettrait en vedette...
Le 8 septembre 1955, le Conseil de l'Ordre a confirmé ces principes généraux en adoptant diverses règles qui sont entrées immédiatement en vigueur et remplacent les précédentes. La troisième de ces règles est la suivante:
L'avocat ne doit pas compromettre la réputation de sa profession par la recherche d'affaires.
Toute publicité lui est interdite.
Il évite ce qui peut être considéré comme réclame personnellc. Il ne doit pas rédiger des comptes rendus d'audience pour attircr l'attention du public sur son activité professionnelle.
Il n'adresse, pour son client, des communications à la presse qu'à titre exceptionnel, lorsque c'est absolument nécessaire.
B.-
En octobre 1960, l'avocat X., à Lausanne, rédigea et envoya à l'Agence télégraphique vaudoise un communiqué annonçant qu'il venait d'être consulté pour défendre les intérêts d'un apatride devant le Conseil de l'Europe. Ce communiqué parut dans la Feuille d'Avis de Lausanne du 24 octobre 1960. Au mois de novembre suivant, il dicta par téléphone à l'agence précitée un nouveau communiqué rapportant que la Cour de droit public du Tribunal fédéral s'était fait présenter à Lausanne trois films naturistes, dont deux étaient l'objet d'un recours qu'il avait rédigé. Ce second communiqué fut également publié par la Feuille d'Avis de Lausanne, le 21 novembre 1960. L'un et l'autre furent insérés dans la partie rédactionnelle du journal.
Le Conseil de l'Ordre des avocats vaudois signala ces faits à la Chambre des avocats. En sa qualité de juridiction disciplinaire, celle-ci se saisit de l'affaire. Le 23 mars 1961, elle rendit son prononcé. Elle infligea à l'avocat X. la peine de la censure. Elle considéra qu'il avait fait de la
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publicité par personne interposée et contrevenu ainsi à l'art. 29 LB. Certes, ajouta-t-elle, "la seule mention du nom d'un avocat dans un article de presse ne constitue pas de la publicité interdite selon l'art. 29 LB. Il faut encore, pour que cette disposition légale soit violée, que l'avocat ait pris l'initiative de la publication. Mais c'est précisément ce qu'a fait l'avocat X. dans les deux cas retenus à sa charge".
C.-
Agissant par la voie du recours de droit public, l'avocat X. a requis le Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Chambre des avocats. Il a fait valoir une violation des art. 4 et 31 Cst.
La Chambre des avocats s'est référée à sa décision.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des motifs:
1.
En tant qu'elle s'applique aux commerçants et aux industriels au sens usuel de ces termes, la garantie de l'art. 31 Cst. s'étend au droit de faire de la réclame, pourvu que celle-ci ne soit pas excessive et qu'elle corresponde à la réalité (RO 47 I 51, 54 I 96). Dans cette jurisprudence relativement ancienne, la notion de réclame était prise dans son acception étroite. Elle visait le fait, pour un commerçant ou un industriel, de faire connaître et de recommander au public, à ses frais et à son gré, ses produits ou ses services par des annonces dans la partie publicitaire des journaux, par des enseignes, des affiches, un en-tête de papier à lettres ou d'autres moyens semblables.
Depuis lors, il est devenu courant que, dans leur partie rédactionnelle, des journaux publient des articles relatifs à l'activité d'une entreprise, non pour faire de la réclame à cette dernière, mais à seule fin d'intéresser le lecteur. La rédaction du journal décide de cette publication librement. L'industriel ou le commerçant en bénéficie par contre-coup, mais il ne la finance d'aucune manière. Son rôle se borne généralement à fournir au journaliste certains renseignements. Parfois cependant, il sollicite le
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rédacteur de faire paraître l'article ou lui fournit des textes prêts à être reproduits. Même dans cette hypothèse, la liberté du journal de publier ou non l'article demeure entière.
Les actes qu'on vient de décrire et par lesquels, dans l'intérêt de son entreprise, un commerçant ou un industriel prête son concours à l'oeuvre d'un journaliste, ou même en prend l'initiative, doivent être protégés par la liberté du commerce et de l'industrie, comme la réclame au sens étroit rappelé ci-dessus. Cette solution se justifie par des raisons analogues à celles qui ont conduit à protéger le droit de faire de la réclame proprement dite. Du reste, on admet aujourd'hui couramment qu'en dehors de sa propagande, l'entreprise doit veiller à développer ses relations avec le public. Bénéficiant de la garantie prévue par l'art. 31 Cst., les actes en question ne peuvent donc être restreints que dans les limites fixées par cette disposition.
2.
La solution très large qui doit être ainsi adoptée en ce qui concerne les commerçants et les industriels ne saurait être appliquée sans autre aux personnes qui exercent une profession libérale. En effet, le Tribunal fédéral a toujours autorisé les cantons à être plus restrictifs envers ces dernières qu'à l'égard des commerçants et des industriels. Selon sa jurisprudence, ceux qui exercent une profession libérale, et notamment les avocats, peuvent être tenus d'avoir une attitude digne et correcte dans leurs rapports avec leurs clients et le public en général. Ils ne doivent pas user de moyens de publicité de nature à jeter le discrédit sur leur profession. Il est dès lors loisible aux cantons de leur interdire une publicité qui mettrait l'accent sur le côté pécuniaire de leur activité, qui serait tapageuse, importune, mercantile ou trompeuse. Les mesures adoptées ne sauraient cependant aboutir en fait à une interdiction absolue de faire une réclame compatible avec la dignité professionnelle et l'ordre public et se rapportant par exemple à l'ouverture d'une
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étude, à une association ou à un changement de domicile. Pour délimiter ce qui est licite de ce qui ne l'est pas, il faut se baser sur les habitudes et les opinions généralement admises dans le canton. Une réclame dépassant ce qui est usuel n'est pas admissible (RO 54 I 96, 67 I 88, 68 I 14 et 68). C'est à la lumière de ces principes plus restrictifs qu'il convient d'examiner la question posée par le recourant et qui est de savoir si un canton peut, sans violer l'art. 31 Cst., interdire à une personne exerçant une profession libérale, en particulier à un avocat, de provoquer ou de rédiger des articles de presse signalant au public son activité professionnelle dans un cas concret. S'agissant ici d'un avocat établi à Lausanne, c'est sur la base des usages du barreau vaudois qu'il y a lieu de trancher la question.
3.
Ces usages ont été codifiés par les règles de l'Ordre, du 2 mars 1935, confirmées par celles du 8 septembre 1955, et interdisant à l'avocat de rédiger des articles de journaux ou des comptes rendus d'audience attirant l'attention du public sur son activité professionnelle.
Les règles ainsi rappelées peuvent être invoquées en l'espèce. Certes, le recourant expose qu'il ne fait plus partie de l'Ordre des avocats vaudois et qu'il a ignoré la décision du 8 septembre 1955. Toutefois, les règles de 1935 et 1955 ont la même portée. En 1935 déjà, elles étaient données comme l'expression d'un usage en vigueur. L'Ordre groupant la très grande majorité des avocats vaudois, un usage respecté par ses membres depuis de nombreuses années a la valeur d'un usage en vigueur dans tout le barreau vaudois. La Cour de céans est dès lors fondée à considérer qu'en vertu d'un usage du barreau vaudois, les avocats ne doivent pas rédiger eux-mêmes des articles de journaux relatant leur activité professionnelle dans un cas concret. S'agissant des renseignements qu'un avocat pourrait vouloir donner à la presse au sujet de cette activité, l'usage précité trace la limite entre ce qui est usuel et ce qui ne l'est pas.
Cette délimitation est compatible avec la garantie de l'art. 31 Cst. telle qu'elle vaut pour la publicité dans les professions libérales. En effet, l'article de presse que l'avocat rédige au sujet de son activité, et que l'usage vaudois défend, ne constitue généralement qu'une publicité déguisée. Du moins peut-on le présumer. Or si les avocats avaient toute liberté de faire une réclame de ce genre, il s'ensuivrait une surenchère et des abus préjudiciables à la dignité de la profession. Un canton peut dès lors s'y opposer dans le cadre de l'art. 31 Cst. En revanche, l'article rédigé par le journaliste n'implique pas de tels inconvénients. En effet, ordinairement le journaliste en prend personnellement l'initiative. Même s'il demande certains renseignements à l'avocat, il vise non à lui faire de la réclame, mais à renseigner le public sur un fait qui peut l'intéresser. C'est en fonction de ce but qu'il prépare son texte et juge, librement, si le fait vaut d'être diffusé et comment il convient de le présenter. Certes, l'avocat bénéficie parfois du communiqué par contre-coup. Rien ne s'y oppose cependant du point de vue de la dignité de la profession. Les cantons peuvent dès lors se dispenser d'intervenir.
Sans doute, le critère de distinction fondé sur la personne qui a rédigé l'article n'est pas satisfaisant dans tous les cas: en l'appliquant, l'autorité cantonale n'empêchera pas qu'un avocat, qui entretient des relations étroites avec un journaliste, soit indûment favorisé. Cette critique est cependant secondaire. En effet, lorsqu'une affaire traitée par un avocat mérite un article de presse, il se trouve toujours un journaliste disposé à le rédiger.
En conséquence, l'autorité cantonale était fondée à apprécier les actes reprochés au recourant sur la base des règles de 1935 et 1955. Il reste à savoir si ces actes, qu'elle a jugés contraires aux usages admis dans le canton, pouvaient être considérés comme violant l'art. 29 LB qui "interdit aux avocats de faire de la publicité directement ou par personne interposée". La constitutionnalité
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de cette disposition n'est pas discutable au regard des principes posés plus haut (litt. b). Le Tribunal fédéral ne pourrait dès lors intervenir sur ce point qu'en cas d'arbitraire. Or, étant donné les circonstances du cas d'espèce, la forme qu'avait revêtue le concours de l'avocat et son dessein évident de se faire de la réclame, il n'était certainement pas arbitraire d'admettre que le recourant avait fait de la publicité par personne interposée et violé ainsi l'art. 29 LB. Les avis qu'invoque le recourant relativement au sens du mot publicité, et qui ont été émis par un juriste ayant participé à l'élaboration de la loi et par des journalistes, ne conduisent pas à une solution différente. La juridiction cantonale devait en effet rechercher si des actes que le législateur n'avait pas prévus expressément tombaient néanmoins sous le coup de la loi. L'art. 4 Cst. ne lui imposait pas, pour résoudre cette question, de suivre les avis précités.